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Présentation du recueil Alcools de Guillaume Apollinaire

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Par   •  4 Novembre 2017  •  Cours  •  2 420 Mots (10 Pages)  •  4 959 Vues

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Présentation du recueil d'Alcools (1913)

Esthétique de son œuvre


L’écriture d’Apollinaire se distingue d’abord par son mélange entre motifs élégiaques, lyriques, airs anciens (comptines, chansons…) et modernité de son époque (motifs industriels, citadins) qui le placent parfaitement à la charnière entre XIXème et XXème siècle. C’est en effet entre ancien et nouveau, entre « ordre » et « aventure », entre intimité et universalité, entre mythologie antique ou médiévale et modernité, que le poète pose sa propre voix lyrique. C’est toujours dans cet entre-deux qu’il se situe, cherchant à la fois à s’inspirer ou à rendre hommage aux plus grands textes, et à créer, renouveler radicalement la poésie, à la dépoussiérer des carcans encore présents du classicisme (même si leur disparition est plus qu’annoncée depuis le milieu du XIXème siècle). En tout cela, il est un digne héritier de Baudelaire, mais aussi de poètes médiévaux comme Villon.

 
Son œuvre fait également jour à une véritable plasticité du poème dans toutes ses possibilités, dans la lignée cette fois de Mallarmé. Plasticité tout autant formelle (entre formes classiques comme chansons ou formes novatrices des poèmes-conversations ou des calligrammes), que spatiale (multiplicité des lieux) et temporelle (multiplicité des temps). S’enchaînent en effet parfois dans le même poème (par exemple « Zone » ou « Vendémiaire ») différents temps ou lieux à une si grande vitesse que l’on peut y voir une forte influence du futurisme, et en même temps une inspiration future pour le surréalisme. Cette pensée en mouvement est rendue encore plus fulgurante par l’absence de ponctuation dans Alcools et par la forme des poèmes dans Calligrammes. Ce dernier recueil de 1918 systématise justement deux nouveaux types de poèmes, le calligramme et le poème-conversation. Ce n’est plus seulement l’ouïe qui est sollicitée, mais encore plus la vue qui se doit de décrypter le poème au travers de ses formes. Ainsi, une véritable activité du lecteur se fait jour. Ces textes, entre peinture et affiche, trouvent leur origine dans le goût pour Apollinaire tout autant de la peinture cubiste que de la modernité de la ville, et donc de la publicité. Il développe alors un véritable lyrisme visuel qui va proposer une spatialisation, voire une picturalisation du sentiment lyrique. Le lyrisme n’est plus seulement chant, il est aussi image, dessin.


Ce lyrisme si fort dans l’œuvre d’Apollinaire, à une époque où il a perdu beaucoup de son influence, a deux visages : celui de l’expression personnelle, mais aussi celui de l’exaltation. Expression personnelle dans la présence forte de l’expression subjective, mélancolique et sentimentale, et exaltation, dans l’évocation prépondérante de l’envol, ou encore de l’ivresse, de la joie par des chansons. Il y a également d’autres présences de ce lyrisme dans le choix même des chansons, de la flânerie, ou du fait de parler de ses propres expériences. Si ce lyrisme est si important, c’est en effet parce qu’Apollinaire choisit des données de sa personnalité, de sa vie affective, pour créer sa poétique. Ainsi, son cosmopolitisme dans la poésie s’explique par son propre cosmopolitisme, ayant vécu un peu partout et ne se sentant pas forcément appartenir à une certaine patrie : il est un étranger, un sujet en fuite, sans racines. Il va même revendiquer fortement son statut d’émigrant et d’apatride à un moment où l’antisémitisme prend de l’essor, et ceci par pur esprit de provocation tout autant que par fierté de ses origines multiples (qu’il va d’ailleurs utiliser pour entretenir une forme de mystère quant à sa personne). De même, son goût pour le Moyen-Âge, l’imaginaire, le merveilleux (qui se ressent fortement dans ses poèmes), s’explique par une enfance nourrie de romans de chevalerie, de contes de fées, et une adolescence passée dans les bibliothèques. Ce goût pour les bibliothèques explique encore son goût pour les mots rares, donnant à son esthétique une forme de bizarrerie déconcertante (à la manière des décadents), mais également son goût pour les archaïsmes médiévaux, les dialectismes et mots forgés, les calembours… Enfin, son goût pour la sensualité, la vie charnelle, se remarque dans le choix d’une écriture érotique parfois même grossière. Il va même très loin dans l’accumulation pornographique (voir Les onze mille verges), et l’écriture devient même source de sadique et de cruauté, à l’image de Sade. Mais cette écriture pornographique est surtout à voir comme une provocation, comme le prouve justement les accumulations à outrance poussées jusqu’à l’écœurement du lecteur.

Alcools

1) Présentation


Alcools est publié à Paris au Mercure de France en 1913. De nombreux poèmes étaient déjà parus auparavant en revue. C’est le premier grand recueil poétique publié d’Apollinaire, mais il rend compte d’un long trajet poétique puisqu’il rassemble des poèmes écrits de 1898 à 1913 (d’ailleurs souvent retravaillés et modifiés). Malgré le bon accueil du public et des autres écrivains, les critiques sont peu enthousiastes, voire agressifs, ce qui touchera fortement le poète, notamment l’incompréhension à l’égard de son recueil qualifié de « boutique de brocanteur » par Georges Duhamel au Mercure de France.

 

Dès 1904, alors qu’il publie dans les revues, il fait le projet d’une « plaquette à paraître : Le vent du Rhin », contenant l’ensemble des poèmes rhénans inspirés par son séjour en Allemagne et son amour malheureux pour Annie Playden. Il comptait y rajouter « La chanson du mal-aimé », écrite en 1905, ce qui aurait créé une unité dans la présence d’une tonalité mélancolique. Mais cette publication ne se fera pas, et une nouvelle publication sera annoncée par Gustave Kahn en 1908 sous le titre Le roman du mal-aimé, titre confirmant la tonalité élégiaque première des poèmes présentés. La publication sera encore retardée. A partir de la rencontre avec Marie Laurencin, le poète quitte sa posture d’amant malheureux, ce qui se ressent dans la composition de ses textes. Nouvelle inspiration, plus dynamique et dionysiaque, également plus influencée par son entourage, notamment les peintres cubistes comme Picasso. C’est ce qui explique qu’en 1910, le titre du recueil devient Eau-de-vie, et il ne changera plus que sur les épreuves avant la publication, pour devenir Alcools.



Pourquoi Alcools ? Car l’ivresse rapporte l’acte poétique, dans la continuité de Baudelaire et de Rimbaud, à un « dérèglement des sens ». Les références explicites à l’ivresse et aux boissons de toutes sortes (vins, eau-de-vie…) sont fréquentes dans le recueil. De même, l’univers d’Alcools est jalonné de nombreux lieux pourvoyeurs de boissons : des tavernes, des auberges, des brasseries... Le titre est donc d’abord synonyme de présence concrète de l’alcool dans le recueil, comme un thème dominant. Mais symboliquement, l’alcool est également l’universelle soif du poète face au monde et aux choses, qui veut tout voir pour mieux les décrire. L’alcool suggère en outre la transgression, la possibilité de faire fi des tabous et des normes, et représente ici les audaces d’une poésie novatrice et moderne.

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