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La vie / Jean-Luc Lagarce

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Par   •  15 Juin 2022  •  Guide pratique  •  2 378 Mots (10 Pages)  •  370 Vues

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ntroduction



Pour introduire un très bel article qu'on peut trouver dans Du luxe et de l'Impuissance, et qui s'appelle « comment j'écris » ; Jean-Luc Lagarce cite quelques mots d'un grand critique littéraire, Roland Barthes, et vous allez voir, ça colle parfaitement à notre pièce :
L'écriture est destruction de toute voix, [...] l'auteur entre dans sa propre mort, l'écriture commence.
Roland Barthes, La Mort de l'Auteur, 1968.


En fait, le propos est très simple : pour Roland Barthes, l'auteur et sa voix disparaissent derrière son œuvre confiée à l'interprétation des lecteurs… Et c'est d'ailleurs particulièrement vrai pour le théâtre, où le dramaturge laisse sa pièce entre les mains d'un metteur en scène avant même de la confier au public.

Or n'est-ce pas exactement ce qui se joue sous nos yeux dans cet épilogue ? Louis n'ayant pas pu annoncer sa mort, se souvient soudain d'une envie qu'il a eue une nuit, de crier dans la montagne, pour entendre résonner l'écho de sa propre voix…

Et si ce souvenir était la clé symbolique de cette pièce ? En évitant la route et en gardant le silence, il s'isole, il accepte son absence, et laisse en quelque sorte son cri aux autres, et bien sûr, au dramaturge lui-même...

Et alors, dans un effet de boucle, l'épilogue nous invite à relire la pièce, non pas comme une tragédie de la mort, déjà réalisée dès le prologue, mais comme une tragédie du silence, qui justement, n'empêche pas à l'auteur de faire passer son message…

Comment cette anecdote appartenant au passé de Louis, contient en fait symboliquement le sens de toute la tragédie du silence qui se joue dans la pièce ?

Je vais annoncer les mouvements au fur et à mesure de l'analyse, et citer le texte très clairement, pour que vous puissiez bien suivre. Pour retrouver tous mes documents et toutes mes vidéos sur cette œuvre, rendez-vous sur mon site www.mediaclasse.fr

Premier mouvement :
Une fin sans fin



Ce premier mouvement, on pourrait l’appeler « Une fin sans fin » parce qu’on dirait bien qu'on a dépassé la fin : « Après, ce que je fais »... Et en même temps, on attend encore la véritable fin « Après, j'en aurai fini ». Les deux adverbes « Après » encadrent le passage, comme pour créer un effet de boucle.
Après, ce que je fais,
je pars
Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,
une année tout au plus.


Plusieurs indices nous ramènent directement au tout début de la pièce : « je meurs quelques mois plus tard, une année tout au plus » c'est le fameux refrain du prologue « l'année d'après ». Un peu comme si ce dépassement de la fin devait produire une boucle, un retour au point de départ.

Et alors même qu'il nous dit « je ne reviens plus jamais », il est là, en face de nous, malgré tout, alors qu'il est censé être mort. Comme s'il n'en avait pas fini avec les autres, sa famille, ses semblables. Spontanément, on dirait que c'est un revenant.

Et en même temps, il multiplie les gestes vers le passé, il est presque nostalgique, avec le verbe « se souvenir » : « Une chose dont je me souviens et que je raconte encore (après j'en aurai fini) ». L'adverbe « encore » insiste bien sur l'idée qu'il continue de réaliser les gestes du passé.

Tous ces éléments qui créent un mouvement de boucle, nous invitent à voir ce personnage, non plus comme un personnage tragique qui court vers un destin fatal, mais plutôt, comme un acteur qui recommence tous les soirs la même pièce.

Or justement, ses actions sont sans cesse mises en avant, comme mises en scène : « Ce que je fais, je pars » avec le présentatif. Ou encore « Une chose que je raconte encore » avec cette chose thématisée en début de phrase, et qui renvoie au récit qui va suivre ensuite.

On peut même se demander si ces verbes « faire, raconter » sont au présent de narration pour actualiser des actions passées, ou au présent d'énonciation : elles se dérouleraient alors au moment même où il parle. Ce que je fais, c'est-à-dire, jouer la comédie, là, devant vous, ce que je raconte, là, en ce moment.

Deuxième mouvement :
Le récit d'une absence



Ce deuxième mouvement, on pourrait l’appeler : le récit d'une absence, parce que toutes les indications de temps et d'espace renvoient paradoxalement à son absence initiale écoutez :
c'est l'été, c'est pendant ces années où je suis absent,
c'est dans le Sud de la France.


Or ce même présentatif revient à la fin du mouvement, paradoxalement pour dire qu'il s'est perdu : « c'est ainsi que je me retrouverai ». L'expression est mystérieuse : Louis ne cherche pas à se trouver, mais à se re-trouver, tel qu'il était, peut-être, avant son départ, avant la mort de son père ?

On commence donc à deviner qu'il faut lire tout ce passage comme un paysage symbolique, écoutez :

Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne,
je décide de marcher le long de la voie ferrée.
Elle m'évitera les méandres de la route, le chemin sera plus
court et je sais qu'elle passe près de la maison où je vis.
La nuit, aucun train n'y circule, je n'y risque rien
et c'est ainsi que je me retrouverai.



Il veut « éviter les méandres de la route ». Mais n'est-ce-pas, symboliquement, pour éviter de croiser les autres ? Il choisit la voie ferrée, c'est-à-dire, symboliquement, le voyage, mais c'est justement parce que « aucun train n'y circule » : il ne risque de croiser personne.

Lagarce reprend là un thème cher au théâtre de l'absurde : décevoir tout espoir de péripétie.

Les liens logiques justifient sans cesse ses choix. Lien de cause : « parce que je me suis perdu ». Lien de conséquence : « c'est ainsi que je me retrouverai ». Un peu comme le Héros tragique, Oedipe, enfant trouvé, qui malgré ses pieds enflés, part en quête de sa propre identité.

La dernière expression est d'ailleurs révélatrice « je me retrouverai »… La première personne est à la fois sujet et complément d'objet : se retrouver soi-même. Aller au plus direct vers « la maison où je vis ». Dans ces images, la première personne prend bien le pas sur les autres.

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