En quoi la princesse de Clèves peut-elle être considérée comme une héroïne tragique ?
Dissertation : En quoi la princesse de Clèves peut-elle être considérée comme une héroïne tragique ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Enzo GIREAU • 15 Juin 2022 • Dissertation • 2 145 Mots (9 Pages) • 388 Vues
Plan de dissertation :
En quoi la princesse de Clèves peut-elle être considérée comme une héroïne tragique ?
I. La cour : un microcosme où règne un ordre supérieur
A) Le poids du regard
- Dès l’entrée de Mlle de Chartres à la cour, c’est le regard des courtisans qui souligne les caractéristiques dominantes de la jeune fille, en particulier sa beauté. L’isotopie de la vue est ainsi très présente dans tous les moments à la cour. Par sa beauté, la princesse fait l’objet de la convoitise.
- On ne peut se soustraire à cette dictature du regard sous peine d’être ostracisé. Dans la partie II, le prince de Clèves s’inquiète de la tendance de la princesse à rester seule, comportement qu’il juge surprenant, avant de le juger suspect. Se tenir à l’écart de la cour est également un risque pour l’intégration sociale à la cour. Ainsi, Mme de Chartres, alors qu’elle a veillé à éloigner sa fille de la cour lors de son éducation, se voit contrainte de l’y conduire afin de lui trouver un bon parti à épouser.
- Ce poids du regard pèse sur toutes les jeunes femmes célibataires ou veuves. Dans Yvain, le Chevalier au lion, Chrétien de Troyes donne à entendre la pression sociale exercée sur la dame de Landuc après la mort de son mari. Tous ses vassaux et sa servante l’exhortent à se remarier afin d’être protégée et de sécuriser son domaine convoité. Comme une héritière de cette histoire littéraire des femmes, La Princesse de Clèves montre aussi ces attentes sexistes de la société.
B) Le diktat du rang social
- Dans l’Ancien Régime, les individus sont avant tout identifiés à la classe sociale à laquelle ils appartiennent. A l’intérieur même de chaque classe, une grande hiérarchie est établie. Ainsi, Mlle de Chartres est « un des grands partis qu’il y eût en France » (partie I), elle ne pourra donc épouse qu’un homme issu d’une famille au moins aussi illustre que la sienne. Le chevalier de Guise, séduit par la jeune héritière, ne voit que « de l’impossibilité » dans ce désir d’union « par le peu de biens qu’il avait pour soutenir son rang ».
- Non seulement la renommée de la famille est-elle essentielle, mais aussi la place de l’individu au sein de cette famille. C’est pourquoi le prince de Clèves, qui n’est pas l’aîné de sa famille, craint que Mme de Chartres refuse de lui donner sa fille pour épouse.
C) Les intrigues et tentations
- Dès la 1ère partie, la cour est présentée comme un milieu où il faut savoir dissimuler pour y garder une place de choix. La Reine souffre de voir son mari, Henri II, aimer la duchesse de Valentinois mais son « humeur ambitieuse » la pousse à cacher sa peine pour garder son rang et ne pas s’humilier. La Reine, elle-même, est la maîtresse du vidame de Chartres : c’est pourquoi il faudra impérativement lui cacher la liaison de ce dernier avec Mme de Thémines quand une lettre écrite par cette dernière sera égarée à la cour.
- La « magnificence et la galanterie » sont les premiers termes caractérisant la cour. C’est par la métonymie « une beauté » que l’héroïne fera son apparition à la cour. Tout le monde est susceptible d’aimer ailleurs, le tout est de savoir le dissimuler. La rumeur va bon train à la cour et détruit tout sur son passage. Quand la rumeur selon laquelle une lettre galante aurait été écrite par le duc de Nemours se répand, elle cause de terribles souffrances à la princesse amoureuse ... sans que celle-ci ne soit responsable de quoi que ce soit.
==> Les personnages sont les jouets d’un ordre social rigide au sein duquel il leur est difficile d’exprimer des sentiments et de se montrer sincères. Dans ces conditions, l’amour peut être une expérience douloureuse et il est très ardu de faire preuve d’une grande vertu quand le mensonge règne partout.
