Jean de La Fontaine, Fables, VIII, 14, « Les Obsèques de la Lionne »
Fiche : Jean de La Fontaine, Fables, VIII, 14, « Les Obsèques de la Lionne ». Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Julius Julian • 2 Juin 2023 • Fiche • 3 195 Mots (13 Pages) • 185 Vues
Séquence n°2 - la littérature d’idées du XVIème au XVIIIème siècle
Texte 5 : Jean de La Fontaine, Fables, VIII, 14, « Les Obsèques de la Lionne »
La Fontaine : 1621-1695 – fabuliste classique ayant conféré à la fable ses lettres de noblesse par sa publication de 1668 à 1694 de ses 12 livres de fables.
(Songez à réviser si nécessaire la définition de la fable, genre relevant de l’argumentation indirecte et rangé dans la catégorie de l’apologue.)
« Les Obsèques de la Lionne » est la fable 14 du livre VIII ; écrite en vers irréguliers, elle comporte des octosyllabes et des alexandrins.
Cette fable met en scène des animaux courtisans à la cour du roi lion, ce dernier étant en deuil de sa femme. Alors que les courtisans se font « singes » du lion et miment sa douleur, le cerf se démarque car il ne pleure pas. Dénoncé, il est condamné par le lion, mais sa ruse lui fait imaginer un mensonge tel qu’il renverse la situation en sa faveur.
V. 1-23 : la condamnation des courtisans à l’occasion de la cérémonie des obsèques de la lionne
V. 24-55 : la valorisation de la ruse et du mensonge du cerf contre la tyrannie du roi lion (morale v.52-55)
Comment toute la fable est-elle une incitation à s’émanciper de la servilité réclamée par le pouvoir royal ?
Servilité : soumission excessive, bassesse, asservissement
I. (v.1-23) La condamnation des courtisans à l’occasion de la cérémonie des obsèques de la lionne
V.1-11 : la mort de la lionne et l’organisation des obsèques
Le vers 1, au passé simple, indique l’événement qui est le point de départ du récit et de la fable : la mort de la lionne. Pour autant, La Fontaine n’écrit pas « la lionne » mais a recours à la périphrase « la femme du Lion » - il faut donc d’emblée cerner ce que cette mort a de particulier : ce n’est pas la mort de n’importe quel animal, c’est la mort de la femme du roi (chacun sait que le lion désigne le roi dans le monde animal des fables). Et comme pour souligner la majesté du Lion, il opte pour une diérèse : « la femme du Li-on ». Au vers 3, le Lion sera désigné comme « le Prince » et, déjà, le nom commun « femme » se distingue de celui de « femelle ».
Dès le vers 2, l’empressement des courtisans est relevé : « Aussitôt chacun accourut / Pour s’acquitter envers le Prince / De certains compliments de consolation ».
- « aussitôt » est un adverbe temporel qui indique la succession immédiate d’un fait par rapport à un autre ;
- « accourir » : venir en courant à toute hâte.
- la richesse (3 sons en commun : ou, r, et u) de la rime « mourut » / « accourut » favorise le rapprochement entre les 2 termes afin de souligner leur proximité temporelle. L’octosyllabe, vers relativement court, facilite encore cela.
- le pronom « chacun », lui, indique un mouvement unanime : tout le monde se presse.
- le verbe « s’acquitter » montre que chacun se sent une obligation morale envers le Lion, dont il doit se libérer. Il n’y a donc pas de spontanéité, ni de mouvement du cœur pour aller soutenir et réconforter le lion.
Pourtant, le fabuliste-moraliste qui insère un commentaire au vers 5 (ce dont le lecteur peut se rendre compte par l’emploi du présent de vérité générale) paraît vouloir mettre en relief l’inutilité des condoléances. Non seulement les diérèses sur « consolation » et « affliction » soulignent leur caractère artificiel, mais le substantif « surcroît » avec, pour expansion du nom, « d’affliction », révèle que, au lieu de diminuer les douleurs, les condoléances les aggravent.
Nonobstant, « chacun » se précipite aux obsèques : « Jugez [si chacun s’y trouva] », fait remarquer ironiquement La Fontaine, en s’adressant à son lecteur : tous deux, complices, savent bien comment agissent les courtisans et à quel point ils sont prévisibles (ainsi, le lecteur peut répondre de lui-même à la [question indirecte]). Aussi faut-il noter que le lecteur de La Fontaine est extrait du groupe des courtisans (quand bien même il en ferait partie) : il les considère extérieurement et peut en être le spectateur amusé.
Si chacun se précipite, c’est que personne ne veut manquer une cérémonie royale de grande ampleur. En effet, dans le passage, La Fontaine emploie plusieurs termes qui renvoient au pouvoir royal : « Il fit avertir sa Province », « ses Prévôts [grands officiers chargés des cérémonies] y seraient pour régler la cérémonie, / Et pour placer la compagnie » - verbe de commandement, termes renvoyant à l’organisation du royaume, au protocole, déterminants possessifs marquant la possession (« sa, ses »).
Le terme de « compagnie » peut nous arrêter : effectivement, le substantif peut désigner un groupe de gens réunis dans un but distractif : on peut se demander si, pour la cour, les obsèques ne sont pas un divertissement.
V. 12-23 : la satire des courtisans, gens serviles et sans individualité
Les vers 12-13 rapportent le comportement du lion, appelé à nouveau « le Prince » : son attitude est peu régalienne [= royale], peu digne, puisqu’il « s’abandonn[e] » aux cris (son exagération peut nous inviter à nous demander si ce deuil n’est pas lui-même feint ; à moins que ce ne soit un signe d’absence de maîtrise de ses passions et de sagesse). Le fait d’avoir placé le COI avant la césure de l’octosyllabe l’accentue, et met en évidence l’allitération en /r/ : « Le Prince aux cris s’abandonna, / Et tout son antre en résonna. »
De plus, alors que le lion a été désigné comme le « prince », La Fontaine met à nouveau en évidence son animalité par la mention des « cris », de l’« antre », et encore par cette remarque amusée : « Les Lions n’ont point d’autre temple » - il n’a pas non plus de prévôts, pourrait-on lui rétorquer ! Mais, fabuliste libre, La Fontaine joue sur la frontière poreuse entre l’homme et l’animal : ses personnages oscillent entre animalité et humanité, montrant tout à la fois l’humanité des animaux et la bestialité des hommes.
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