Incipit de La Princesse de Clèves : explication linéaire
Commentaire de texte : Incipit de La Princesse de Clèves : explication linéaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Dark1005 • 21 Mai 2022 • Commentaire de texte • 7 005 Mots (29 Pages) • 594 Vues
C. De la cour des Valois à celle de Louis XIV : éléments de problématiques (« individu, morale et société »)
1) Incipit de La Princesse de Clèves : explication linéaire
Projet de lecture : on montrera le caractère ambivalent de cette description apparemment élogieuse de la cour.
La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri II. Ce prince était galant, bien fait, et amoureux : quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants. |
→ cadre spatio-temporel : la cour de France à la fin du règne du roi Henri II (fin des années 1550) : une toile de fond historique relativement récente et encore familière pour les lecteurs de Madame de Lafayette (l’univers de la cour n’a pas beaucoup changé en un siècle)
-la figure du « prince » (princeps, le souverain) semble être à l’image de la cour toute entière → POLYPTOTES : galanterie de la cour → le prince était galant ; tant d’éclat → des témoignages éclatants (variations sur un même radical lexical, ici nom et adjectif) -les tournures mélioratives (superlatifs, adverbes indéfinis, intensifs, négation partielle ou totale) confirment cette impression. NB : la première phrase suscita même quelques débats lors de la publication du roman, car on trouvait que la cour de Louis XIV était au moins aussi éclatante que celle des Valois !
-le groupe ternaire qualifiant le prince, galant, bien fait et amoureux, réduit ce dernier à ses qualités physiques et à son attachement à sa maîtresse, Diane de Poitiers, au détriment de toute qualité morale ou intellectuelle. (l’adjectif « galant » prend alors son sens plus péjoratif de « séducteur ») -MdlF insiste d’autre part lourdement sur l’emprise qu’a Diane de Poitiers sur le roi Henri II *il s’agit d’une passion, et d’une passion particulièrement violente (mise en valeur par double négation) : expression cette fois explicitement péjorative. *la prop sub concessive « quoique sa passion… plus de vingt ans » est ambiguë ; il peut s’agir de souligner la fidélité du roi, mais les lecteurs de MdlF se souviennet aussi que Diane de Poitiers a vingt ans de plus que lui. *cette relation est d’autre part affichée ostensiblement(association négation totale + comparatif d’infériorité à valeur superlative) , ce qui pose d’autant plus problème… qu’il n’a pas encore été question de la reine ! |
Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations : c’était tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. Les couleurs et les chiffres de madame de Valentinois paraissaient partout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir mademoiselle de la Marck, sa petite-fille, qui était alors à marier. |
→ l’écriture de MdlF est trompeuse, comme la cour : sous un vernis d’éloge, s’embusque l’ironie et la critique. NB : cette phrase prépare également la présentation du personnage éponyme, Mlle de Chartres, qui fait partie de la même génération que Mlle de Chartres : comme toutes les jeunes filles de la cour, la grande affaire est de les marier. |
La présence de la reine autorisait la sienne : cette princesse était belle, quoiqu’elle eût passé la première jeunesse ; elle aimait la grandeur, la magnificence, et les plaisirs. Le roi l’avait épousée lorsqu’il était encore duc d’Orléans, et qu’il avait pour aîné le dauphin, qui mourut à Tournon ; prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François Ier, son père. | Ce n’est qu’au troisième paragraphe qu’il est enfin question de la Reine : mais elle ne semble être mentionnée que pour rappeler le caractère officiel de la liaison du roi avec sa favorite : tant que la Reine est présente, la favorite du Roi peut paradoxalement s’afficher à ses côtés. → l’ordre de cette présentation de la cour, qui fait passer la favorite avant la Reine souligne implicitement le dérèglement moral de la cour : la relation adultère du Roi est officiellement « autorisée ».