II. Une héroïne irréprochable.
A) Mlle de Chartres : le personnage principal idéal
- La « beauté » qui définit la jeune fille lors de son arrivée à la cour, détaillée ensuite par ses « cheveux blonds » et « la blancheur de son teint », font d’elle un archétype de la beauté féminine du XVIIème siècle.
- Par ailleurs, sa beauté égale son éducation, à la fois traditionnelle (pieuse, à distance de la cour et de ses intrigues) et originale pour la place que sa mère a donné à l’amour, dont les « peintures » illustraient à la fois les beaux aspects (réciprocité, confiance) que les dangers (trahison, inquiétude). On sait aussi que sa mère a cherché à éveiller son esprit, sa réflexion, ce qui n’était pas commun dans l’éducation des jeunes filles de l’époque.
- Ces caractéristiques en font l’archétype de la jeune courtisane idéale à l’époque de Mme de Lafayette, à la fois traditionnelle et moderne. Cela permet à l’héroïne de susciter l’adhésion du lecteur, essentielle pour ensuite provoquer la compassion.
B) Une vertu à toute épreuve
- L’originalité de la jeune femme se trouve aussi dans le fait qu’elle fut éduquée par sa mère, dont « la vertu et le mérite » sont « extraordinaires ». La perfection morale est une des caractéristiques dominantes de la jeune femme.
- A chaque fois qu’elle sentira trop de danger en présence du duc de Nemours, elle se sentira coupable, décidera de renoncer à lui et s’éloignera de la cour, lieu des tentations et des intrigues. Elle ira ainsi dans sa maison de Coulommiers après la mort de sa mère (cette dernière ayant perçu qu’elle aimait ailleurs), lorsque la cour suivra la Reine en Espagne car le Prince lui aura dit que le duc de Nemours y serait, mais également lors du sacre du roi François II à Reims. Cette rectitude morale, cette force grâce à laquelle elle parvient à se tenir à distance de ce qu’elle estime contraire à ses valeurs suscitent immanquablement l’admiration du lecteur classique.
- Cette rigueur morale fera l’objet d’un réel dilemme dès lors qu’elle sera amoureuse d’un homme qu’elle ne pourra épouser. Les champs lexicaux de la raison et des sentiments sont sans cesse présents et mis en opposition dans le roman pour illustrer ce dilemme. On peut voir dans cette opposition l’influence du jansénisme, très présent dans la vie de Mme de Lafayette. Selon cette doctrine, l’homme naissant du péché, il doit éviter tout ce qui le détourne de Dieu, en particulier les passions, afin de s’adonner à la piété. On peut voir en Mme de Chartres l’incarnation de cette doctrine qui fait de la vertu chrétienne la seule direction acceptable.
C) Un personnage hors du commun
- A de nombreuses reprises, le caractère exceptionnel de la princesse de Clèves sera souligné. Dès son arrivée à la cour, on sait les qualités de sa mère « extraordinaires » et ses caractéristiques physiques « lui donnaient un éclat qu’on n’a jamais vu qu’à elle ». Exceptionnelle par sa naissance et son éducation, la jeune fille semble alors promise à une vie hors du commun.
- Mais son fait le plus inattendu sera bien son aveu au prince de Clèves (« il n’y a pas dans le monde une autre aventure pareille à la mienne ; il n’y a point une autre femme capable de la même chose »). Alors que celui-ci, dans la partie III, s’inquiète de voir sa femme s’isoler de plus en plus des festivités de la cour, elle se voit contrainte, étant incapable de mentir, de lui révéler qu’elle aime un autre homme. Cet aveu suscitera de nombreuses critiques chez les contemporains de Mme de Lafayette qui le trouveront invraisemblable, tant il requiert de vertu. S’il est invraisemblable, c’est bien parce que la Princesse n’est pas une femme ordinaire, mais parce qu’elle possède une grandeur morale qui font d’elle un personnage héroïque. Dans la quatrième partie, après la mort du Prince, alors qu’elle pourrait enfin épouser le duc de Nemours, elle s’y refusera. Pour la Princesse, elle et le duc sont tous deux entachés par leur manquement à la vertu (ils ont laissé la passion s’installer en eux), or ce qu’ils aiment l’un chez l’autre est bien cette grandeur d’âme caractéristique des héros. Ils ont commis ce qu’elle voit comme le mal, ils ne s’aimeront donc plus comme avant et sont donc voués à souffrir.
