Alger Pleure

Pourquoi ce voyage maintenant ?

Les Hommes ont la fâcheuse tendance de se réunir uniquement lorsque les occasions les y obligent ! Comme je n’ai jamais été en Algérie dans mon enfance, ni dans mon adolescence, j’ai attendu qu’il y ait cette date très symbolique, celle de la célébration des cinquante ans de son indépendance, pour venir. Je ne voulais pas que ce soit un voyage ordinaire. Pour moi c’est plus qu’un voyage : une façon d’honorer mes ancêtres.

Qu'est-ce que ça représente pour toi, français d'origine algérienne ? 

Le but c’est de découvrir mon autre identité. En France, on nous renvoie parfois à des identités de façon négative et assez conflictuelle. Je dois en quelque sorte venir ici pour retrouver toute mon histoire, celle de ma famille. Pourquoi elle a migré à un moment donné ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui je me sens totalement Français ? J’ai envie de comprendre ce qu’est l’Algérie. C’est capital, car c’est ce à quoi j’exhorte dans mes albums : approfondir la connaissance de l’Histoire, notamment la nôtre.

Tu as rencontré des anciens combattants, des témoins de la guerre d’Algérie ?

J’ai rencontré un ancien condamné à mort, Moustapha Boudina, qui a écrit « Les rescapés de la guillotine ». Il nous a parlé de son parcours durant la guerre d’Algérie. J’ai été très ému par son histoire. Ca aurait pu être celle de mon propre père, ou la mienne si j’étais né à cette époque, parce que je suis 100% français, mais historiquement algérien.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

Très sincèrement, mon arrivée à Alger m’a beaucoup marqué. Ca a été très spirituel. Alger est différente de celle que l’on m’a raconté : certaines personnes l’idéalisent, d’autres sont très négatives et véhiculent l’image d’un pays exclusivement en crise. C’est ce récit qu’on nous propose quand on est né en France. En fin de compte, l’Algérie que j’ai vue n’est pas celle que l’on m’avait racontée.

Comment la vois-tu désormais ?

Vu de l’autre côté de la Méditerranée, on a toujours cette idée que le pays est très affaibli, qu’il se trouve dans une situation misérable. Mais il est en train de se construire. Il y a une toute une partie de la jeunesse qui veut réagir, créer des richesses, se construire, ici et maintenant. L’Algérie est dans la voie du développement. La population a une vraie fierté par rapport à son environnement, son territoire, son pays.

La fête de l'indépendance?

Une expérience très positive dans le sens où il n’y a pas un réverbère, pas un endroit dans Alger qui ne soit orné des couleurs du drapeau algérien. Ça bouge beaucoup, dans tout Alger et dans tout le pays, il y a cette activité-là. J’en profite pour faire une sorte de pèlerinage dans cette Algérie là.

Pourquoi « Alger pleure »?

En fait ce n’est pas l’Algérie qui pleure, surtout quand elle fête ses cinquante ans d’indépendance, c’est plus mes identités qui pleurent. Pourquoi ? Parce que je suis franco-algérien, qu’historiquement la France et l’Algérie ont des relations conflictuelles, qui continuent malheureusement de l’être. Je porte cette relation-là dans mon code génétique. C’est ça qui crie, c’est cette histoire qui pleure, cette identité là. En France on me renvoyait toujours à une identité algérienne. Les politiques comme les média français nous renvoient à une histoire douloureuse, et nous sommes nous-mêmes dans une crise identitaire. Nous revenons à nos filiations, nous voulons savoir qui sont nos grands parents, d’où ils viennent. Et lorsqu’on cherche à connaître son histoire, en tant que franco-algérien, des douleurs ressurgissent à un moment ou à un autre. J’ai été très ému lorsque j’ai entendu mon père raconter le parcours du sien, son arrivée en France. La rétroactivité de la douleur, quoiqu’on veuille faire, on la ressentira.

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