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Sujet de dissertation : doit-on être égoïste

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Par   •  5 Février 2023  •  Dissertation  •  2 456 Mots (10 Pages)  •  561 Vues

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Doit on être égoïste ?

Introduction

A première analyse l’intérêt d’être égoïste semble aller de soi. Chaque être vivant est le résultat d’une évolution dont le cheminement a supposé le succès dans l’entreprise de préservation de soi : survie face aux famines, changements et catastrophes climatiques, maladies et agressions des prédateurs etc. Dans cette conception biologique de l’égoïsme comme préservation de son intégrité corporelle « contre » les agressions venant d’autrui et du monde, être égoïste est à considérer comme une nécessité biologique de l’individu dans l’espèce. Survivre c’est s’imposer dans le combat pour la vie.

Mais lorsqu’on se limite aux seules visées égocentriques du vivant, on constate que le concept pose plusieurs problèmes. 

Un premier problème est que, sans intérêt « pour » les autres membres de la même espèce, il n’y a pas de reproduction possible, ni de protection durable contre les agressions, les pénuries de nourriture etc. et donc pas de garantie de survie de l’individu et surtout de l’espèce. L’extension du mythe de Narcisse nous amène par ailleurs à constater qu’à l’extrême l’amour de soi ne peut se passer de l’amour des autres sous peine d’y perdre la vie. L’égoïsme est par conséquent une condition non suffisante pour la survie de l’individu biologique : l’organisation collective apparait comme une spécificité de l’homme, qui est corporellement un être fragile dans le monde et faible dans la nature.

Apparaît alors dans cette réflexion l’idée que l’égoïsme est consubstantiel de l’altruisme chez l’Homme, qui n’est pas seulement un individu biologique, mais aussi et surtout un sujet social « par nature ». 

Problématique

Ainsi faut-il s’interroger sur l’apparent paradoxe entre une conception égoïste de l’existence et de la survie de l’individu et de l’espèce et une conception altruiste de celles-ci, constitutive de la possibilité-même de se penser comme un sujet social. Si la première conception de l’existence est « hobbesienne », dans la mesure où « l’homme est un loup pour l’homme » au sein d’une incessante concurrence pour l’alimentation, la reproduction et donc sa propre survie, la seconde est conditionnée par l’interaction avec les autres, grâce à qui le sujet construit et affirme sa propre identité sociale. 

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Nous allons examiner le caractère concurrent ou complémentaire de ces conceptions dans les deux premières parties de ce devoir.

La première partie s’appuiera sur une conception « spinozienne » du rapport de soi au monde et de la conscience de l’effort que le corps produit face à ce qui l’affecte. L’Ego, le corps sensible, y seront considérés comme des fonctions premières du sujet vivant, qui ne nécessite pas qu’on se pose la question du « soi » et du sujet comme objet de pensée. La « puissance de l’action » spinozienne et la « volonté de puissance » nietzeschéenne, suffisent à concevoir un « soi » vivant, unique fondement égocentrique du sens de l’existence.

La seconde partie montrera que la conscience de soi chez l’homme ne se fonde pas sur les mêmes ressorts que la centration sur soi de l’individu biologique dans l’effort pour sa propre conservation. Ce qui est premier chez l’homme c’est le don désintéressé aux autres. De la conception kantienne d’une morale pure et a priori ordonnant au sujet rationnel de se considérer « soi-même comme un autre » et « les autres comme soi-même » à la conception maussienne de l’homme comme sujet d’emblée social, animé par le principe « d’aimance »  désintéressée d’autrui, nous montrerons que le devoir d’être altruiste est consubstantiel de la condition humaine et fait la dignité de l’homme comme « roseau pensant » et être social anti-utilitaire.

La dernière partie nous permettra de montrer que la conception et la connaissance de soi peuvent ne pas être des fonctions premières de l’homme. Se penser soi-même est le résultat complexe d’apprentissages culturels et de l’émergence de formes de vie individuelles au sein de jeu de langage sociaux, pour le dire dans le vocabulaire de Wittgenstein. Le fait même de pouvoir se penser et décrire sa propre expérience, nécessite l’adoption d’une position d’emblée publique et d’une grammaire sociale de l’expérience. On assiste là à une véritable « exotopie » du sujet, qui ne se construit jamais seul, mais avec et contre les autres, en apprenant qui il est par rapport aux autres

Première partie

Dans la première conception, proche de l’idée de sélection naturelle de Darwin, être égoïste signifie lutter contre les êtres concurrents afin de parvenir à la conservation de soi et constitue une « nécessité » biologique plus qu’un « devoir » moral. Adam Smith propose d’élargir cette visée biologique à une idéologie libérale dans laquelle le fait de poursuivre ses propres buts est non seulement utile pour soi, mais aussi pour la société tout entière, qui bénéficie des résultats de la concurrence.