- Pour les mêmes raisons, Julie renoncera à Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1761). Comme la princesse de Clèves, Julie considérera que renoncer à la vertu endommagerait son image, celle qui a tant charmé l’homme qu’elle aime. En retour, le savoir incapable de résister à la passion diminuerait aussi cet homme à ces yeux, mettant ainsi leur amour en échec. On peut voir en Julie l’héritière de la princesse de Clèves pour son déchirement entre sentiments et vertu, la force de son caractère.
III. La vertu est mise à l’épreuve de la fatalité.
A) Des signes annonciateurs
- Dans de telles circonstances, il paraît impossible de vivre heureux à la cour. De nombreux signes annonciateurs laissaient imaginer le malheur qui serait celui de la princesse. En effet, dès son arrivée à la cour, son éducation hors du commun font de Mme de Chartres une femme différente, qui pense pouvoir mieux éduquer sa fille ... et qui pèche donc par sa fierté. L’absence de père laissera aussi la jeune fille seule avec sa passion après la mort de sa mère. Enfin, sa grande beauté suscite une convoitise si dangereuse que même le seul homme de sa famille capable de la protéger (son cousin, le vidame de Chartres) ne peut y résister.
- La mort est omniprésente dans le roman, comme un présage sinistre : son père, sa mère, puis le roi Henri II, le Prince. A chaque fois, un homme ou une femme se retrouve face aux « douleurs mortelles de l’amour » : Mme de Chartres à la mort du père de l’héroïne, la duchesse de Valentinois. Ces « douleurs mortelles » sont parfois aussi celles de la culpabilité (ressentie par la Princesse à la mort du Prince) mais aussi celle de la trahison (Estouteville à la mort de Mme de Tournon).
- Les histoires enchâssées (Mme de Tournon, Anne de Boulen) et l’épisode de la lettre, s’ils mettent en garde la Princesse contre les dangers de la passion, annoncent aussi ce à quoi elle est promise si elle ne parvient pas à éteindre la flamme de son amour pour Nemours.
B) L’ironie de situation au service du malheur
- Le mariage de Mlle de Chartres avec le prince de Clèves est raconté avec une grande brièveté car il n’y a aucune émotion chez la Princesse. Contrairement à ce que désire le Prince, l’amour n’est pas réciproque : le malheur est donc inévitable. La mère de la jeune fille lui avait en effet annoncé ce qui « seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée ». Si elle a cédé à la pression sociale et à son attachement sincère pour le Prince, son mariage est voué à la catastrophe.
- L’émotion sera, en revanche, très présente lors des fiançailles de Claude de France où le Roi demandera que le duc de Nemours danse avec la jeune mariée. Alors qu’elle aurait dû être émue lors de son mariage, en dansant avec son mari, c’est à une autre cérémonie, avec un autre homme qu’elle ressent un profond bouleversement : l’amour. Le contraste est saisissant et laisse imaginer le trouble profond qui minera toutes ses certitudes et aboutira à sa fin pathétique.
C) L’enchaînement funeste des péripéties
- La Princesse se débat courageusement avec ses sentiments, mais la machine infernale semble inarrêtable. Alors qu’elle fait preuve d’honnêteté envers le Prince, qu’elle estime profondément, ce dernier, après avoir admiré la sincérité de sa femme, tombera malade de chagrin et de jalousie et mourra, rendant impossible tout bonheur pour la princesse rendue coupable.
- De la même manière, alors qu’elle s’isole à Coulommiers pour éviter de rencontrer le duc et stimuler sa passion, ce dernier la suit en cachette et la voit en train d’admirer un tableau le représentant. Les sentiments de ce dernier à son égard n’en seront que plus importants.
- Lors de l’absence du Prince pour le couronnement de François II à Reims, elle choisira de rester à la campagne pour ne pas rencontrer Nemours. Ce dernier ne partira finalement pas non plus à Reims avec l’espoir de voir la Princesse. Quand le Prince apprendra qu’elle a refusé de voir Nemours, il ne sera que plus affecté car il comprendra à quel point la passion de la jeune femme est dangereuse, accélérant ainsi leur malheur.
==> La Princesse semble dans une spirale infernale la vouant au malheur, depuis la mort de son père (elle est laissée sans protecteur) jusqu’à son refus d’épouser Nemours car elle pressent l’échec de leur mariage.
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