Charles Ferdinand Ramuz, L’Amour du monde, 1924
Dissertation : Charles Ferdinand Ramuz, L’Amour du monde, 1924. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar fabsky02 • 4 Janvier 2021 • Dissertation • 1 478 Mots (6 Pages) • 955 Vues
Fabien Lavoisier
Dans un petit village, il a été autorisé de projeter des films. Paysans et villageois découvrent alors le cinéma. Le passage suivant relate une sortie de projection.
L’obscurité, en effet, s’étendit lentement sur la toile blanche, à cette même heure, dans la salle communale ; puis les pâles lampes électriques se sont rallumées au-dessus de vous.
Après que tout vous avait été donné, tout vous est repris. Après une belle lumière creusée en profondeur, riche d’êtres, c’est brusquement la pauvreté ; oh ! quelle pauvreté, ici, et comment est-ce qu’on va faire maintenant pour vivre ? Le piano, qui venait lui aussi avec sa vie, s’est tu et a cessé d’exister.
Plus rien que la triste lueur des lampes faisant voir un plafond peint en gris où rien ne change, faisant voir des murs qui seront toujours les mêmes autour de vous. Et seulement le bruit des sièges à ressorts, qui cesse ; puis celui des pieds qu’on déplace difficilement, avec le frôlement des habits contre les dossiers.
La rue était chaude sous le noir du ciel, un ciel bas et noir, plein de grosses étoiles blanches carrées, comme des morceaux de verre. Il régnait au-dessus de la rue sur les maisons basses, il vous pesait dessus avec son obscurité.
Oh ! comment est-ce qu’on a pu vivre jusqu’ici si étroit (cette idée est dans une tête, dans une autre), comment a-t-on pu vivre si petit, si fermé ?
Puis voila que les images revenaient ; — alors ils se mettaient à faire tomber de nouveau la cloison qui s’était reformée autour d’eux ; mais pas bien solide, n’ayant pas encore eu le temps de durcir, qui cédait vite : cette cloison de ne pas savoir, de ne pas sentir, de ne pas voir, de ne pas vivre...
Car maintenant le monde entier est à nous, si on veut ; tous les siècles sont à nous, tout l’espace ; ayant le vertige, mais c’est bon, ayant la tête qui leur tournait, mais c’est bon ; dans la chaleur, sous le ciel bas, sous le ciel noir, entre les maisons aux fenêtres noires ; sortant vers onze heures, par petits groupes, l’homme et la femme, deux ou trois jeunes gens ensemble, des filles et des garçons ensemble ; des hommes seuls, des femmes seules ; se taisant, parlant tout à coup...
— Parce que, charrette ! Je vais vous dire...
Et il a donné un coup de poing sur la table de fer (c’était le nommé Jotterand).
C’était à la terrasse du Petit Paris ; entre les phrases, on entendait venir le lac. [...]
Ici, à cette table, parmi plusieurs garçons qui l’ont accompagné et deux demoiselles qu’il a invitées,
leur ayant fait servir de la bière, c’était Jotterand ; et le lac, s’étant fait entendre, s’était tu.
— Je vais vous dire... Parce que c’est à présent comme si on pouvait être mort et pas mort, les deux choses ensemble... [...] Comme si vous, par exemple, mademoiselle Henriette, je vous voyais comme vous êtes, et, en même temps, vous seriez au cimetière sous une croix, sous une pierre plate, sous une ancre, sous une colonne brisée, ou bien encore sous les fleurs, en tout cas sous la terre, une bonne
épaisseur de terre... Il y a ceux qui sont morts et ils continuent à parler.
C’était noir dans le ciel ; dans le ciel, c’était noir et blanc.
— Morte et vivante... Vous avez lu l’affiche, on y donne même la date de son décès...
Et pourtant voila qu’en effet la morte s’est mise à bouger devant eux, et à s’avancer, comme ressuscitée avec le Jugement.
Charles Ferdinand Ramuz, L’Amour du monde, 1924.
I- L’opposition spectacle cinématographique/monde réel :
— En quoi le cinéma est-il dispensateur de vie ?
— En quoi cinéma et réalité commandent dans ce passage deux conceptions distinctes de l’espace ?
Le document soumis à notre étude est un extrait du roman de Charles-Ferdinand Ramuz intitulé L’Amour du monde publié en 1925. Charles-Ferdinand Ramuz né le 24 septembre 1878 et décédé le 23 mai 1947 est un écrivain et poète suisse romand. L’Amour du monde est un roman aux idées symbolistes dont l’extrait traite de la réaction après une sortie de projection des paysans et villageois suite à la découverte du cinéma. Cet extrait nous présente deux conceptions de l’espace qui sont celles du cinéma et de la réalité. Nous nous demanderons en quoi ces deux conceptions sont-elles distinctes à travers ce passage. Nous verrons dans un premier temps que la conception du cinéma peut faire référence au symbolisme à travers le rêve et l’imagination. Dans un second temps, nous verrons que la conception de la réalité est terne et limitée par la connaissance des hommes.
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