-la prop sub concessive « quoiqu’elle eût passé la première jeunesse » est à double tranchant : certes, sa beauté peut faire oublier son âge, mais l’ordre des propositions suggère plutôt l’inverse : elle est belle, mais passée : on n’en oublie pas pour autant son âge ! -le troupe ternaire COD du verbe aimer est lui aussi en demi teinte : *certes les mots « grandeur et magnificence », « plaisirs » rappellent l’atmosphère prestigieuse, et joyeuse de la cour... * mais la Reine semble réduite à son tour à son goût pour le faste et les divertissements (redondance des mots « grandeurs » et « magnificence » qui signifie étymologiquement « qualité de ce qui est grand ») au détriment de toute autre qualité morale ou intellectuelle ?
→ le portrait élogieux du prince dauphin ne fait que souligner implicitement la légèreté de son frère, plus enclin à se divertir qu’à s’occuper sérieusement du royaume. |
L’humeur ambitieuse de la reine lui faisait trouver une grande douceur à régner. Il semblait qu’elle souffrît sans peine l’attachement du roi pour la duchesse de Valentinois, et elle n’en témoignait aucune jalousie ; mais elle avait une si profonde dissimulation, qu’il était difficile de juger de ses sentiments ; et la politique l’obligeait d’approcher cette duchesse de sa personne, afin d’en approcher aussi le roi. Ce prince aimait le commerce des femmes, même de celles dont il n’était pas amoureux. Il demeurait tous les jours chez la reine à l’heure du cercle, où tout ce qu’il y avait de plus beau et de mieux fait de l’un et de l’autre sexe ne manquait pas de se trouver. | Le quatrième paragraphe déchire explicitement le voile de prestige et de beauté dont se pare la cour du roi Henri II, en précisant plus intimement le portrait du couple royal. → les tournures superlatives demeurent, mais le lexique mélioratif, lui, disparaît presque du paragraphe. → il n’est plus question ici que de l‘emprise des passions sur les grands de la Cour : le goût pour le pouvoir de l’une; les galanteries de l’autre) : c’est bien le cœur humain en proie aux passions qui intéresse MdlF, et non la grande Histoire, qui n’est ici qu’un prétexte.
-Le mot « douceur » employé étrangement pour le qualifier (il est plutôt utilisé pour évoquer le domaine des sentiments, notamment amoureux) fait de son ambition une sorte de besoin physique, viscéral. -MdLF suggère que c’est sans doute cette passion pour le pouvoir qui justifie son indifférence pour la liaison du roi avec la duchesse de Valentinois. *son absence totale de jalousie manifeste est relativisée par son talent pour la dissimulation : elle ne laisse paraître que ce qu’elle souhaite montrer. *De plus, MdLF rappelle que ses intérêts politiques ne peuvent que l’encourager à ne pas manifester de jalousie : pour rester proche du roi, donc, du pouvoir, elle n’a pas d’autre choix que de supporter la présence de la Duchesse, dont il ne se sépare pas. → vision très critique de la cour, lieu malsain qui entremêle intérêts politiques et histoires galantes. (NB : sorte de cercle vicieux et absurde La présence de la Reine autorisait la sienne / la politique l’obligeait d’approcher cette duchesse de sa personne afin d’en approcher aussi le roi : la Reine doit faire semblant d’accepter la présence de la Duchesse pour pouvoir rester proche du Roi ; mais c’est justement parce qu’elle reste proche du roi que la Duchesse peut s’afficher avec lui…)
-la première phrase suggère que sa passion pour Madame de Valentinois n’exclut pas d’autres relations amoureuses -MdlF donne l’impression que le roi Henri II passe son temps, lorsqu’il n’est pas à la chasse ou au tournois, aux conversations galantes dans le cercle de la Reine. → la critique reste cependant toujours implicite : le paragraphe se referme sur une nouvelle tournure superlative, soulignant encore une fois la beauté de la cour, règne de l’élégance et du raffinement. |
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