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Esthétique de la couleur dans la littérature

Dissertation : Esthétique de la couleur dans la littérature. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  6 Juin 2017  •  Dissertation  •  2 208 Mots (9 Pages)  •  2 942 Vues

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        Lors des cérémonies d'enterrement en Chine, les personnes s'habillent en blanc pour porter le deuil. Traditionnellement en Europe, le blanc pare la mariée et les festivités du mariage, annonce d'une vie nouvelle et heureuse. Les cultures des peuples dans le monde n'emploient pas les couleurs de la même manière, elles ont construit des représentations symboliques différentes et les ont insérées dans des codes sociaux. Même au niveau individuel, nous élaborons un langage avec les couleurs en fonction de notre biographie et de notre perception physique. La diversité règne dans le domaine de la représentation colorée. La créativité littéraires est donc tout aussi affectée par ce travail de la lumière et il se montre diversement dans les œuvres littéraires. Les écrivains s'expriment aussi parfois clairement sur ce sujet. Vassili Alexakis dit dans Paris Athènes: "Si j'avais à évaluer la dette que j'ai envers ma mère, je mentionnerais d'abord le fait qu'elle m'apprit à regarder les murs blancs. Je n'apprécie aujourd'hui les couleurs qu'en quantité infimes sur fond blanc." Que sont ces murs blancs que l'écrivain Alexakis a appris à regarder dans son enfance et que sont ces couleurs qu'il n'apprécie qu'en infime quantité sur fonds blanc?

 Est-ce un clin d'œil mémoriel fait à la couleur blanche des maisons des îles des Cyclades, le monde grec dans lequel cet auteur a grandi?

Peut-être en partie, d'abord les couleurs dans la littérature, en plus de se raconter pour elles même, racontent un monde que l'auteur décrit.

Mais elles ne restent pas à ce niveau de mémoire perceptive, elles racontent aussi un monde indescriptible dont les impressions des organes des sens sont exclues, un monde où la temporalité explorée par la mémoire prime.

Enfin nous verrons dans la troisième partie que le propos d'Alexakis peut-être animé dune dynamique dans laquelle renaît l'être.

Nous traiterons le propos d'Alexakis en le mettant en perspective des approches de la couleur d'autres auteurs comme Bergounioux, Carver ou Nabokov.

        Dans la littérature, on peut d'abord observer la polarité couleur/blancheur en tant qu'éléments de description chromatique pour donner à voir un contexte littéraire comme un paysage, décrire des personnes, créer une ambiance par la couleur présentée... Certaines œuvres sont peu prolixes de ces éléments et sont plutôt dans la sobriété, chromatiquement parlant. Cathédrale de Raymond Carver en est un bon exemple. C'est la dernière nouvelle de son recueil dont le titre traduit est Les vitamines du bonheur. Carver y met en scène des retrouvailles au domicile d'une femme mariée et de Robert, son vieil ami aveugle pour qui elle a travaillé jadis. Le narrateur et mari observe la couleur trop blanche de l'œil de l'aveugle, une dominance étrange qui montre son handicap visuel. C'est le seul moment dans lequel l'auteur énonce une couleur explicitement. Il fait juste deux fois référence à la couleur en tant que caractéristique générale, quand le mari et l'aveugle regardent "la télé couleur" et au début de la nouvelle avant de recevoir leur hôte, le narrateur en discutant avec sa femme, demande si l'épouse décédée de son ami aveugle était une femme de couleur. On peut dire du point de vue des coloris sensiblement perçus et mémorisés, que Carver partage avec le propos d'Alexakis, la faible quantité de couleur à mettre sur ses pages blanches, afin de donner à voir à ses lecteurs le contexte des actions dans ses œuvres. Par contre d'autres auteurs explorent moins sobrement la palette chromatique, tant pour décrire des situations que pour évoquer des ambiances. Dans le roman Miette de Pierre Bergounioux, le regard du lecteur se promène dans les paysages pauvres en couleurs de l'hiver, la blancheur neigeuse les met en évidence parmi les sombres paysages d'épineux. La blancheur est dite par la matière "neige" qui la porte à notre regard. Ces scènes avec la neige sont plusieurs fois décrites, l'hiver est une saison bien représentée dans Miette et paraît être des moments clé du roman. Bergounioux décrit sobrement, par la couleur et en quantité infime sur fond blanc lui aussi.

Enfin dans Autres rivages de Nabokov, la palette chromatique est beaucoup plus déployée, Nabokov est un écrivain de la couleur. Il l'emploie comme descriptif de couleurs, appelées en tant que couleurs perçues ou évoquées par les matières: "L'histoire commence (avec la promesse de la belle Grèce) non loin de l'une des extrémités de ce divan, là où un volumineux hortensia en pot, aux fleurs bleu pâle à l'exception de quelques-unes verdâtres, cache à demi, dans un coin de la pièce, le piédestal d'un buste de Diane en marbre." Chapitre 2. Une petite phrase riche en couleurs. Il n'est pas question de sobriété colorée pour Nabokov, son écriture nous fait entrer dans un festival de couleurs. Globalement ces éléments chromatiques appartiennent à ce qui est donné à voir dans la lecture, un peu comme mimèsis du monde coloré plus ou moins sobre sur un fond blanc. Mais cette polarité peut aussi s'analyser selon des modalités temporelles.

        En effet le temps semble parfois se raconter à travers les jeux de couleurs dans la littérature. Il faudrait alors considérer le propos d'Alexakis différemment: Un fond blanc porteur de souvenirs perdus ou d'espérances futures. Dans Miette de Bergounioux, le narrateur décrit un monde ancien, fait pour des hommes en lutte contre les éléments naturels, n'ayant pas encore de technologie pour remplacer la force humaine, ils étaient trapus et puissants, rudes comme la nature et les paysages qui les entourent bien loin des villes à la vie facile. La blancheur des paysages neigeux accentue la rudesse et l'isolement de ces vies. Cette blancheur apparaît comme le fond d'un tableau qui raconte un monde paysan comme suspendu dans le temps par son appartenance à un passé bientôt révolu. Cette particularité de ce fond blanc messager du temps semble aussi s'exprimer quand le narrateur regarde les photos de famille en noir et blanc et remarque une similarité de trait entre son épouse à côté de lui et Miette, une des ancêtres de sa femme. A travers cette photo, il s'en va dans le temps, à la fois historique, social et généalogique, en tentant de comprendre la vie de personnes de l'époque charnière du début du XXème siècle, dans laquelle la technologie va faire disparaître un mode de vie dont l'auteur est peut-être nostalgique. Surtout par rapport à la nature des hommes que le contexte rude constituait. Dans ces images "fond blanc", la couleur des souvenirs jaillit par petites touches, modestes comme les vies décrites. Le futur y apparaît comme la fin d'un monde que l'on regrette. Peut-être est-ce pour cela que la couleur y est modeste et sobre.

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