Merleau-Ponty, sens et non sens, l'histoire et le marxisme...
Commentaire de texte : Merleau-Ponty, sens et non sens, l'histoire et le marxisme.... Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar TARSKY • 29 Novembre 2022 • Commentaire de texte • 3 199 Mots (13 Pages) • 311 Vues
Expliquez le texte suivant:
“Si le marxisme, après avoir pris le pouvoir en Russie et s’être fait accepter par un tiers du peuple français, semble incapable aujourd’hui d’expliquer dans son détail l’histoire que nous vivons, si les facteurs de l’histoire qu’il avait dégagés sont aujourd’hui mêlés dans le tissu des événements à des facteurs nationaux et psychologiques qu’il considérait comme secondaires, et recouverts par eux, n’est-ce pas la preuve que rien n’est essentiel en histoire, que tout compte également, qu’aucune mise en perspective n’a de privilège, et n’est-ce pas au scepticisme que nous sommes conduits? La politique ne doit-elle pas renoncer à se fonder sur une philosophie de l’histoire, et, prenant le monde comme il est, quels que soient nos vœux, définir ses fins et ses moyens d’après ce que les faits autorisent? Mais on ne se passe pas de mise en perspective; nous sommes, que nous le voulions ou non, condamnés aux vœux, aux jugements de valeur, et même à la philosophie de l’histoire.”
Merleau- Ponty, sens et non sens(1945)
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Ce qu’on croit être d’actualité a, parfois, des rebondissements étonnants. Ainsi, il arrive que la politique présente le même plat à plusieurs reprises, à moins qu’elle ne confirme la valeur de certains jugements. A la fin des années de guerre et juste à la libération, après les élections donnant 29% des voix au PCF, Merleau-Ponty pense que le marxisme, comme communisme politique et comme théorie explicative de l’histoire, a échoué. Quarante après, son échec paraît plus patent encore. Cependant, l’actualité n’a philosophiquement de valeur qu’à la condition de ne pas se contenter d’arguments de fait, mais d’en problématiser les interprétations ; ainsi, l’auteur en profite pour poser la question des rapports entre politique ou action, voire acte électoral de citoyenneté et philosophie de l’histoire au-delà de l’échec apparent ou manifeste d’une prétention à l’interprétation globale, si ce n’est totale, du devenir. Mais, pour parvenir à en reposer la question sous une forme renouvelée, il commence par établir une inférence conduisant au scepticisme, et cela en deux temps. D’abord, l’échec serait celui d’une incapacité explicative des détails de l’histoire que nous vivons ; ensuite, ce défaut théorique est précisé comme un mélange de facteurs nationaux et psychologiques, à ceux qu’il avait dégagés( on peut penser qu’il s’agit des facteurs économiques dits de classes), de plus un mélange qui avant était hiérarchisé, puisque ces facteurs étaient déclarés secondaires, qui maintenant apparaîtraient « comme recouverts par eux », bref, comme dans toute explication, il y a un problème de causalité ou d‘étiologie, voir de légalité scientifique, alors si rien n’est principal, ne doit -on pas douter de notre pouvoir d’explication même ? Deuxièmement, c’est le politique lui-même, y compris comme simple acte de citoyenneté qui est questionné par ce renoncement sceptique ; prendre le monde comme il est, c’est renoncer à ses «vœux », mais qu’entendre alors par vœux ? Suffira-t-il, alors, de se soumettre aux faits, tomber dans le « faitalisme » ? La politique ne serait-elle plus qu’une question de définition des fins et des moyens qui y correspondent ? Troisièmement, de la politique on est renvoyé à la philosophie de l’histoire de trois manières : faire des vœux, prononcer des jugements de valeurs, mettre en perspective. On ne pourrait, donc, pas renoncer à la philosophie de l’histoire parce qu’on ne pourrait pas renoncer à la vie et à l’action politique. Derrière son style questionnant l’actualité, ce texte au fond, a comme enjeu de mettre en valeur la nécessité intellectuelle et politique de la philosophie de l’histoire.
