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Incendies Mouawad

Commentaire de texte : Incendies Mouawad. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  19 Janvier 2018  •  Commentaire de texte  •  3 281 Mots (14 Pages)  •  13 860 Vues

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LECTURE ANALYTIQUE N°11

INTRODUCTION

Le théâtre doit ses origines à trois auteurs, Eschyle, Sophocle et Euripide qui inventent le théâtre grec classique à Athènes au Vème siècle avant JC. Au cours des siècles, ce théâtre évolue jusqu’à devenir celui que nous connaissons aujourd’hui : le théâtre contemporain. Wajdi Mouawad, auteur de Littoral et de Tideline, en est l’un de ses grands auteurs. Sa pièce Incendies, écrite en 2003, nous raconte l’histoire de Simon et Jeanne, deux jumeaux, qui à la mort de leur mère, Nawal Marwan, apprennent l’existence d’un père et d’un frère au Liban. La pièce va ainsi s’organiser autour du voyage entrepris par les deux jeunes gens et des flash-backs de la vie passée de leur mère. L’extrait que nous étudions est tiré de la scène 31 de la pièce, intitulée « L’homme qui joue ». On y découvre Nihad, l’enfant que Nawal a eu à 15 ans et a été contrainte d’abandonner. L’auteur laisse le lecteur se faire son propre avis sur ce personnage. Puisqu’en effet,  il choisit comme première rencontre de le lui montrer dans son quotidien.

PROBLEMATIQUE ET PLAN

Nous nous demanderons alors comment Mouawad parvient à dévoiler le personnage de Nihad par une scène d’action. Pour répondre à ce questionnement, nous nous intéresserons d’abord à la scène d’action avant d’étudier le dialogue faussé pour finir par porter notre analyse sur le personnage dangereux et paradoxal qu’incarne Nihad.

  1. UNE SCENE D’ACTION
  1. Dans cette scène, la violence n’est pas racontée mais directement représentée. Les didascalies, de la ligne 1 à 17, prennent une part plus importante que les répliques des personnages. Nihad, avant même de parler, est définit par ses actes de tueur embusqué. En effet, les mêmes actions se répètent à travers la reprise des verbes « tirer » (sept fois), « recharger » (deux fois) et « viser » (trois fois). L’énumération de ces verbes et la répétition de ces actions font de Nihad une machine à tuer. Cette image est renforcée par l’ellipse des pronoms personnels avec « tire de nouveau, recharge, s’immobilise et tire encore » (l.12) ou « prend son fusil et vise tout près de lui » (l.15).

  1. Les phrases nominales brèves comme « un jeune homme en haut d’un immeuble » (l.1), « seul » et « walkman (modèle 1980) sur les oreilles » (l.2) accentuent l’impression de rapidité. Le  rythme  soutenu  des  faits  et  gestes  du  tueur  est  perceptible  grâce à l’utilisation récurrente d’adverbes tels que « soudain », « rapidement », « très rapidement » (deux fois), « soudainement » et de la locution adverbiale « d’un coup ».
  1. Toutes ces actions peuvent aussi rappeler celles d’un prédateur à l’affût de sa proie et prêt  à  bondir: «Soudain,  son attention est attirée par quelque chose au loin.»(l.9). Ce même prédateur tire « par les cheveux un homme blessé » (l.17) comme une proie ramener dans sa tanière. Cependant à la nuance que la violence de Nihad malmène gratuitement ses victimes. 
  1. Le lecteur ne sait rien de ce que voit ce personnage ni de sur quoi il tire, on peut apparenter ce procédé à une focalisation puisque l’auteur fait délibérément le choix de placer le lecteur du côté du tueur et non pas de la victime. Celui-ci va donc adopter son parti et se laisser entrainer dans le rythme de l’action avec lui.
  1. Dans ces quelques premières lignes, Mouawad nous décrit le fonctionnement instinctif du tueur que représente Nihad. En effet, ce tueur « épaule son fusil » (l.10), « vise » (l.10), « tire un coup » (l.11) puis « il s’arrête soudainement. Il se plaque au sol » (l.15), tous ces exemples traduisent l’habitude de l’action qui apparait aussi banale et instinctive pour le personnage que de sourire ou de marcher.
  1. Cette scène est influencée, dans l’écriture, par le cinéma et la télévision. Effectivement, la première image scénique nous le montre posté «sur le toit d’un immeuble»,  ici le caractère  visuel  de  la  scène  est mis  en  avant  par  la verticalité de l’espace.
  1. Puis, comme par un effet de zoom, le personnage va être cadré plus prêt : il mime  le concert « fusil à lunette en guise de guitare » (l.3), nous le suivons alors dans ses moindres gestes, avec des équivalents, dans l’écriture, d’une série de plans cinématographiques.  De plus, l’action est soutenue par une bande-son qui  mêle  la  musique  diffusée depuis le Walkman® et les moments chantés ou sonorisés par Nihad « Kankinkankan, boudou » (l.5 et 6).
  1. Par deux fois, les didascalies produisent, un effet de gros plan sur le Walkman®, le premier pour permettre l’identification du modèle du personnage (« modèle 1980 » (l.2)), l’autre quand le tueur l’abandonne par terre pour ramener sa victime (« Il a laissé son walkman qui continue à jouer » (l.17)). L’enchaînement  des  actions  dans  les  deux  premières  didascalies  (par exemple : « il s’arrête soudainement. Il se plaque au sol », « prend son fusil »,  «  il  se  lève  d’un  coup  et  tire  »)  prend  la  forme d’un récit mené en focalisation externe qui  peut  rappeler  un reportage documentaire pris sur le vif.

