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Commentaire : la lettre de Roxane

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Par   •  5 Avril 2018  •  Commentaire de texte  •  3 135 Mots (13 Pages)  •  2 620 Vues

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        Depuis la fin du XVIIème siècle, l’Orient est un thème très en vogue en France, tout particulièrement depuis la tragédie Bajazet de Jean Racine représentée pour la première fois en 1672. Le personnage de Roxane a profondément marqué le public, et c’est ainsi que Montesquieu prénomme la femme la plus aimée d’Usbek, ce-dernier étant le personnage central de son roman épistolaire Les Lettres Persanes.

Paru en 1721 à Amsterdam, ce court roman publié anonymement est présenté à l’éditeur comme un recueil de lettres d’une correspondance de Persans afin d’éviter la censure, bien que la plume de Montesquieu ait été rapidement reconnue. En effet, l’auteur s’abrite sous le regard faussement naïf de deux Persans voyageant en Europe, qui échangent leurs missives, et critiquent le fonctionnement de la société occidentale. Cependant, Les Lettres Persanes relèvent aussi d’un goût pour l’orientalisme : Usbek reçoit périodiquement des nouvelles de son sérail, où les femmes s’y révoltent. Les dernières lettres du livre nous font assister à un véritable bain de sang dans le sérail dont la plus belle figure est celle de Roxane la favorite, considérée comme un modèle de vertu et de soumission, qui a été surprise dans les bras de son amant assassiné de suite.

Dans cette ultime lettre qui clôt le roman, Roxane pousse un cri final de liberté et proclame en mourant de sa propre main que sa soumission n’a été qu’une façade pour mieux assurer son indépendance et défier son prétendu maître.

Comment Montesquieu critique-t-il ici la condition féminine au XVIIIème siècle ?

Il serait intéressant de mettre en avant le monologue d’une héroïne tragique, avant d’étudier la vengeance d’une femme, ayant la valeur d’un réquisitoire contre la tyrannie et le despotisme.

        En premier lieu, l’étude du caractère théâtral de la lettre permet de dramatiser Roxane et d’amplifier l’effet déjà prenant de ses propos et de ses actes.

Tout d’abord, le personnage de Roxane est nommé de la même manière que la femme sultane dans la tragédie Bajazet de Racine, cruelle et manipulatrice, ce qui peut annoncer des traits similaires pour la Roxane de Montesquieu, mais aussi pour le style de sa lettre. Roxane a non seulement su feindre pour parvenir à profiter de ses passions, mais elle introduit encore ce caractère théâtral à travers sa proposition « Oui, je t’ai trompé » (ligne 1) qui semble être prononcée à voix haute avec intensité et force.

La distance qu’impose le délai épistolier est supprimée grâce à un style direct : Roxane semble s’adresser directement à Usbek à travers des phrases courtes comme « Ce langage, sans doute, te paraît nouveau » (ligne 29), s’exclame avec « Non ! » (ligne 15), et pose des questions rhétoriques, notamment avec « Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le Monde que pour adorer tes caprices ? » (lignes 12 et 13), ce qui dynamisent ses propos. De plus, la deuxième personne du singulier est omniprésente dans le texte avec « t’ » (ligne 4), « ta » (ligne 4), « ton » (ligne 5), ce qui marque l’importance du destinataire, soit Usbek.

La théâtralisation du récit est intégrée par le biais d’un langage tragique. En effet, le champ lexical de la mort avec « mourir » (ligne 7), le poison (ligne 6), « répandre le sang » (ligne 10), « je meurs » (lignes 8 et 9) ainsi que l’utilisation d’un registre soutenu, c’est-à-dire l’emploi du subjonctif imparfait avec « qu’on appelât » (ligne 22) et « que je fusse » (ligne 12) font partie intégrante du lexique de Roxane. Les regrets de Roxane accentuent ce registre tragique : ses années de soumission lui apparaissent comme un mensonge, une humiliation. L’emploi du futur antérieur marque le regret dans « j’aurai dû faire paraître à toute la terre » (lignes 20 et 21), tout comme de nombreux termes qui assimilent son mensonge à une faiblesse de sa part dans « je me suis abaissée » (lignes 18 et 19), « lâchement » (ligne 20), et « profané la vertu » (ligne 21). Sa mort progressive contribue à l’installation d’une atmosphère tragique.

Roxane procède, avec sa mort progressive, à ce qui serait comparable à un coup de théâtre. Son suicide, fin inattendue, renverse complétement la situation : l’épouse qu’Usbek considérait comme la plus vertueuse l’a trompé, et précipite le sérail dans le sang et se suicide. Cet acte s’apparente donc à la catastrophe qui clôt toute tragédie.

        Ensuite, Roxane est un personnage en proie aux passions.

En effet, Roxane est une femme passionnément amoureuse de son amant, puisqu’elle l’évoque avec l’hyperbole à la fois métonymie « le plus beau sang du monde » (lignes 10-11). C’est un chant amoureux qu’elle lui adresse avec « le seul homme qui me retenait à la vie » (ligne 8), prouvant son attachement. Aussi, « mon ombre s’envole bien accompagnée » est une image qui annonce la mort de Roxane, mais cette image est positive. À travers la question rhétorique « Car que ferait-je ici puisque le seul homme qui me retenait à la vie n’est plus ? » des lignes 7 et 8, Roxane présente son suicide comme un acte d’amour : la présence des connecteurs logiques « car » et « puisque » traduisent respectivement la cause et la conséquence. La perte du seul être aimé entraîne sa propre mort, qui lui permet de conclure son amour.

Roxane est aussi furieuse. Les deux questions rhétoriques de la ligne 12 à 15 prouvent sn éloquence et trahissent sa colère si longtemps sous-estimée. Roxane vient se grandir avec les emplois d’imparfait du subjonctif dans « qu’on appelât » (ligne 22) et « que je fusse » (ligne 12), et son « Non ! » (ligne 15) exclamatif.

La vengeance anime Roxane dans cette lettre. Elle a imposé sa volonté au sérail et en a fait « un lieu de délice et de plaisir » (lignes 5 et 6), et domine donc le lieu qui semble ne plus appartenir à Usbek. Dans cette lettre, elle avoue sans complexe la stratégie qu’elle a employée, et revendique ses meurtres avec « je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges qui ont répandu le plus beau sang du monde » (lignes 10 et 11) pour que sa vengeance n’en soit que plus violente. En effet, elle a fait semblant d’aimer Usbek dans le seul but de pouvoir mieux le trahir : le lexique de la tromperie, de la feinte et des apparences l’illustre dans « je me suis jouée de ta jalousie » (lignes 5 et 6), « te paraître fidèle » (ligne 19), « lâchement gardé dans mon cœur » (ligne 20), et « tu as eu l’avantage de croire » (ligne 26). Aussi, la récurrence de déterminants possessifs « ton » (ligne 2), « ta » (ligne 1), et « tes » (lignes 1, 13,16) et du pronom personnel « tu » ( lignes 12, 14, 18,23,24) agissent tel un martèlement à travers la dentale [t] pour signifier à Usbek que ses actes n’ont été qu’un instrument pour l’atteindre lui.

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