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Jean Luc Lagarce

Dissertation : Jean Luc Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  17 Avril 2022  •  Dissertation  •  3 114 Mots (13 Pages)  •  891 Vues

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L’homme de théâtre Jean-Charles Mouveaux affirme dans un entretien : « Toute l’écriture de Lagarce se trouve dans l’épilogue de Juste la fin du monde. C’est cette impossibilité de dire au monde et d’exprimer qui implique la nécessité d’écrire ». Dans quelle mesure peut-on dire que la difficulté de communiquer se trouve au cœur de l’expression des crises personnelles et familiales chez Lagarce ?

Le XXème siècle, marqué par des tragédies mondiales, voit se transformer profondément la manière d’aborder les arts en général, et le théâtre en particulier. Les genres traditionnels se renouvellent profondément, ou sont abandonnés, au profit d’une liberté créatrice qui est le signe de nouvelles visions du monde. Ainsi, le théâtre de l’absurde, dans la seconde moitié du siècle, témoigne des traumatismes résultant de la guerre, des totalitarismes ou encore des idéologies extrêmes, par une mise en scène dépouillée ou surprenante, et un langage particulier exprimant le non-sens, l’absurdité de la vie, ou encore le tragique de l’existence. Jean-Luc Lagarce, dramaturge de la fin du siècle, ressent très tôt une attirance pour cette forme théâtrale mêlant comique et tragique. Son œuvre, souvent marquée par le désir de témoigner de crises familiales, devient plus sombre encore après l’annonce de sa séropositivité et de sa mort imminente. C’est le cas dans Juste la fin du monde, pièce dans laquelle le jeune Louis, écrivain, double fictionnel de l’auteur, tente vainement d’annoncer à sa famille d’origine modeste et restée en province sa mort prochaine. Lorsque l’homme de théâtre Jean-Charles Mouveaux affirme que dans cette œuvre, « c’est cette impossibilité de dire au monde et d’exprimer qui implique la nécessité d’écrire », il rappelle que le langage du dramaturge est fait d’hésitations, de reprises, de silences, qui sont le signe d’une difficulté à exprimer sa pensée, à dire la vérité de son être. Mais il précise également que la parole est tout de même essentielle pour dire ces difficultés, exprimer l’angoisse de la mort, de la relation aux autres ; et c’est précisément ce langage difficilement éclos qui crée une œuvre d’art : la pièce de théâtre elle-même. Ainsi, en témoignant des crises, la parole théâtrale les révèle et en fait un discours plus universel.

Ainsi, nous chercherons à analyser comment le langage se révèle essentiel, dans cette œuvre, pour parvenir à exprimer les crises personnelles et familiales.

Dans une première partie, nous étudierons les indices textuels qui témoignent d’une difficulté à communiquer au sein de la famille. Puis nous verrons en quoi cette parole peut être le vecteur du mensonge et de l’illusion, et devenir violente. Enfin, nous tenterons de voir en quoi l’impossibilité de communiquer aboutit à d’autres formes de langage que le langage habituel.

Dans un premier temps, la difficulté à communiquer de cette famille se décèle à la fois dans les hésitations et les répétitions des personnages, ainsi que dans une interrogation incessante sur leur propre parole.

En effet, presque tous les personnages se reprennent sans cesse, modifient leurs phrases, cherchent le mot juste. Les vers libres créent un effet de coupure, de reprises en anaphores, d’hésitations. En outre, l’usage de l’épanorthose est omniprésent. Suzanne cherche par exemple à définir la nature exacte des lettres très courtes que lui envoyait son frère Louis en s’y reprenant à plusieurs reprises : « ce ne sont pas des lettres, qu’est-ce que c’est ? » se demande-t-elle, puis elle ajoute « de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu’on dit ? / elliptiques ». Elle semble vouloir chercher ses mots, s’y reprendre à plusieurs fois pour cerner davantage sa pensée, mais aussi montrer à Louis que malgré ses origines modestes, elle est capable de réfléchir et de s’exprimer avec précision. Antoine, quant à lui, redéfinit également le moment du départ de son frère en en faisant peu à peu un abandon (« lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas », dit-il). Ces hésitations se traduisent aussi par de nombreuses répétitions, qui viennent insister sur une idée fixe, un sentiment obsessionnel. C’est le cas d’Antoine également, qui, rejeté ce jour-là par sa famille, ne veut pas qu’on l’assimile à un personnage brutal : « je ne voulais pas être brutal » affirme-t-il, « je ne suis pas un homme brutal, ce n’est pas vrai, c’est vous qui imaginez cela, vous ne me regardez pas, vous dites que je suis brutal, mais je ne le suis pas et je ne l’ai jamais été ». Chez la mère, ces répétitions sont souvent le signe de ce que le personnage est un peu perdu dans ses souvenirs, comme un personnage qui ressasserait continuellement les mêmes idées. En effet, alors que son fils Louis est enfin présent après des années d’absence, elle ne cesse de revenir régulièrement sur l’évocation des « dimanches » du passé. Enfin, même Louis est marqué par ce type de langage, qui témoigne d’une gêne, d’un mal-être permanent. Il affirme par exemple dans le prologue qu’il eut un jour l’idée « que tout le monde après s’être fait une certaine idée de [lui], / un jour ou l’autre ne [l]’aime plus, ne [l]’aima plus / et qu’on ne [l]’aime plus / [...] qu’on [l]’abandonna toujours car [il] demande l’abandon ». Dans toute la pièce, les personnages cherchent donc à définir davantage leurs émotions, par des hésitations et reformulations.

La réflexion de chaque personnage sur le langage lui-même est d’ailleurs explicite à de nombreuses reprises. En effet, on note une multitude de remarques qui indiquent qu’ils commentent leur prise de parole, sans doute à cause d’une difficulté à communiquer une idée juste, un sentiment violent, une frustration. « Je ne trouve pas les mots », nous dit Louis dans le prologue, où il explique qu’il doit dire à sa famille qu’il va prochainement mourir. En effet, la difficulté à dire la mort est omniprésente dans l’œuvre, mais elle est aussi liée à la difficulté à dire que l’on aime sa famille, surtout lorsque ce sentiment semble mêlé d’une certaine rancœur. Suzanne, elle, se trouve comme enfermée chez elle, car elle semble ne pas trouver les mots pour dire son mal- être : « Je voudrais partir mais ce n’est guère possible » affirme-t-elle, « je ne sais comment l’expliquer, / comment le dire, / alors je ne le dis pas ». Beaucoup d’expressions reviennent également au milieu des phrases parfois interminables des personnages, qui ont tant à dire en une seule journée : ils affirment « ce que je dis », « ce que tu dis », ou encore « on dit ça »,

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