Boubacar : de l’établissement d’une relation
Étude de cas : Boubacar : de l’établissement d’une relation. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Cyril Mercier • 3 Septembre 2020 • Étude de cas • 5 737 Mots (23 Pages) • 468 Vues
Boubacar : de l’établissement d’une relation
Boubacar est un jeune guinéen venant d’avoir 16 ans. Il parle couramment le français. Il est le plus jeune adolescent accueilli sur le service. En qualité de référent et coordonnateur de projet, je suis présent lors de son pré-accueil lui permettant de découvrir les lieux de son futur placement. Le moment, en présence du Chef de service et de sa référente ASE est un peu solennel mais essentiel: il est question des différentes modalités de sa prise en charge (le livret d’accueil, la signature future d’un DIPC…), de la question de ses droits et de ses devoirs… Le chef de service me désigne comme son référent éducatif[1] et lui explique mon rôle. Boubacar me regarde brièvement et je lui souris : je souhaite par ce sourire lui montrer que je suis réellement heureux de le rencontrer. Je suis conscient que ces enfants ont besoin de se sentir accueillis pour pouvoir envisager l’avenir.
Arrivé 3 mois auparavant sur le territoire français, avec très peu de codes et de repères concernant la société française, je comprends qu’il lui est impossible d’assimiler tout ce qui lui est dit. Replié sur lui-même, il ne pose aucune question. Lorsque je lui demande ce qu’il à envie de faire, il me répond « trouver un patron », « faire du foot ». Il exprime ainsi ses premiers objectifs qu’il s’agira d’affiner plus tard lors de son bilan d’accueil, mais je remarque que l’école ne semble pas faire partie de ses priorités, ce qui me paraît inhabituel étant donné que la priorité pour la très grande majorité de ces jeunes est d’être scolarisé.
Nous sortons et je lui propose de visiter son nouveau logement. Il le partagera avec un colocataire de 18 ans, originaire du Mali. Cela paraît l’inquiéter alors je le questionne. Il m’explique qu’il ne veut pas partager son logement avec un inconnu. Je tente de le rassurer en lui expliquant que ce n’est que temporaire : ‘Ici les jeunes sont d’abord en collocation, puis lors de leurs départs (fin de prise en charge) ceux qui partagent une collocation intègrent chacun leur tour un T2 avec le partage d’une cuisine ou un studio : D’ici quelques temps tu auras ta propre chambre. Tout comme toi, ce jeune était à l’hôtel auparavant. Tout comme toi, il n’avait pas envie de partager sa chambre. Mais dans les premiers temps sur le service, il nous apparaît important, pour l’équipe et moi-même, que tu ne sois pas tout seul dans le logement. Ton colocataire pourra t’aider et répondre à certaines de tes questions sur le fonctionnement du service qui t’accueille.»
Je lui montre où est son espace, son lit. Il regarde celui de son voisin de chambre et j’observe son inquiétude. Souhaitant détourner son attention, je lui demande quel est son plat préféré en lui montrant l’espace cuisine. Boubacar regarde ailleurs et me répond qu’il ne sait pas se faire à manger.
A son arrivée en France à l’âge de 15 ans, Boubacar a été pris en charge par les services de l’ASE et placé dans un hôtel. Il s’agissait, comme pour les autres MNA arrivés sur le territoire, de répondre immédiatement à ses besoins physiologiques et de sécurité. Boubacar pouvait se restaurer au buffet du restaurant asiatique situé juste à côté de l’hôtel. Boubacar n’a bénéficié dans sa famille d’aucune transmission d’un savoir-faire culinaire.
Ces informations m’amènent instantanément à imaginer le moyen afin de rentrer en relation avec lui[2]. Je le regarde et lui demande s’il souhaite savoir cuisiner un plat en particulier. Il me répond que sa mère lui préparait souvent un Mafé[3] au pays: « Mais ici, il n’y a pas les ingrédients pour le faire, et de toute façon tu ne sauras pas cuisiner cela. » Je lui souris en lui proposant le jour de son admission, qui arrivera dans une semaine, de lui faire découvrir les épiceries qui nous permettrons de trouver tout ce dont il a besoin, et lui propose de cuisiner ensemble. Alors qu’il me regarde avec étonnement, je lui explique avoir beaucoup voyagé et être un passionné de cuisine : « Et justement, le Mafé est l’un des plats africains que je réalise le mieux car c’est aussi mon préféré ! »
J’accompagne Boubacar jusqu’au bureau de l’équipe socio-éducative et lui présente mes collègues présentes. Celles-ci lui font un accueil souriant et chaleureux. Sa référente ASE nous rejoindra et demande à Boubacar s’il va bien, ce à quoi il répond oui d’un hochement de tête, mais visiblement un peu ailleurs. Je les raccompagne jusque dans la rue et leur serre la main. Je regarde Boubacar et lui dit « à la semaine prochaine pour préparer ensemble un bon Mafé ! ». Il me sourit avant de suivre sa référente ASE qui le raccompagnera jusqu’à l’hôtel.
Le lendemain, les services de l’ASE me font parvenir le rapport d’évaluation[4] de Boubacar. Il a été réalisé lors de la procédure de mise à l’abri et d’évaluation sociale de la minorité et de l’isolement des MNA[5]. Ce rapport me permet de prendre connaissance de la situation générale de Boubacar (ses projets, sa scolarité, sa santé…). Ces informations me permettent de renseigner à mon tour une partie du Formulaire d’Enregistrement des Usagers que nous avons mis en place afin de répertorier, à l’entrée et à la sortie du dispositif, les informations essentielles concernant le jeune pris en charge.
Ce formulaire nous permet lors de l’écriture du rapport d’activité annuel d’établir des statistiques concernant les prises en charge des jeunes. Il me permet de repérer et d’établir des caractéristiques et des problématiques communes à ces jeunes. J’en fais une synthèse en fin d’année afin d’évaluer les évolutions ainsi que les problématiques qui émergent.
Lors de ma lecture des rapports d’évaluation de l’ASE, je tente de ne pas me focaliser sur l’exposé des motifs et l’organisation de l’exil des mineurs non accompagnés que j’accueille. Il me paraît en effet plus intéressant de rencontrer un jeune avec ce qu’il est au moment de son accueil et de limiter mes représentations à son égard. Je tente ainsi de m’affranchir de tous jugements et préjugés qui viendraient influer ma rencontre avec lui. Dans la partie de ce dossier VAE consacrée aux caractéristiques du public accueilli (page 41), j’indique que la plupart des mineurs non accompagnés ont vécu des situations complexes et parfois traumatiques. Prendre partiellement connaissance de ces informations me permets de rencontrer ces jeunes sans être moi-même trop saisi par leurs parcours.
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