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Molière, Le Malade Imaginaire, (1673), Acte I scène 1

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Par   •  1 Mai 2022  •  Compte rendu  •  1 752 Mots (8 Pages)  •  698 Vues

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ANALYSE LINEAIRE 6

Molière, Le Malade Imaginaire, (1673), Acte I scène 1

Scène I.

ARGAN, assis, une table devant lui, comptant des jetons les parties1 de son apothicaire. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère2 insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles3 . « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui ; mais, monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil ; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit ; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon4 double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là ; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer : il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît.

ANALYSE DE L’EXTRAIT

Situation de l’extrait : La scène de l’acte I n’est pas situé au tout début de l’œuvre comme on pourrait le penser, mais après le prologue mettant en scène une pastorale avec des chants et des danses en l’honneur du retour victorieux de Louis XIV. Le récit des mésaventures d’un bourgeois hypocondriaque, est, par le jeu d’une mise en abîme, un divertissement proposé au roi par les personnages de la pastorale.

Caractérisation de l’extrait Cette scène constitue un morceau de bravoure pour le comédien en charge du rôle d’Argan : il porte la responsabilité de l’ouverture de la pièce et donc doit capter l’intérêt du public et présenter le personnage éponyme de la pièce et lancer un début d’intrigue. Et pourtant ce n’est pas une tâche aisée, dans la mesure où l’acteur est statique et doit dérouler une tirade complexe qui associe chiffres et jargon médical et que ce monologue ne présente aucune information sur l’intrigue en soi.

Formulation d’une problématique De quelle façon Molière rend-t-il dynamique une scène d’ouverture qui, à priori, n’a rien pour faire rire le spectateur ? Annoncer le plan On distinguera trois mouvements successifs 1. Un hypocondriaque un peu avare (du début jusqu’à « les entrailles de monsieur, trente sols » (l.5)) 2. Un apothicaire courtois mais un peu voleur (de «Oui, mais, monsieur Fleurant » (l.6) à « dix sols » (l.11)) 3. Derrière l’apothicaire, le médecin (de « Plus, dudit jour» (l.13) jusqu’à « s’il vous plaît » (l.18))

DEVELOPPEMENT

Premier mouvement (du début jusqu’à « les entrailles de monsieur, trente sols » (l.5))

 En amont de la tirade, le nom «Argan », inscrit d’emblée le personnage dans le domaine médical, l’huile d’Argan étant réputée pour ses vertus curatives. De fait, on soupçonne aussitôt qu’il s’agit du «malade imaginaire» cité dans le titre. De plus, on l’entend faire une addition, ce qui n’est pas en général l’activité favorite des malades : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. » (l.2) Ce champ lexical du nombre révèle un caractère obsessionnel, proche du type comique de l’avare, que l’on voit penché sur sa table encombrée de factures, ainsi que nous l’indique la didascalie initiale.

 Le spectateur est aussi amené à rire en entendant Argan faire la lecture de la facture « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » (l.2-4) Le fait est que les traitements sont définis par des adjectifs qualificatifs qui se veulent savant alors qu’ils n’ont pas toujours de sens. La mention du « clystère », c'est-à-dire d’une sorte de grosse seringue permettant d’injecter un liquide par l’anus afin de nettoyer les intestins est destinée également à déclencher le rire du spectateur. L’évocation du bas-corporel, qu’il soit scatologique, comme dans cet extrait, ou sexuel, comme dans l’acte II est un ressort comique souvent utilisé dans la farce, mais que Molière ne répugnait pas à utiliser dans des comédies plus élaborées. 8

 Bien que seul sur scène, Argan énonce ses réflexions à voix haute : « Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles » (l.2-5). Il confirme ainsi au public qu’il est bien question d’un apothicaire et décline même son nom et sa principale qualité : il est civil, c'est-à-dire courtois, dans la mesure où il utilise le mot « entrailles » (l.4) plutôt qu’ « intestins». Mais cette délicatesse a un prix : « Les entrailles de monsieur, trente sols »(l.5). En mettant en apposition les organes d’Argan et un prix, on a l’impression que ce c’est le corps humain qui est évalué et non les remèdes.

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