Dissertation sur les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
Cours : Dissertation sur les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar RayZen_n • 10 Janvier 2021 • Cours • 2 954 Mots (12 Pages) • 3 752 Vues
Correction de la dissertation
Baudelaire écrit dans le projet d’épilogue des Fleurs du mal : « Tu m’as donné ta boue et j’en fait de l’or ». Dans quelle mesure ce vers s’applique-t-il à ce recueil poétique ?
Dissertation
Introduction
Au mois de mai 1860, Charles Baudelaire travaille à un épilogue qu’il doit terminer comme il l’indique à son éditeur Poulet-Malassis : « Je travaille aux Fleurs du Mal. Dans très peu de jours, vous aurez votre paquet, et le dernier morceau ou épilogue, adressé à la ville de Paris, vous étonnera vous-même, si toutefois je le mène à bonne fin (en tercets ronflants) ».
On sait ce qu’il en est et le poète n’a jamais achevé ce qui est resté un projet dans lequel Baudelaire déclare son amour pour la ville de Paris (« Je t’aime, ô capitale infâme !) et énumère (lupanar, débauches, vice...) ce qu’il résume à la fin par le terme « boue » : « Tu m’as donné ta boue et j’en fait de l’or ».
Le substantif fait donc métaphoriquement référence à tout ce qui est vil, sans valeur voire moralement condamnable puisqu’au mot sont associées des connotations péjoratives se rapportant à l’abjection, à l’infamie (que l’on songe à des expressions comme « traîner dans la boue »). Alchimiste, le poète opère ainsi une transmutation de la boue d’un réel fort prosaïque en un or poétique.
Cette citation de l’épilogue signifie-t-elle que le poète s’est rué dans la fange pour en faire le sujet de sa poésie ? Ce serait donner raison à ses détracteurs et, entre autres, à la critique du Figaro qui publiait ces lignes le 5 juillet 1857 : « L'odieux y coudoie l'ignoble, le repoussant s'y allie à l'infect. Jamais on ne vit mordre et même mâcher autant de seins dans si peu de pages ; jamais on n'assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de vermine. »
Peut-on donc affirmer que la poésie de Baudelaire est celle de l’odieux, de l’ignoble, en un mot de la boue ? Et si oui, faut-il voir dans l’ouvrage de Baudelaire un amoncellement fangeux moralement condamnable qui ne trouverait aucune justification sinon celle d’une boue qui ferait l'objet d’une transformation ?
Nous verrons dans quelle mesure la citation de l’épilogue s’applique au recueil des Fleurs du mal, puis nous montrerons de quel nature est cet « or » poétique, et enfin quels sont les enjeux esthétiques d’une telle conception de la poésie.
Développement
1re partie : Les Fleurs du mal, œuvre alchimique ?
Baudelaire, le poète de la boue
Dans le projet d’épilogue, deux vers avant le vers « Tu m’as donné ta boue et j’en fait de l’or », Baudelaire se compare à « un parfait chimiste » lequel effectue donc cette opération de transformation de la boue en or. À l’autre bout du recueil, dès l’adresse « Au lecteur », cette opération de transmutation était — quoique pour des raisons très différentes — déjà évoquée dans la troisième strophe à travers les termes « Satan Trismégiste », « riche métal », « ce savant chimiste ». On trouve même une mention du « chemin bourbeux » emprunté par le poète et nous-même, l ‘« hypocrite lecteur ». La notion de « chimie » poétique voire d’ « alchimie » (que l’on songe à « Alchimie de la douleur ») traverse donc le recueil de part en part, du début à la fin. Le thème de la boue n’est pas moins omniprésent dans le recueil des Fleurs du mal. Qu’on pense au « Sept Vieillards » (« Dans la neige et la boue il allait s’empêtrant »), au « Vin des chiffonniers » (« Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux » ) ou encore à « Brumes et pluies » (« Ô fin d’automne, hivers, printemps trempés de boue,/ Endormeuses saisons ! Je vous aime vous loue. »).
Ce ne sont que quelques exemples et l’on pourrait les multiplier (on retrouve le terme dans « Le Cygne », « Le Monstre »...). La boue est manifestement un thème que l’on ne peut manquer dans la poésie de Baudelaire. C’est que littéralement, dans le Paris du XIXe siècle, on marche dans la boue. On en a la preuve chez Baudelaire lui-même dans les Petits poèmes en prose :
« — Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. »
Mais est-ce à dire que c’est là un simple thème traité par le poète en raison d’une familiarité certes bien ennuyeuse mais inévitable pour le Parisien du Second Empire ? En fait, on a vu et on verra que cette boue était l’objet d’une transmutation, d’une transformation poétique faisant de la laideur quelque chose de beau.
Transformation de la boue en or
Nous l’avons dit, la boue est une métaphore désignant aussi bien ce qui est sale physiquement (le Paris du XIXe siècle) que moralement (ceux qui habitent cette ville). Ainsi, la boue a partie liée avec le mal, avec la misère sociale dans « Le Vin des Chiffonniers » par exemple ou encore ans les deux « Crépuscules » où l’on croise « catins » et « escrocs » (« Le Crépuscule du soir ») et où s’expriment les « rêves malfaisants », « la lésine » (« Le Crépuscule du matin »). En somme, Paris devient chez Baudelaire le lieu allégorique du théâtre du mal dans la section des Tableaux parisiens ou du Vin. Ici, le temps, la vieillesse et la Mort sont omniprésents.
Il appartient toutefois au poète de sublimer cette matière, ce que montre le poème « Le Soleil » dans lequel l’astre transforme le réel :
Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
Mais précisément, comme le soleil, la mission poétique consiste à faire la lumière sur ce qui est caché, à le montrer, à le révéler en somme, à non seulement l’exposer poétiquement, mais par la même occasion à l’embellir. Le laid devient donc beau comme dans « Une
...