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Commentaire Jean Luc Lagarce

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Par   •  20 Octobre 2022  •  Commentaire de texte  •  1 300 Mots (6 Pages)  •  323 Vues

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Lagarce, Seconde partie, Scène 3. (A. Leroyer)

Projets de lecture envisageables :

a) Ce texte est un réquisitoire d'Antoine contre Louis, le fils prodigue, mais aussi l'expression d'une immense souffrance jamais dite, laquelle va contraindre Louis à un silence définitif.

b)  Une scène qui est un réquisitoire, qui témoigne d'une immense souffrance, mais qui est aussi un message d'amour.

Découpage permettant l'explication et principaux éléments à faire remarquer, par unités de sens :

L- 154-162 :   Un homme en colère : expression de la colère, raisons, une colère qui monte :

  • L'énonciation : présent de l'indicatif, c'est Antoine qui parle : marques de la première personne du singulier « je » / m'/moi. Il s'adresse à Louis, « tu -/ te/T'/ Toi.

  • C'est un réquisitoire = ton de l'accusation : un juge (Antoine), un coupable (Louis). Silence de Louis qui ne dira rien tout au long de cette diatribe et qui ne parlera qu'à la toute fin de la scène
  • Ton de la colère et des reproches : « tu nous as quittés»/ « « abandonnas = accusation grave.
  • Rappel des faits, comme dans un procès, selon les règles de Quintilien = emploi du passé composé (encore en liaison avec le moment où l'on parle) et du passé simple fait ponctuel, mais marquant, violent) + mots secs aux sonorités dures : « quittés », « abandonna » = souvenir encore marquant pour Antoine qui n'a rien oublié et se rappelle : il revoit encore la scène et sa colère, son ressentiment se ravivent au fur et à mesure qu'il parle.
  • Un ressentiment ancien : « je ne sais plus », mais l'adverbe « encore » traduit une sorte d'habitude, de répétition insupportable.
  • Situation assez simple, résumée, rappelée ici : un frère qui part brutalement (le mot définitif jeté à la tête = parole irréversible et blessante, probablement), la famille qui reste là, plantée, sous le choc ( « nous ») et le sentiment de culpabilité d'Antoine qui semble avoir tout porté sur ses seules  épaules : «je dus encore être le responsable ». Sentiment perceptible d'injustice réitérée, constante dont le rappel est insupportable.
  • Faire remarquer la logorrhée et le mouvement même propre à la rancoeur, au ressentiment d'Antoine : la période ( une seule phrase entre 154 et 162 : il vide son  sac), les conjonctions de coordination «  et », le rythme ternaire de la phrase 154-155 ;  la reprise, mais sur le mode de la surenchère et donc de l'exagération, des  mêmes idées avec les mêmes mots (« ne plus jamais oser dire un mot contre toi » / phrase identique mais renforcée avec l'emploi de « même » =  ton encore plus accusateur. + sonorités dures (t, d, k, r)
  • Justification de la colère et du ressentiment : le silence qu'Antoine a dû garder, par force, parce que se plaindre était interdit : « être « silencieux/ ne plus dire un mot contre toi ».

Antoine revit la scène et sa souffrance jamais dite est ravivée : le rythme de la dernière ligne est comme un sanglot réprimé : « Rester là, comme un benêt, à t'attendre. »

 : 3+4+3 = dernier segment plus court : le mot attendre est presque inaudible, comme avalé, en même temps que les larmes qui montent.

L163-184 : La bile amère ou un auto-portrait d'Antoine sur le mode de l'ironie acide, caustique : Il se fait du mal en fait, sous prétexte d'essayer de tout contrôler et il va révéler à Louis sa souffrance :

  • Un hymne au bonheur sur le mode de l'antiphrase : il pense exactement le contraire, en fait : ironie perceptible dans l'exagération la plus heureuse = superlatif de supériorité relatif + toute une série de négation « ne... », « ne rien » (6 occurrences)  « ne... pas ».

  • Quelle est la source de ce bonheur tellement enviable : Antoine n'a jamais eu, officiellement, aucune raison de se plaindre, car il ne lui est rien arrivé de grave, absolument rien : C'est son lot «  à l'ordinaire » + Le présent de description, mais aussi d'une telle habitude que cela finit par devenir une vérité générale + adverbe de temps «  jamais »   = donc il est toujours tellement heureux+  les quelques rares fois où il a subi des désagréments, c'était tellement minime, tellement insignifiant, qu'il n'allait pas en parler, c'eût été ridicule, n'est-ce pas, puisqu'il ne peut pas se plaindre : «  et m'arrive-t-il quelque chose que je ne peux  me plaindre ».
  • Antoine minimise sa situation d'homme qui aurait pu se plaindre, en répétant l'adjectif « petites »(trois occurrences), ou «  seule »(2 occurrences) devant le mot  « fois ».
  •  En ce sens, il est un homme normal, puisque ces petites choses, ces petites situations désagréables, mais pas si graves, il en a connu plein : pluriel :«les» + « ces » +  « des centaines »+  «  accumulées ».  Donc, pourquoi se plaindre ? Antoine ne précise pas la nature de ces désagréments, parce qu'ils sont insignifiants, sans importance. « ce n'était rien au bout du compte » + cela rappelle le discours de  Suzanne résignée, sauf que là, Antoine est ironique, car il ne se résigne plus, il est en train de dire ce qu'il a sur le coeur etc e n'est que le début. L'adjectif « petites », ou encoure l'adverbe de négation « rien », constant dans ce fragment, disent exactement le contraire de ce qu'il a ressenti et ressent plus que jamais : c'était beaucoup, c'était énorme et c'était tout, il n'était que souffrance, mais personne ne l'a jamais entendu, compris, vu, remarqué. Il a souffert des centaines de fois, mais n'a jamais pu le dire et donc le faire entendre, on a nié sa souffrance, il n'avait pas le droit de se plaindre :

« je ne pouvais pas en faire état »+ je ne peux rien réclamer » + «  je ne saurais les dire = deux sens ici : je ne suis pas en capacité de dire exactement de quoi il s'agissait et  je n'ai pas le droit de  + je ne peux prétendre » + interrogation rhétorique : «  qu'est-ce que c'était ? ».

 

  • Pourtant, immense souffrance longtemps muette (« dans la tête ») proportionnelle au silence observé :

images fortes et pathétiques : l'envie de « se coucher par terre, de ne plus jamais bouger » =mourir ,ne plus avoir la force de se lever, de tenir = Image du découragement, de la solitude et de l'incompréhension. + « Rester dans le noir sans plus jamais répondre » = signes d'une profonde dépression : plus le courage de vivre, de communiquer + symbolique de la couleur noire. Une souffrance qui n'a jamais cessé : « des centaines de fois » + accumulées+ Les répétitions de la même idée à chaque fois, mais sous des formes différentes : ex : « et les petites fois », « elles furent nombreuses, ces petites fois », « ces petites fois, je les ai accumulées », « j'en ai des centaines dans la tête » + solitude absolue de son «  je » : personne d'autre n'est mentionné   . Souffrance d'un individu incomprise, méconnue, chez un homme suffisamment aliéné, c'est à dire devenu étranger à ss véritable nature, pour ne plus jamais rien oser dire. Antoine s'est donc muré dans le silence, sa tête a accumulé tellement de petites fois indicibles, qu'aujourd'hui, cette tête explose, sa parole se libère et violemment , comme la pression dans  une cocotte-minute.

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