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R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, T. II, 1922 (extraits)

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Par   •  12 Octobre 2022  •  Cours  •  5 403 Mots (22 Pages)  •  364 Vues

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R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, T. II, 1922 (extraits)

 

§ II. Théorie de la souveraineté nationale

 

327. – A la théorie de la souveraineté du peuple, il faut opposer, selon le droit positif français, le système de souveraineté nationale.

La notion de souveraineté nationale est, en France, l’un des principes fondamentaux du droit public et de l’organisation des pouvoirs.

On a dit de ce principe qu’il est la plus importante des conquêtes qu’ait réalisées la Révolution. De fait, il est consacré, dès le début des évènements de 1789, par le Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 3 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »    

(…)

 

329. – Si l’on veut saisir la véritable portée originaire du principe de la souveraineté nationale, il faut, avant tout, s’attacher aux circonstances historiques dans lesquelles ce principe a été proclamé en 1789 par l’Assemblée nationale. On ne doit pas perdre de vue, en effet, que ce principe est spécial au droit public français. Les auteurs allemands, par exemple, se contentent d’affirmer que la puissance souveraine appartient à l’Etat. Les anglais disent qu’elle réside dans le Parlement. En Amérique et en Suisse, on parle de souveraineté du peuple. (…).

Si, en France, la souveraineté a été, en 1789, mise au nom de la nation, cela tient directement à des causes historiques, et ces causes doivent être recherchées dans les précédents monarchiques de l’ancien régime, qui seuls peuvent fournir la clef explicative et le point de départ du système moderne du droit public français en cette matière.

Dans les derniers siècles de l’ancienne monarchie, le roi (…) était parvenu à se poser comme le propriétaire personnel de la puissance étatique et même comme constituant à lui seul l’Etat. La Révolution est venue faire cesser cette confusion. L’œuvre capitale de la Constituante, dans cet ordre d’idées, a consisté à séparer l’Etat et la personne royale ; et pour cela, la Constituante fait intervenir la nation, qu’elle oppose au roi comme le véritable élément constitutif de l’Etat, et, par suite, comme seule légitime propriétaire de la puissance souveraine. En effet, l’idée essentielle dégagée par les hommes de 1789 et qui devient la base même de tout le nouveau droit public, ça a été que l’Etat n’est pas autre chose que la personnification de la nation. L’Etat, c’est la personne publique, en qui se résume la collectivité nationale. Donc, l’Etat ne peut s’absorber dans le roi, mais il s’identifie avec la nation. Et alors, la souveraineté étatique n’est plus dans le roi, elle a son siège dans la nation ellemême. Ainsi se trouve directement fondé le principe de la souveraineté nationale. On voit comment ce principe a pris naissance : il n’est que la réponse de la Révolution à la prétention de Louis XIV de ramener l’Etat tout entier à la seule personne du roi.  

 

  1.  Ainsi, le principe de la souveraineté nationale était, avant tout, dirigé contre la puissance royale.  

(…).

 

331. – Maintenant, en quel sens l’Assemblée nationale de 1789 transférait-elle la souveraineté à la nation ? Voulait-elle dire par là que la souveraineté siège originairement dans la personne individuelle de tous les nationaux et de chacun d’eux ? Bien certainement non. Il suffit, pour l’établir, de rappeler, dans la Const. de 1791, la disposition de l’art. 1er du préambule du tit. III : « La souveraineté est une, indivisible… Elle appartient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice. » Le principe posé par ce texte est des plus nets. La souveraineté y est dite nationale, en ce sens qu’elle réside indivisiblement dans la nation dans la nation toute entière (…). En un mot, la Révolution, bien loin de transférer, comme on l’a dit, la souveraineté à tous les membres de la nation, déniait, au contraire, une fois pour toutes, la qualité souveraine à tout individu pris en particulier, comme à tout groupe partiel d’individus ; et ainsi, elle ne faisait que reconnaître, à sa manière, cette vérité théorique, à savoir que la puissance de domination étatique ne peut se concevoir que dans l’être synthétique et abstrait qui personnifie la collectivité nationale et qui n’est autre, en définitive, que l’Etat. Souveraineté nationale ou collective, c’était, dans les idées de 1789 et de 1791, la négation directe de toute souveraineté individuelle.

(…)

En définitive, on voit que ce principe, tel qu’il a été dégagé par les hommes de 1789, n’avait en soit qu’une portée purement négative. Il revenait à dire que personne dans l’Etat ne peut se prétendre souverain, si ce n’est l’Etat lui-même, ou – ce qui est identique – la nation et le peuple, pris dans leur consistance globale et indivisible (…). Ainsi définie, la souveraineté nationale est un principe bien inoffensif : elle n’a plus rien de commun avec la théorie de la souveraineté populaire. (…)

 

332. – Ce qu’il importe d’ajouter, c’est qu’en devenant nationale au sens qui vient d’être précisé, la souveraineté perdait, par là même, le caractère d’absolutisme que lui prête l’école issue de Rousseau. D’après cette école, la souveraineté consiste dans le droit originaire qu’ont les citoyens, lorsqu’ils forment une majorité, d’imposer leur volonté discrétionnaire : dans cette conception, la souveraineté nationale ne serait donc pas autre chose que l’ancien pouvoir personnel et absolu des rois de France, qui, par l’effet de la Révolution, aurait passé du monarque aux citoyens. La vérité est, qu’au contraire, en mettant la souveraineté au nom de la nation, la Révolution a modifié jusque dans son essence la conception antérieure et la définition monarchique du pouvoir souverain. Etant établie au profit de la nation seule, la souveraineté a cessé d’être un pouvoir reposant sur un droit originaire de qui que ce soit ou impliquant, pour ceux qui en ont l’exercice, une puissance personnelle absolue. D’une part, en effet, ses détenteurs ne pourront l’exercer que dans la mesure où elle leur a été confiée par la nation  : et il va de soit que, dans un système de souveraineté nationale, toute l’organisation constitutionnelle devra tendre à limiter la puissance de ces détenteurs, de façon à empêcher le plus possible qu’ils en usent arbitrairement ou dans des vues personnelles (…) ; plus exactement, l’organisation constitutionnelle sera combinée de telle sorte qu’aucun organe de l’Etat ne possède, à lui seul, la souveraineté. C’est en ce sens que l’on a pu dire qu’en faisant passer la souveraineté du monarque à la nation, la Révolution l’a détruite (…). D’autre part, la souveraineté étant impersonnelle, nul ne peut avoir de droit individuel à l’exercer.

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