La Société Humaine
Documents Gratuits : La Société Humaine. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar kevinmasta • 23 Mars 2014 • 452 Mots (2 Pages) • 686 Vues
Le moyen dont se sert la nature pour mener à son terme le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme dans la société, dans la mesure où cet antagonisme finira pourtant par être la cause d’un ordre réglé par des lois. J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur penchant à entrer en société, lié toutefois à une opposition générale qui menace sans cesse de dissoudre cette société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine. L’homme a une inclination à s’associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer (s’isoler) : en effet, il trouve en même temps en lui l’insociabilité qui fait qu’il ne veut tout régler qu’à sa guise et il s’attend à provoquer partout une opposition des autres, sachant bien qu’il incline lui-même à s’opposer à eux. Or, c’est cette opposition qui éveille toutes les forces de l’homme, qui le porte à vaincre son penchant à la paresse, et fait que, poussé par l’appétit des honneurs, de la domination et de la possession, il se taille une place parmi ses compagnons qu’il ne peut souffrir mais dont il ne peut se passer. Ainsi vont les premiers véritables progrès de la rudesse à la culture, laquelle repose à proprement parler sur la valeur sociale de l’homme ; ainsi tous les talents sont peu à peu développés, le goût formé, et même, par le progrès des Lumières, commence à s’établir un mode de pensée qui peut, avec le temps, transformer notre grossière disposition naturelle au discernement moral en principes pratiques déterminés, et ainsi enfin transformer cet accord pathologiquement extorqué pour l’établissement d’une société en un tout moral. Sans ces propriétés, certes en elles-mêmes fort peu engageantes, de l’insociabilité, d’où naît l’opposition que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient cachés en germes pour l’éternité, dans une vie de bergers d’Arcadie, dans une concorde, un contentement et un amour mutuel parfaits ; les hommes, doux comme les agneaux qu’ils paissent, ne donneraient à leur existence une valeur guère plus grande que celle de leur bétail, ils ne rempliraient pas le vide de la création quant à sa finalité, comme nature raisonnable. Il faut donc remercier la nature pour leur incompatibilité d’humeur, pour leur vanité qui en fait des rivaux jaloux, pour leur désir insatiable de possession et même de domination ! Sans cela, toutes les excellentes dispositions naturelles qui sont en l’humanité sommeilleraient éternellement sans se développer. L’homme veut la concorde ; mais la nature sait mieux ce qui est bon pour son espèce : elle veut la discorde.
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