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Les caractères, Jean de la Bruyère

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Par   •  9 Avril 2020  •  Commentaire de texte  •  1 395 Mots (6 Pages)  •  3 931 Vues

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Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1696 (« Des Grands », 53)

À la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d’esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies. Partout des brus et des bellesmères, des maris et des femmes, des divorces, des ruptures, et de mauvais raccommodements ; partout des humeurs, des colères, des partialités, des rapports, et ce qu’on appelle de mauvais discours. Avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue SaintDenis, comme transportées à V** ou à F**. Ici l’on croit se haïr avec plus de fierté et de hauteur, et peutêtre avec plus de dignité : on se nuit réciproquement avec plus d’habileté et de finesse ; les colères sont plus éloquentes, et l’on se dit des injures plus poliment et en meilleurs termes ; l’on n’y blesse point la pureté de la langue; l’on n’y offense que les hommes ou que leur réputation : tous les dehors du vice y sont spécieux ; mais le fond, encore une fois, y est le même que dans les conditions les plus ravalées ; tout le bas, tout le faible et tout l’indigne s’y trouvent.

Ces hommes si grands ou par leur naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple, et ils sont peuple.

Qui dit le peuple dit plus d’une chose : c’est une vaste expression, et l’on s’étonnerait de voir ce qu’elle embrasse, et jusques où elle s’étend. Il y a le peuple qui est opposé aux grands : c’est la populace et la multitude ; il y a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux : ce sont les grands comme les petits.

Remarques importantes :

Je propose ici des éléments d’analyse et non une explication en bonne et due forme. Il vous revient de sélectionner les éléments les plus pertinents à votre compréhension du texte et de développer les idées que viennent étayer les analyses textuelles.

Entre crochets, j’ai proposé quelques remarques ou des définitions qui n’auraient pas leur place dans une explication linéaire tel quel.

Éléments d’Introduction :

La Bruyère = moraliste qui dépeint la société dans son ensemble. Au fil des livres se dessinent une anthropologie qui ne cesse de rapprocher les différents membres de la société au risque de réduire les écarts entre les ordres. La critique de ses contemporains permet d’en montrer les ressemblances et de dissocier la qualité morale de l’origine sociale. Ainsi, dans le caractère 53 de la section « des Grands », il en vient en redéfinir la notion de peuple, auquel s’oppose la noblesse : pour le sage, appartiennent au peuple tous ceux qui ont la faiblesse de se laisser emporter par leurs passions.

Proposition de problématique : Comment la conception des passions permet-elle à La Bruyère de questionner la société d’Ancien Régime divisée en trois ordres ?

Proposition de plan

l. 1-4 : parallèle entre la cour et la ville

l. 5-11 : fausses différences

l. 12-17 : une anthropologie de la passion et de la faiblesse

Éléments d’explication (à compléter selon votre problématique et vos analyses)

l. 1-2

- Le texte s’ouvre sur le paradoxe qui lie deux lieux absolument opposés dans les représentations de l’époque. Il est renforcé par le parallélisme syntaxique et la similitude entre ces deux endroits soulignée par l’anaphore de « mêmes ».

- les « passions » sont mises en parallèles avec une série d’éléments négatifs traduisant la vision moraliste de La Bruyère sur celles-ci.

- forte unité sonore : assonance en [s] et [es] (passions, faiblesses, petitesses] puis tous les éléments terminent en [i] 🡺 accentue le lien entre les différents éléments

l. 2-5

- nouvelle structure binaire renforçant l’identité entre les deux lieux : « partout/partout »

- accumulation d’éléments : personnel et actions de comédie (brus et belles-mères, maris et femmes, divorces…) : renvoie aux faiblesses et aux affaires de familles : questions ridicules et de peu d’importance. Puis énumération de passions négatives : la colère, l’injustice.

l. 5-6

- « avec de bons yeux » = les qualités du moraliste, ou du sage, qui viendra plus tard dans le texte. La vision comme moyen de parvenir à la vérité.

- mise en parallèle ou plutôt identification de la ville de province, de Paris, et de deux lieux principaux de résidence du roi (Versailles et Fontainebleau) : affirmation sacrilège vis-à-vis du roi, ce que les astérisques viennent souligner plutôt que cacher : tous les lecteurs de l’époque sont capables de déchiffrer le code.

l. 6-9

- après les ressemblances, La Bruyère montre l’illusion des différences.

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