Le pouvoir des fables, Jean de La Fontaine, Les Fables, Livre VIII, 1678
Fiche de lecture : Le pouvoir des fables, Jean de La Fontaine, Les Fables, Livre VIII, 1678. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar bikemaster • 29 Avril 2021 • Fiche de lecture • 3 072 Mots (13 Pages) • 1 363 Vues
Le pouvoir des fables
Jean de La Fontaine, Les Fables, Livre VIII, 1678
A Monsieur de Barillon ...
Dans Athène autrefois, peuple vain et léger, Un orateur, voyant sa patrie en danger, Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république,
5 Il parla fortement sur le commun salut. On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes : Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
10 Le vent emporta tout, personne ne s'émut ; L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ; Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
15 Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres, commença-t-il, faisait voyage un jour Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant, Comme l'hirondelle en volant,
20 Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant Cria tout d'une voix : « Et Céres, que fit-elle ?
- Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux L'anima d'abord contre vous.
Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
25 Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? » A ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
30 Se donne entière à l'orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même, Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne m'était conté,
35 J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant Il le faut amuser encor comme un enfant.
Introduction
- Présentation de l’auteur et du contexte :
Jean de la Fontaine (1621-1695) est un auteur classique du XVIIème.
Après avoir commencé sa carrière comme avocat, il s'installe à Paris et décide de se consacrer à la littérature. La publication du poème L'Adonis (1658) lui vaut l'admiration et la protection du surintendant Fouquet. Cadeau empoisonné, puisqu'en 1661, alors qu'il est en train de composer Le Songe de Vaux, Fouquet est disgracié, arrêté et enfermé par le roi. La Fontaine est donc privé de son protecteur, et poursuivi par la disgrâce royale pour sa fidélité à M. Fouquet. Il juge alors prudent de s'éloigner de la capitale et part un temps dans le Limousin.
De retour à Paris, sa carrière reprend, avec, de 1664 à 1674, la publication des Contes, qui lui apporteront le succès.
En 1668, il publie Les Fables dont le premier recueil est destiné au dauphin. Ses fables sont inspirées de celles du fabuliste grec Ésope, du fabuliste latin Phèdre et de Pilpay sous forme d'apologue. Elles sont réunies en 12 livres. Les six premiers livres sont dédiés au Dauphin, et publiés en 1668. Puis le deuxième recueil de fables, les livres VII à XI, est publié dix ans plus tard en 1678. Enfin, le livre XII est publié en 1693-1694, après que Jean de la Fontaine a été élu à l'Académie Française (1683). Dans ces fables, il analyse les mœurs de son temps et développe des morales qui permettent aux hommes de s’adapter au monde auquel ils sont confrontés.
- Présentation de l’extrait étudié :
Le pouvoir des fables est la quatrième fable du livre VIII parut en 1678. Dans cette fable, adressée à
M. de Barillon, un ambassadeur français en Angleterre, La Fontaine ne met pas en scène des animaux comme dans les autres fables.
Dans la première partie, La Fontaine s’adresse directement à l’ambassadeur.
Le texte que je présente est la deuxième partie de la fable. La Fontaine lui décrit un orateur cherchant à se faire écouter par tous les moyens, et n’y parvenant finalement qu’à l'aide d'une fable. Cette fable est une mise en abyme (un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre similaire) : une fable dans la fable.
- L’enjeu du texte (problématique) :
Qu’est-ce qui rend la fable plus efficace qu’un long discours selon La Fontaine ?
- La structure du texte :
lignes 1 à 14 : Échec de l’argumentation rhétorique lignes 15 à 31 : L’efficacité de l’apologue
lignes 32 à 37 : La morale
ANALYSE LINÉAIRE
l. 1 à 14 : Échec de l’argumentation rhétorique
l. 1 et 2 : Dans Athène autrefois, peuple vain et léger, Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Ce sont des vers en alexandrins, avec des rimes suivies ce qui donne du rythme au récit et un effet poétique. Athène est sans s pour avoir 12 syllabes.
La Fontaine raconte la fable à M. De Barillon, l’ambassadeur. Il situe la fable à l’Antiquité.
L’orateur est anonyme : La Fontaine utilise l’article indéfini «un ». Il peut être n’importe qui. Le danger n’est pas défini non plus. L'orateur a une cause noble car il veut servir sa patrie : "voyant sa patrie en danger". Cela rend sa prise de parole universelle. Par la mise en garde de l’orateur au peuple d’Athènes, La Fontaine veut en fait mettre en garde M. de Barillon contre une guerre entre la France et l’Angleterre.
Il dévalorise le peuple Athénien dès le vers 1 en le qualifiant de "vain et léger", deux adjectifs peu élogieux. Il présente les Athéniens comme des gens frivoles, peu intéressés.
La Fontaine évoque leur désintérêt envers une situation particulièrement critique (« sa patrie en danger »)
l. 3 à 4 : Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république,
La Fontaine utilise le champ lexical de la politique « orateur, tribune, tyrannique, république ».
L’orateur veut convaincre son peuple par la force et lui imposer son point de vue « art tyrannique, forcer ». L’allitération en « r » montre sa détermination.
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