        

  1. LE DIALOGUE FAUSSE
  1. Le dialogue entre l’homme et Nihad est faussé par la situation qui repose sur le rapport dominant / dominé: Nihad a une arme, il vient de tirer sur l’homme et de le violencé tandis que celui-ci est blessé et a peur (« je ne veux pas mourir ! », « laissez-moi partir », « Ne me tuez pas ! »). La  ponctuation alterne également entre phrases exclamatives « je ne veux pas mourir ! » (l.18) et phrases en suspension « oui…de guerre… » (l.22). L’homme semble avoir du mal à trouver ses mots et aller au bout de ses phrases, surement plus à cause de la terreur que de la douleur de sa blessure.

  1. L’enchaînement des répliques montre qu’elles ne se répondent pas vraiment. Puisqu’en effet l’homme ouvre le dialogue  en  se  révoltant  contre  son  sort  par  un redoublement de l’adverbe de négation (« Non, non »)et  une  phrase exclamative  exprimant  son  désir  de  vivre « je ne veux pas mourir ». Or, la réponse du tueur n’en est pas une, puisqu’elle est accompagnée à deux reprises de la citation des propos de l’homme assortie d’un commentaire cinglant : « c’est la phrase la plus débile que je connaisse ! ».

  1. L’homme adresse alors une supplique à Nihad par un impératif de souhait « Laissez-moi partir ! » ainsi que par le verbe prier et l’interpellation de l’interlocuteur avec « Je vous en prie ». Cependant, ce  qui va faire  réagir  le  tueur  et  déclencher  le  dialogue  entre les deux hommes est l’aveu: « Je suis photographe ». Le mot « photographe » a, ici, un rôle de déclencheur. Puisqu’il  permet  en  effet  à  l’homme  de  bénéficier  brièvement  de  toute l’attention  de  Nihad,  et  nous donne aussi  l’occasion  d’obtenir  quelques informations  sur  l’identité  de  ce  tueur  et   sur quelques  traits  de  sa personnalité.
  1. Les  deux  répliques  suivantes  de  l’homme  portent  sur  son  métier  de  « photographe de guerre » et sur les raisons qui l’ont conduit jusqu’à Nihad (« je voulais prendre un franc-tireur » (l.24)). Cependant, celles-ci sont courtes et morcelées de points de  suspension: cet  homme  joue, à ce moment,  sa  vie. Il  lui  faut  donc  surmonter  sa peur pour s’exprimer le plus clairement possible, de façon à convaincre le tueur  de  l’épargner  :  «  Oui...  de  guerre...  photographe  de  guerre  ».  
  1. Le dialogue semble se nouer à la réplique suivante avec la double confidence de Nihad  («Moi aussi, je suis photographe») et la révélation de son prénom (« je m’appelle Nihad » (l.26)). Avec cette réplique, le lecteur peut s’attendre à un retournement de situation, puisqu’une cette activité pourrait rapprocher les deux hommes. Cette hypothèse est aussi confortée par l’usage immédiat que Nihad fait du tutoiement («Et tu m’as pris en photo?...») et notamment par la tournure emphatique (« Moi aussi, je suis photographe », renchérit Nihad).
  1. Cependant, le dialogue tourne vite court quand l’homme, ayant vu les photos de Nihad,  ne  sachant  manifestement  pas  quoi  répondre,  essaie  de  se tirer d’affaire par un compliment : « C’est très beau... » (l.28). Un jugement esthétique qui,  renforcé  par  l’adverbe  d’intensité « très »,  ne  peut être  sincère  dans  cette  situation et  suscite alors une réaction  catégorique  de Nihad : « Non ! Ce n’est pas beau. ». Effectivement, ces photos représentent des « morts ». Le second  déclencheur  de  l’action  est donc la  mention  de  la  beauté, une beauté contre laquelle Nihad semble se révolter.
  1. Or, après avoir brièvement expliqué sa démarche de photographe et de tueur, il se tait. Les  didascalies  viennent  alors  se substituer  à  sa  parole,  qui prépare méthodiquement l’exécution du photographe en même temps que sa prochaine  photographie.  Les  deux  autres  répliques  de  la  victime vont alors réitérer  la même  question  («  Qu’est-ce  que  vous  faites  ?  »)  et vont l’appeler  à  la  pitié, mais n’obtiennent ni réponse ni réaction.
  1. NIHAD, PERSONNAGE PARADOXAL ET DANGEREUX
  1. L’auteur dans cette scène nous peint le portrait d’un personnage paradoxal et dangereux. Nihad  semble se réfugier  dans  le  rêve  d’un  monde  imaginaire. Cet  enfermement  dans ce monde est  visible  dans l’échange entre les deux hommes,  où  la  première  réplique  de  Nihad  exprime  une réaction  violente  à  la  phrase  prononcée  par  son  interlocuteur,  jugée  « débile  »,  comme  si  ce  dernier  jouait mal  son  rôle,  improvisait  mal. On a l’impression que Nihad se croit dans un film.
