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La charogne

Commentaire de texte : La charogne. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  11 Juin 2022  •  Commentaire de texte  •  3 063 Mots (13 Pages)  •  347 Vues

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La boue en or : tirer la beauté du laid

Lecture linéaire 11   « Une charogne » : le cas d’une «fleur du mal»,

                                     entre détérioration et sublimation

Introduction:

Poème emblématique du recueil des Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire, recueil qui a été poursuivi et condamné en justice le 7 juillet 1857 pour offense aux bonnes mœurs et à la moralité publique : six poèmes, jugés trop sulfureux, ont donc été censurés.

La  « charogne » est le XXIX° poème de la section « Spleen et Idéal » du recueil publié en 1861 et fait partie du cycle dédié à Jeanne Duval. Il décrit la promenade d’un couple interrompue par une vision d’horreur : l’apparition d’un cadavre en décomposition. Ici c’est la charogne et non la femme aimée qui se place au centre du poème.

Ce texte concentre ainsi en lui tous les paradoxes chers à Baudelaire et reflète bien cette tendance à la provocation : derrière l’ironie du poète dans le mélange du Beau et du Laid et dans le détournement d’une scène amoureuse traditionnelle, se cache une réflexion sur l’Art et la Poésie.

Problématique : Comment Baudelaire parvient-il à une sublimation du laid à travers ce poème ?

Mouvements du texte :

  1. strophes 1 et 2 : La découverte de la charogne 
  2. strophes 3 à 9 : La sublimation de la charogne
  3. strophes 10 à 12 : Un Memento Mori ironique et cynique 

Analyse linéaire 

A) La découverte de la charogne : strophes 1 et 2

- Dès le début du poème, le cadre est présenté de manière méliorative. Le lecteur est alors plongé dans un univers bucolique, où la nature est présente: "sentier" (v.3). Cette nature est évoquée grâce à des termes dont le côté positif est exagéré: "ce beau matin d'été si doux" dont l'adverbe intensif "si" renforce les deux adjectifs déjà valorisants "beau" et "doux". Ce sont des clichés qui rendent la description de la nature trop idyllique. De même, le nom "sentier" placé à la césure au v.3 suggère une promenade agréable dans une nature accueillante

Dans ce cadre parfait, la nature accueille le couple formé par le poète et la femme aimée: Baudelaire reprend alors les codes de l'amour lyrique. L'union est symbolisée par le pronom personnel de 1e personne du pluriel "nous vîmes ». Ce poète s'adresse à la femme en la vouvoyant comme le montrent les impératifs "rappelez-vous" (v.1) et de façon constante, le pronom "vous" est employé pour la caractériser. Cette femme semble même survalorisée à travers des apostrophes apparemment laudatives comme "mon âme"(v.1).

Le poème semble donc s'inscrire dans la tradition lyrique, évoquant la nature bienveillante, propice à l'amour du poète mais en même temps, il s'en amuse. Il y a des décalages révélant le cynisme de Baudelaire. Par les rimes, la lyrique amoureuse est rapprochée de l'horreur de la mort:

on peut ainsi noter un contraste qui est d'entrée mis en place avec les rimes rapprochant  des mots de sens contraire et contradictoire : « charogne infâme » qui rime avec « mon âme »..... ; « ce beau matin d'été si doux » qui rime avec « un lit semé de cailloux ».

- Bercé par le calme initial, le lecteur ne peut être que choqué de la découverte du cadavre. Cette rupture est annoncée dès le premier vers par l'emploi du passé simple "nous vîmes" qui perturbe la promenade amoureuse et l'harmonie du vers à la structure symétrique (4/2//4/2). De même, la mention du complément circonstanciel "au détour d'un sentier" souligne l'idée de surprise. Ce choc est vécu par les protagonistes eux-mêmes: alors qu'il s'agit d'une anecdote passée, relatée au passé simple et à l'imparfait, le souvenir "Rappelez-vous" est encore bien présent. "Ce beau matin d'été" : l'utilisation du déterminant démonstratif suggère une expérience marquante pour le poète et la femme, un souvenir encore vivace.

- De plus, la découverte de la charogne frappe les esprits parce qu'elle devient un véritable spectacle, au sens propre puisqu'elle est perçue au travers des yeux des personnages "nous vîmes", et en raison de l'évocation particulièrement réaliste. En effet, plusieurs détails visuels sont précisés, tels l'emplacement du cadavre "au détour d'un sentier", "sur un lit semé de cailloux", son positionnement "les jambes en l'air", "ouvrait [...] son ventre". Les nombreux enjambements ainsi que les imparfaits duratifs permettent d'ailleurs de prolonger ce spectacle, faisant déjà l'objet d'une longue description des vers 3 à 32. Cette vision réaliste est complétée par une perception olfactive "suant les poisons", "exhalaisons", intensifiant le dégout face à la découverte.

- Cette description de la charogne est également choquante parce qu'elle présente une dimension  érotique. Cette charogne est en effet comparée à "une femme lubrique" et les termes "les jambes en l'air" ou encore "ouvrait son ventre", relevant de la personnification, sont suffisamment explicites. De même, la chaleur "brûlante", "suant" et les odeurs ne font qu'amplifier l'aspect sulfureux de la charogne. De manière étonnante, les deux thématiques eros (pulsion sexuelle) et thanatos (pulsion de mort) sont associées.

Dans la 2eme strophe, on retrouve donc ce procédé de juxtaposition violente de 2 réalités contraires qui se poursuit  avec la rime entre les « poisons » (synonyme de mort) et « son ventre plein d'exhalaisons »(synonyme de la vie) puisqu'un ventre « plein » est normalement porteur d'un germe, de quelque chose qui signifie la vie , mais ici c'est une maternité monstrueuse puisque son ventre est plein des vers qui la dévorent après sa mort.

La charogne choque donc par sa violence macabre mais également sexuelle. Le lecteur qui s'attendait à un poème lyrique évoquant la nature et l'amour de la femme se trouve décontenancé par le spectacle particulièrement réaliste, cru et violent de cette charogne en décomposition, devenant le sujet majeur du poème.

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