Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand
Commentaire de texte : Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jad TIHAMI • 7 Avril 2017 • Commentaire de texte • 1 145 Mots (5 Pages) • 2 702 Vues
Introduction
[Amorce] À la fin du xixe siècle, la pièce d’Edmond Rostand Cyrano de Bergerac, histoire d’amour et d’amitié qui se déroule vers 1640, renoue avec les grandes pièces du drame romantique comme Hernani ou Ruy Blas de Victor Hugo.
[Le texte] Par un étrange pacte, Cyrano prête au beau Christian ses talents de poète pour séduire la belle Roxane en lui écrivant de superbes lettres d’amour. Ici, caché sous le balcon de Roxane, Cyrano souffle ses mots d’amour à Christian, puis, la nuit aidant, prend lui-même la parole et laisse parler son cœur. Roxane propose un baiser à Christian…
[Annonce des axes] Cyrano, troublé, redouble d’éloquence et trouve les arguments pour faire tomber les dernières résistances de Roxane. L’émotion est ici humoristique, renforcée par les ruptures de registres : Rostand mêle au pathétique de la situation des moments plus légers, presque comiques.
I. Une habile stratégie de séduction
1. Rassurer
- Dans un premier temps, Cyrano s’efforce de rassurer Roxane sur l’innocence de ce baiser, présenté comme inéluctable par le futur « que sera-ce la chose ? » Il lui montre qu’il s’agit seulement de l’aboutissement d’un parcours sentimental obligé dont il rappelle les étapes déjà parcourues (« badinage », « sourire », « soupirs », « larmes »). L’abondance des sonorités en ss en traduit la progression aussi « douce » qu’« insensible ».
- Puis il minimise adroitement la gravité d’un tel abandon, d’abord par des conseils (« Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose », « Ne vous en faites pas un épouvantement »), puis en donnant du baiser plusieurs définitions à la manière des précieuses. Il y emploie toujours des expressions diminutives : « à tout prendre, qu’est-ce ? », « un point », « un instant », « un peu », « au bord ».
- Mais, en même temps, ces définitions comportent des aspects valorisants qui garantissent la sincérité des gestes : « un serment », « une promesse infinie », « communion », « âme ».
2. Troubler les sens
- Cyrano semble vouloir créer un vertige chez Roxane, par la reprise du mot « baiser » et du même tour syntaxique pour juxtaposer les définitions de ce « baiser » : « un point… », « un secret… », « une communion… », « une façon… ».
- Il sait aussi jouer de la sensualité des évocations des parties du visage : « lèvres », « bouche », « oreilles » et du champ lexical des sensations : « doux », « goûts », « goûter », « frisson », « bruit ».
- L’érotisme de ces allusions est adouci par des métaphores empruntées à la nature : « goût des fleurs », « bruit d’abeilles » qui renvoient à un univers innocent.
3. Un éloge éloquent et sincère
- Ensuite Cyrano explore un autre type d’argument : le précédent historique et glorieux du baiser de la reine de France à Buckingham ; le rang des personnages (« noble », « reine », « lords ») ne peut que flatter une simple bourgeoise comme Madeleine Robin, alias Roxane, ainsi assimilée à un personnage de sang royal (« la reine que vous êtes »).
- Enfin, Cyrano s’implique d’une façon décisive : il change d’énonciation, passe au je, abandonnant le masque sous lequel il prétendait s’exprimer.
- Ce lyrisme passionné bouleverse Roxane qui passe alors au tutoiement. L’éloquence de Cyrano, inspirée par la sincérité de sa passion, subjugue Roxane qui, envoûtée, reprend en écho les plus belles comparaisons de Cyrano : « cette fleur », « ce goût de cœur », « ce bruit d’abeille ».
II. L’association du pathétique et du comique
Rostand, dans cette scène, associe le pathétique et le comique.
1. Une situation fondamentalement pathétique
- Le fond même de la situation est pathétique, en raison de l’opposition entre la beauté morale et intellectuelle de Cyrano et sa laideur physique qui lui interdit de connaître un amour partagé. Obligé de recourir à un masque pour pouvoir au moins déclarer son amour, il semble condamné à jouer la comédie, sans pouvoir confier à quiconque son secret.
- La scène du balcon lui offre enfin la possibilité de s’adresser à Roxane de vive voix et de goûter un double plaisir : celui de se livrer et celui de mesurer l’effet de sa déclaration ; il oublie alors sa laideur et connaît un moment de bonheur intense, l’exaltation de pouvoir enfin dire je (voir Ruy Blas qui, marchant « dans [son] rêve étoilé », peut oublier la « laideur » de sa condition de valet et avouer son amour à la reine d’Espagne).
- Le retour à la réalité en est d’autant plus rude et pathétique. Le commentaire élogieux de Roxane : « Et tu es beau comme lui… » le dégrise. Le duo lyrique avec Roxane est bien fini : Cyrano est renvoyé à sa solitude, pendant que Christian enlace Roxane.
2. Un certain humour
Cependant, en contrepoint, Rostand apporte quelques touches humoristiques.
- On sourit de la fausse pudeur de Roxane qui hésite à prononcer le mot « baiser » quand elle reprend son duo avec Cyrano ; son cœur dit « continuez à parler » quand sa bouche dit « Taisez-vous ».
- L’autodérision dont fait preuve Cyrano dans son aparté quand il est « dégrisé » (« C’est vrai, je suis beau… j’oubliais ») amuse généralement le public, peut-être d’ailleurs en réaction à la tension lyrique qui précède et surtout si le comédien prend pour le dire un ton très détaché, ironique.
- Son dernier commentaire contient des effets de décalage humoristiques : la familiarité de l’interjection « aïe ! » contraste avec le lyrisme un peu grandiloquent – et même parodique – de la comparaison avec le Lazare de la Bible.
- L’hésitation de Christian à rejoindre Roxane et les bourrades amicales de Cyrano apportent un comique plus appuyé. L’apostrophe faussement brutale « Monte donc, animal » joue elle aussi sur la recherche du contraste avec le ton élégiaque du discours amoureux. Cependant, à y regarder de plus près, les hésitations de Christian montrent qu’il comprend confusément que le sens véritable de ce qui vient de se passer lui échappe.
Conclusion
Le succès populaire de Cyrano de Bergerac ne s’est jamais démenti depuis la création de la pièce. Il est dû au fait que la pièce met en scène de vrais personnages qui, après nous avoir fait rire et pleurer, continuent à vivre en nous, avec leurs répliques devenues aujourd’hui des références, comme celle qui débute la fameuse tirade du nez : « Ah non, c’est un peu court jeune homme. On pouvait dire bien des choses en somme… »
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