  1. Face à une situation concrète de dialogue avec un homme bien vivant, il  semble  ne  pas  trop  savoir  comment  réagir,  hésitant  entre  le tutoiement et le vouvoiement(« et tu m’as pris en photo ? » et plus loin : « Je vous jure »).
  1. De plus, le rôle de Kirk, l’animateur de l’émission, est tenu par l’homme mort à qui Nihad s’adresse directement. Le jeune homme est donc plus à l’aise avec les morts ou les personnages fictifs qu’avec les vivants. Par certains côtés, Nihad a  encore  quelque  chose  d’un  enfant surement dû au fait de son jeune âge.
  1. De  plus,  il  cherche  à  être  reconnu  par  le  photographe  en  l’invitant  à regarder  ses  photos  (« regarde »)  et  en  soulignant  qu’il  en  est l’auteur  par  une tournure  emphatique:  « C’est  moi  qui  les  ai prises. » Il semble important pour lui que l’homme le prenne au sérieux à double titre, comme tueur et comme photographe. 
  1. Le  serment  solennel qu’il  prononce  pour  attester  la  véracité  de  ses paroles  («  Je  vous  jure  »)  est  à la fois incongru et touchant, comme s’il était soudain dans la peau d’un enfant soupçonné de mensonge. L’identité  de  ce  personnage  est  donc  paradoxale; Nihad cherche encore sa place dans le monde et souffre d’un besoin de reconnaissance, comme  en  témoigne  son  identification,  à  la  fin  de  la  scène,  à une  star du rock dans une émission de télévision.
  1. Pourtant, cet artiste raté fait froid dans le dos : il transforme son activité meurtrière en œuvre d’art. Ses photos constituent une véritable collection qui comporte un caractère obsessionnel.  En  effet,  elles  reprennent  toujours  le  même  motif: «La plupart du temps on pense que ce sont des gens qui dorment. Mais non. Ils sont morts. C’est moi qui les ai tués ! ». Cet «on» présume que  Nihad  a  déjà montré  ses  photos. De plus, la facilité avec laquelle celui-ci revient sans aucun état d’âme à son travail de tueur, après avoir parlé à cet homme aussi librement, est déconcertante et effrayante pour le lecteur.
  1. Préparant minutieusement et de sang-froid le crime du photographe (aux didascalies de la ligne 32 à 34), il semble perfectionner son  mode  opératoire  en  photographiant sa victime au moment où elle est précisément saisie par la mort. Implicitement, nous comprenons que cette photo promet d’être le clou de sa série : « Nihad tire. L’appareil se déclenche en même temps. Apparaît la photo de l’homme au moment où il est touché par la balle du fusil. ». L’usage du présent, de même que la projection de l’image photographiée sur la scène, accentue l’impression d’exacte simultanéité entre le geste de l’assassin et celui du photographe.
  1. Ce faisant, Nihad enfreint un tabou ; il est atteint d’une forme de désir  de  voir  au-delà  de  ce  qui  peut  être  vu, un désir qui fait de lui un monstre. Mais ce monstre est aussi un être en situation d’addiction par rapport  à  l’image  télévisée  et  à  la  musique,  qui  ont  sur  lui  l’effet  de drogues anesthésiant toute sensibilité.

CONCLUSION

Pour conclure, grâce  à  cette scène  d’action,  nous  découvrons un  personnage  essentiel  au dénouement de  la  pièce. Nihad, l’enfant de Nawal, est devenu une machine à tuer déshumanisée et un prédateur hors pair. Personnage paradoxal et dangereux, le jeune Nihad se montre déjà très prometteur dans  la  voie  du mal.  En  effet,  derrière  le stéréotype  du  tueur embusqué  se  dévoile  un psychopathe  fasciné  par  la  mort  et  par la photographie, qui ne tire  pas  seulement  sur  ceux  de l’autre  camp,  mais  aussi  sur  les  journalistes.  Ce  portrait  en  pleine action  du tueur en  tant qu’artiste  capte l’attention  du spectateur,  le  séduit  et  le  fascine  tout  autant qu’il  l’inquiète, l’effraie ou le met profondément mal  à l’aise. On peut sourire de son imitation médiocre d’un chanteur de rock, on peut aussi être ému par les traits d’enfance qu’il  a  conservés  comme  malgré  lui, mais ces quelques nuances n’en réduisent en rien l’effroi que communique le personnage.

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