Aragon, "Strophes pour se souvenir"
Commentaire de texte : Aragon, "Strophes pour se souvenir". Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar leonclaudel • 3 Avril 2020 • Commentaire de texte • 4 144 Mots (17 Pages) • 931 Vues
« Strophes pour se souvenir », Le roman inachevé d’Aragon
À l’occasion de l’inauguration d’une rue « Groupe Manouchian », en 1955, Louis Aragon
revient sur l’arrestation et l’exécution de vingt-trois de ces résistants étrangers par les nazis le 21
février 1944. L’annonce de leur condamnation avait été communiquée par le biais d’une affiche
placardée dans de nombreuses villes par les Allemands et sur laquelle figuraient les photographies,
les noms et nationalités de ces hommes et qui est restée sous le nom de l’Affiche rouge. Cette
affiche constitue l’emblème, le symbole de la propagande nazie contre la Résistance. Onze ans
après la fin du conflit, le devoir de mémoire s’impose. « Strophes pour se souvenir », extrait du
Roman Inachevé d’Aragon, est un hommage au courage, à la détermination et à l’abnégation de ces
hommes. Le titre est éloquent: il s’agit d’utiliser la poésie pour lutter contre l’oubli et la
banalisation du mal. Le poète tente donc de raviver, par la poésie, le souvenir de héros disparus qui
ont sacrifié leur vie pour la France. Ainsi, engagement politique et acte d’écriture se croisent et se
complètent. En empruntant la forme de l’oraison funèbre, en réalité, le poème, à travers une subtile
réécriture de la lettre de Manouchian, chante la force, la beauté de la vie, célèbre la poésie et permet
au poète d’humaniser et de restituer la parole de ces résistants. Ainsi, dans quelle mesure Aragon
utilise-t-il la forme poétique pour immortaliser le souvenir de ces héros de la Résistance ? Le poème
se divise en trois mouvements distincts, chacun correspondant à une situation d’énonciation
particulière. Du vers 1 à 18, il s’agit d’une adresse directe, d’un hommage à la persévérance, la
témérité et le dévouement, durant l’Occupation, de ce groupe de résistants, discrédité et méprisé par
l’Affiche rouge. La seconde partie du poème (vers 19 à 30) correspond à une sorte de « paraphrase
poétique » de la dernière lettre de Manouchian adressée à sa femme et qui s’apparente à une réelle
ode à la vie, célébrant ainsi l’humanité de ces résistants. Enfin, le poème se clôt (vers 31 à 35) avec
une envolée lyrique, un refrain qui rappelle la valeur et l’importance de leur sacrifice.
I/ Un éloge des partisans et une dénonciation de l’Occupation (vers 1 à 18)
A) Un hommage à des hommes fermement engagés et désintéressés (première strophe)
- Le poème s’ouvre avec le pronom personnel « vous ». Il indique qu’il s’agit d’une adresse
directe, personnelle et sûrement d’un hommage aux disparus, d’une oraison funèbre, ce qui
justifie le titre du poème « Strophes pour se souvenir ». D’emblée, le lecteur comprend qu’il
s’agit de réactiver, de réactualiser et de ressusciter le souvenir de ces hommes par un acte engagé
et militant. Le poème est d’ailleurs composé de quintils écrits en alexandrins, vers noble,
équilibré et solennel, propice à l’hommage. Les deux premiers vers sont construits avec l’emploi
de la négation qui souligne le courage et la témérité des résistants qui n’ont « réclamé la gloire ni
les larmes / ni l’orgue ni la prière aux agonisants ». Ainsi, identifier les résistants par ce qu’ils
n’ont pas fait et auraient pu faire permet de mettre en évidence leur exceptionnalité, qui résulte
de leur dévouement, de leur humilité et surtout de leur désintéressement. Ces vers témoignent de
leur refus des honneurs, de leur volonté de ne pas sombrer dans le pathos et d’exclure toute
dimension religieuse. En effet, ils ne cherchaient pas la reconnaissance, la pitié, la gloire ou
même le salut religieux de leurs âmes. Leur action, leur combat était mené pour l’humanité et
pour conserver ou obtenir leur liberté. Les sonorités en « n/l » mais aussi le son « an » qui
domine la rime et que l’on retrouve tout au long du poème selon le schéma abbab, créent une
sorte de refrain lancinant de tristesse mais aussi de douceur.
- Le vers suivant « Onze ans déjà que cela passe vite onze ans » est construit en chiasme avec un
effet d’écho et de résonance donc. Nous sentons une exclamation du poète qui exprime un certain
regret ou une désolation en constatant que le souvenir ne résiste pas aux assauts, aux vicissitudes
du temps. Ce vers insiste non seulement sur le temps passé mais aussi sur la nécessité, le besoin
absolu d’immortaliser le souvenir de ces résistants et permet alors de saisir la fonction du poème.
Ainsi, le lecteur comprend qu’en 1955, date d’écriture du poème, le souvenir de la guerre et de la
Résistance s’estompe: les hommes, traumatisés par les événements, souhaitent oublier ou nier la
réalité historique et il semble presque impératif de rappeler le rôle et l’importance des résistants à
travers la poésie.
- Les deux derniers vers soulignent de nouveau le courage de ces hommes: « vous vous étiez servi
simplement de vos armes ». L’adverbe
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