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Le L’abus de droit et le trouble de voisinage

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Par   •  18 Décembre 2012  •  3 854 Mots (16 Pages)  •  1 992 Vues

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L’abus de droit et le trouble de voisinage

Peut-on abuser d'un droit ? - Ainsi posée la question appelle fatalement un débat théorique ou doctrinal dans lequel s'affrontent les conceptions philosophiques, morales, voire politiques du droit. On comprend dès lors que l'abus de droit ait été l'objet de l'une des controverses les plus aiguës de la doctrine et que le débat ait été intense.

Mais le juge doit répondre à une question d'un autre ordre : le dommage qui a été causé à autrui par l'utilisation d'un droit doit-il toujours, quelles que soient les conditions ou les circonstances de l'exercice de ce droit, demeurer sans réparation ? En d'autres termes, “avoir le droit de...” cela exonère-t-il toujours le titulaire de ce droit de toute responsabilité à l'égard des personnes à qui il a pu porter tort ? Ainsi posée, la question permet de savoir pourquoi la jurisprudence retient une conception très pragmatique de cette notion, conception presque rebelle à tout travail de synthèse, encore que la stabilité apparente de la construction prétorienne contraste avec la vigueur des disputes doctrinales.

La notion de trouble de voisinage est-elle ancienne. Il suffit de relire Jean de la Fontaine et sa fable du savetier et du financier, inspirée, dit-on, d'un arrêt du Parlement d'Aix-en-Provence qui avait eu à connaître d'une plainte d'un avocat troublé dans son travail par les chansons de son voisin ouvrier. Plus près de nous encore deux décisions de la Cour (impériale, puis royale) de Metz du 10 novembre 1808 qui, à propos d'émanations insalubres et désagréables provenant de l'exploitation d'un teinturier, considéraient qu'“il est permis à chacun de disposer de sa propriété comme il lui plaît, mais sans cependant nuire à autrui”.

Les juridictions inférieures ont vite admis le principe de la réparation des inconvénients excessifs de voisinage. Les lignes de force étaient déjà tracées et la philosophie générale de la jurisprudence dégagée. La consécration par la Cour de cassation ne devait pas tarder. La confirmation définitive du principe ne se fit pas attendre avec le prononcé d'une cassation au motif que si l'arrêt censuré s'était “expliqué sur les causes et l'intensité du bruit provenant de l'usine” , il avait cependant “exagéré l'application de l'article 1382 du Code civil [qui déclare que tout dommage mérite réparation] et violé l'article 544 [qui consacre la propriété pour un usage non prohibé] du même code en ne vérifiant pas qu'il fût, d'une manière continue, porté à un degré qui excédât la mesure des obligations ordinaires de voisinage”.

L’an dernier, lorsque j’habitais dans mon appartement londonien, je vivais au-dessus d’une banque qui avait décidé d’installer un système sophistiqué de climatisation. Pour ne pas perturber les employés et les clients, les travaux de réfection commençaient à 20h et se poursuivaient au-delà de 2h du matin avec une symphonie de coups de marteaux, de bruits de perceuse et autres outils sonores. Il s’agissait là sans conteste d’un trouble de voisinage mais est-ce encore un abus de droit sachant qu’en Angleterre les travaux de nuit sont permis par la loi? et si oui lequel ? La réponse n’est pas simple car au fond peut-on nuire à son voisin sans commettre de faute ?

Dans cet exposé, je vais essayer de montrer que si historiquement troubles de voisinage et abus de droit ont été portés sur les fonts baptismaux par l’exercice du droit de propriété et par son interprétation jurisprudentielle, que s’ils ont fait route commune, ils se sont séparés dans le courant des années 1970 par la création par la Cour de Cassation d’une théorie autonome des troubles de voisinage, fondée notamment sur le régime de la responsabilité sans faute.

I. Abus de droit et troubles de voisinage : une naissance commune

a. L’abus de droit

Les controverses doctrinales sur la notion ont été intenses. La thèse finaliste de l'abus de droit est celle du Doyen Josserand qui, dans plusieurs ouvrages (De l'abus des droits, 1905 ; De l'esprit des lois et de leur relativité, 1939), a émis l'idée que l'abus de droit consistait en un détournement des droits subjectifs de leur fonction. L'abus de droit est inséparable de l'idée de l'existence d'une fonction sociale des droits subjectifs. Ceux-ci doivent lors de leur usage “demeurer dans le plan de la fonction à laquelle ils correspondent, sinon leur titulaire commet un détournement, un abus de droit”. Pour apprécier un éventuel abus, il convient donc d'apprécier le but en vue duquel la prérogative en cause a été accordée à son titulaire et d’examiner quels sont les mobiles qui ont animé le titulaire du droit.

Mais cette thèse a été fortement combattue et la notion même d'abus de droit a été niée. En effet pour Planiol la formule “usage abusif des droits” n'est qu'une logomachie. Et cette affirmation liminaire lui permet d'affirmer que la notion est dépourvue de sens : s'il y a abus, c'est qu'il n'y a pas de droit car “le droit cesse où l'abus commence” (Planiol, Traité élémentaire de droit civil).

À mi-chemin on rencontre la thèse moralisante de Ripert qui, s'il reprend l'idée de Planiol selon laquelle les droits ont un caractère absolu, s'en démarque en ne concluant pas à l'inutilité totale de l'abus de droit. L'exercice des droits, pour cet auteur, doit être conforme aux exigences morales de la conscience individuelle. La doctrine contemporaine semble avoir définitivement abandonné le terrain des principes pour concentrer son attention sur l'évolution jurisprudentielle.

Tout se passe en jurisprudence comme si les controverses qui ont agité la doctrine n'avaient eu aucune influence sur les tribunaux. Les différentes thèses sur l'abus de droit ont certainement paru trop théoriques et trop rigides aux juges ; ceux-ci n'ont pas entendu laisser sans réparation un dommage causé volontairement à autrui par l'utilisation dévoyée d'un droit.

Pour les tribunaux, l'abus de droit apparaît d'abord comme le moyen de réparation des conséquences de fautes commises par, ou à l'occasion de l'exercice d'un droit. La question que se pose le juge est de savoir si le préjudice allégué est la conséquence d'une

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