L’auteur, d’entrée de jeu met en avant le marxisme, à la fois comme mouvement politique, puisqu’il fait allusion à la révolution russe de 1917, par les bolcheviks, et au caractère mondial du phénomène, puisqu’en France même, le parti communiste a obtenu suite à la seconde guerre mondiale et à la victoire des mouvements de résistance et de l’union soviétique avec les alliés, jusqu’à quasiment trente pour cent des voix aux différentes élections ; et philosophie de l’histoire ou théorie globale, posant le passage de l’humanité à la liberté comme communisme selon un processus inscrit dans la réalité des forces agissantes dans l’histoire à savoir les masses prolétariennes se dégageant de l’exploitation de la propriété privée et du capitalisme. Il semblait donc, hier, que le marxisme avait atteint l’unité de la théorie et de la pratique, en prouvant par ses succès la vérité de son explication du devenir. Or, « aujourd’hui », sans doute au regard de la récupération du chauvinisme par le stalinisme au caractère abstrait du trotskisme et de son internationalisme coupé des masses, face, bientôt, aux mouvements nationaux de décolonisation, ainsi que face à la réussite des forces politiques traditionnelles, libérales et réformistes à conserver l’adhésion des peuples dans le système capitaliste, ou encore face à la difficulté à conserver cette adhésion à l’Est dès la libération et ses élections problématiques ou en Pologne aux quatre ans de guerre civile, (après ce sera plus flagrant encore, la Hongrie( en 1956), la R.D.A, dès 1953, la Pologne tant en 1956 qu’en 1980), le marxisme politique montre ses limites, sa vérité n’est historiquement pas définitive ou absolue ; et du point de vue théorique, cela signifie que les forces matérielles, sociales et économiques, ne sont pas les seules causes effectives du devenir mais qu’il y a des forces nationales et psychologiques.
L’auteur ne parle d’ailleurs pas de force mais de « facteurs ». Mais, pour commencer cela remet en question un certain regard sur l’histoire, comme simple collection de faits et événements. Le terme d’histoire est lui-même ambigu. Il désigne, à la fois, un vécu, voire une réalité et le discours sur cette réalité. L’histoire serait récit, d’abord simple mythe, ensuite enquête se voulant exacte et contrôlable. De ce point de vue, il suffirait de dater des faits dont des documents ou archives divers porteraient la marque. Mais, dès ses débuts, l’histoire a dépassé le simple compte-rendu, la chronique. Elle ne peut éviter la mise en relation, notamment causale des événements entre eux ; de même, qu’elle ne peut éviter une conception de l’organisation des sociétés humaines ou des pays dont elle rend compte ; bref, l’historien, est peut-être un homme de lettre, mais aussi modeste qu’il soit, il est aussi un homme de science ou du moins de connaissance. Certes, le concept de cause, est un peu métaphysique pour désigner des explications qui ne revendiquent pas d’être dernières ; de même que rarement l’historien ne prétend élaborer des lois du devenir historique comme il existerait des lois du devenir naturel. Néanmoins, on ne saurait s’interdire de faire intervenir des raisons globales, qui sont peut-être aussi des motifs ou motivations, mais qui agissent sur les acteurs sociaux que sont les hommes dans l’histoire. « Facteur » a un sens analytique presque au sens mathématique, c’est un coefficient qui intervient dans une opération. Or, dans une société ou une culture il y a une pluralité de domaines ou champs, qu’on peut appeler facteurs à condition qu’ils interviennent dans une relation explicative( économique, artistique, politique, scientifique, technique, religieux, de classe, de nationalité, psychologique ou idéologiques, matériels ou de besoins naturels). Or, justement peut-on ainsi se contenter de les énumérer et passer en revue, sans hiérarchiser leur importance ?
...