Au delà du devoir moral, au delà du bien et du mal, on trouve également dans l’individu la volonté de vivre qui donne le seul sens possible à l’existence. Selon Nietzesche, les devoirs moraux kantiens rendent l’esprit aride et chargent les hommes de « devoirs » et d’impératifs catégoriques qui masquent une vérité fondamentale de l’existence humaine : chacun vit gratuitement dans cet univers en attendant de mourir. Dans cette approche nihiliste du sens de l’existence, aucun projet, aucune morale, aucune religion n’ont le pouvoir de régler ce problème existentiel. Ainsi le Zarathustra se conduit en ermite, loin de la société et du commerce des hommes occupés par leurs projets, leurs morales, leurs religions mortifères pour l’homme. Le sens de la vie est alors limité à cet égoïsme fondamental de l’être humain et c’est le devoir du surhomme que de se départir de ces leurres.

Le devoir d’être centré sur soi, sans se penser comme un sujet social, se retrouve aussi dans l’idée que ce qui compte chez l’homme c’est son rapport corporel au monde. Dans l’Ethique de Spinoza on trouve clairement ce primat du corps sensible sur les idées et représentations que l’on peut se faire de soi et du monde. Spinoza distingue une « puissance d’exister » ou « d’action », qui renvoie à l’effort premier que le corps sensible produit pour survivre et aux perturbations qui l’affectent ce faisant, d’une « puissance de penser », qui renvoie à l’activité seconde du sujet qui produit des idées de cet effort.

Ainsi, si nous « devons » être égoïstes pour survivre, c’est que nous « sommes » premièrement et constitutivement centrés sur nous et que les affects que le monde et les autres produisent en nous lors de l’effort de conservation de soi n’ont pas besoin d’être pensés pour que l’existence humaine ait un sens. L’idée que l’on se fait de cette activité existentielle première que Spinoza caractérise de « conatus », n’est qu’un écho de l’expérience première et des affects dans la conscience. Quant à la capacité que les hommes ont de se percevoir comme des sujets, elle relève de « l’idée de l’idée » que l’homme a de son effort de survie. Le « sujet » social, comme individu dans le monde et parmi les autres, est donc une construction seconde, siège de deux illusions: l’illusion de liberté, par la méconnaissance des causes déterminant son action et l’illusion de priméité de la conscience comme fondatrice de l’essence de l’homme, qui n’est en réalité qu’un corps vivant affecté et non une entité pensante. Si l’on doit être égoïstes dans cette conception c’est pour éviter ces illusions.

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Toutefois, si l’égoïsme est le soubassement existentiel de l’homme en tant qu’être vivant, il n’est pas possible de nier que notre existence, depuis l’âge de l’éducation primaire jusqu’à la fin de nos jours, comporte pour spécificité d’être habitée par autrui. Les projets de vie, les activités sociales, culturelles, religieuses etc. façonnent notre identité et donnent un sens indéniable à notre vie que le nihilisme ne peut évacuer.

Deuxième partie

Dans la seconde conception de l’existence humaine que nous aborderons ici, l’exercice de la raison et d’une conscience réflexive sur soi nous amènent à considérer les autres comme soi-même et soi-même comme un autre, pour reprendre la formule de Paul Ricoeur. Faute de devoir être égoïstes, on doit surtout opérer une révolution copernicienne de l’Ego, qui ne se trouve plus au centre de toutes les préoccupations, mais posé quelque part dans une humanité générale ou l’intérêt de l’individu est subordonné à l’intérêt général. Ainsi les troglodytes des Lettres Persanes de Montesquieu apparaissent comme altruistes « par nature ». Cette idée jus-naturaliste de l’éthique, cette conception de la morale de l’homme, cherchent à démontrer que l’altruisme est une fonction anthropologique première qu’il ne faut que bonifier par l’usage de la Raison. L’enjeu illuministe est alors de permettre aux hommes de formuler les lois d’une justice transcendantale et universelle, commune à tous et définissant les droits inaliénables de chaque citoyen.

On retrouve plus récemment dans les travaux de Marcel Mauss cette idée d’une socialisation primitive chez l’homme, qui n’est pas constitutivement égoïste, mais altruiste et mu par le principe « d’aimance » d’autrui. En effet le « don » anti-utilitaire caractérise l’homme comme un individu constitutivement social qui, en deçà des apprentissages moraux qui dictent les comportements en société, s’adresse aux autres par « aimance » et sans esprit utilitaire. Ainsi la socialité chez Mauss est avant tout le résultat d’une relation à autrui totalement désintéressée et fondée sur des cycles de don et contre-don qui scellent le lien social. Tout aussi fondateurs de la socialité humaine sont les cycles de vengeance qui engagent les communautés et les peuples à s’opposer. La relation familiale est le prototype de l’amour anti-utilitaire qui fait de l’amour d’autrui l’équivalent social de l’amour de soi biologique. La guerre est le prototype de la vengeance et de l’établissement du lien social par le conflit. C’est une fonction première de l’homme que de se rapporter à autrui avec amour ou haine et d’engager des cycles de dons sans en attendre un retour ou de vengeance pour dominer autrui. C’est de cette symétrie anthropologique entre l’amour donné à autrui et celui qu’autrui nous donne, que nait la socialité constitutive des êtres humains. Là encore, plus qu’un devoir, l’amour consubstantiel de soi et des autres apparait comme une nécessité, un invariant anthropologique.

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Ceci étant posé, il apparait cependant que la relation sociale déborde très largement ce qui est inné chez les hommes et s’alimente des acquis culturels, communautaires, professionnels, de classe sociale etc. Penser l’amour de soi comme une dérivation du principe d’aimance trouve ses limites dans des sociétés multiples et complexes, où ce qui prime c’est l’organisation sociale pour dominer les autres et subordonner la nature à nos besoins individuels et collectifs. La question est de savoir s’il est possible d’assumer ce devoir d’être altruiste ou s’il est nécessaire de passer par la négation de ses propres besoins, envies, intérêts en rendant définitivement inconciliables égoïsme et altruisme.

Troisième Partie

Sur quoi se fonde l’impératif des évangiles : aime autrui comme toi-même? Doit-on s’aimer soi-même en faisant abstraction de soi, de son corps et du monde sensible tout entier, pour permettre l’émergence d’un Ego transcendantal ? Doit on aller jusqu’à la négation absolue du corps, comme dans le penitenziagite dolcinien qui amène au châtiment de la chair, prison corrompue d’une âme pure, pour accéder à soi-même comme âme ou esprit pur ? D’une certaine manière, s’aimer soi-même pourrait s’apparenter à aimer une émanation de Dieu, comme le prétend Plotin. L’important se trouverait alors moins dans le sujet, simple goutte d’eau finie et éphémère, que dans la lumière de son âme, émanation de l’océan infini et éternel du tout divin. 

Etre égoïste se révèlerait être le résultat d’un véritable effort d’introspection pour saisir ce qu’il y a de noble et d’éternel dans son existence contingente et médiocre.

A la négation de soi comme sujet contingent parviennent paradoxalement aussi Husserl et Kant. En mettant en suspension le monde pour accéder à la description phénoménologique de la conscience impressive du sujet ou en faisant abstraction de l’expérience sensorielle pour accéder à la Raison Pure et à l’impératif catégorique d’aimance d’autrui comme universel moral, l’un et l’autre de ces penseurs nous incitent à envisager le devoir d’être égoïste comme le résultat d’un effort d’époché ou de conscience réflexive sur soi. Cet effort n’a rien de naturel chez l’homme, comme on pouvait l’entendre précédemment.

Accéder au devoir moral et à l’impératif catégorique de considération de l’autre comme fin et non comme moyen ou objet de jouissance, nécessite un effort de Raison pour considérer que la morale se fonde certes sur le fait de se respecter soi-même, mais aussi et surtout sur l’injonction de respecter les autres de la même façon. A ce titre, l’extension aux autres de cette centration sur soi, nécessite d’avoir la faculté de se percevoir « soi-même comme un autre », selon l’expression de Ricoeur. En somme, se penser soi-même c’est produire un acte de conscience réflexive qui donne existence à un « sujet abstrait » comme « objet de pensée » par la négation du sujet agissant, animé par ses pulsions de survie. Ainsi, que l’on « doive » être égoïste relève du même principe moral qui nous ordonne d’être altruiste en considérant les autres à l’égal de soi-même comme des « sujets » purs et a priori, libérés de la corporéité et des contingences matérielles.

Une morale universelle, qui fonde le jugement du bien et du mal, nous amène à vouloir le bien des autres au même titre que notre propre bien et à s’aimer soi-même et les autres de la même manière que l’on peut aimer « l’humanité » au delà des « hommes ».

Conclusion

En conclusion, après avoir montré que l’égoïsme ne peut être conçu comme une simple fonction anthropologique de l’individu biologique comme du sujet social, nous ne parlerons plus d’égoïsme comme simple pulsion de survie, ni comme primitive naturelle sociale anti-utilitaire. L’égoïsme dont il est question ici relève de l’amour pour l’humanité et pour la condition de l’être humain, fragile, fini, mais aussi unique parmi les espèces animales. S’interroger sur le sens de l’existence et de celle de ses semblables, accéder à la conscience pascalienne que l’on a de notre fragilité de roseaux pensants, faibles dans la nature et fragiles dans l’univers, c’est peut être ce qui fait à la fois notre dignité et notre rapport spécifique au monde que nous dominons aujourd’hui.

L’évitement de la haine pour les autres, et le refus de la destruction du monde, dans lequel nous ne sommes plus si fragiles que ça aujourd’hui, sont probablement les enjeux principaux d’un nouvel égoïsme pensé comme une centration sur soi-comme-un-autre et sur soi-dans-le-monde. Il s’agira alors à la fois d’un « égoïsme humaniste » qui nous incite à nous percevoir comme partie d’un genre humain au delà des communautarismes et d’un « égoïsme écologiste » qui nous amène à nous penser comme une émanation de la nature plutôt que comme conquérant de celle-ci pour la subordonner à nos besoins et intérêts immédiats.

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