Tableaux de famille
Fiche de lecture : Tableaux de famille. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Antoine Grand • 19 Juin 2019 • Fiche de lecture • 5 197 Mots (21 Pages) • 1 068 Vues
TD : Sociologie des comportements sociaux
Séance 6
Voici les propos de Bernard Lahire, extraits de la préface de son ouvrage Tableaux de famille, paru en 1995 : « (…) Pas d’enquête empirique féconde sans questionnements théoriques solides ; mais pas non plus de développement de l’imagination sociologique sans découvertes ni résistances empiriques »
Le travail empirique mis en oeuvre par le sociologue s’inscrit dans une démarche globale de réflexion théorique, méthodologique et épistémologique qui s’explique par plusieurs nécessités :
- La première nécessité consiste à passer d’une réflexion sociologique statistiquement fondée à une sociologie plus « microscopique » des processus et des phénomènes sociaux. Jusqu’à la parution de son ouvrage, les grands modèles explicatifs des inégalités sociale de réussite scolaire sont jusque-là essentiellement basés sur des données statistiques concernant les probabilités différentielles de réussite scolaire selon le milieu social d’appartenance[1].
- La deuxième découle de la première puisqu’elle tient à la volonté de changer d’échelle d’observation des faits sociaux. C’est du côté des « configurations familiales et des relations intra-familiales » que le sociologue se tourne pour expliquer les éléments de différenciation d’élèves socialement proches mais scolairement très différents.
- La troisième nécessité relève quant à elle du souci de convaincre du caractère pertinent des cas de réussite improbables d’un point de vue sociologique. La démarche épistémologique qui guide l’enquête de Bernard Lahire repose donc sur l’idée selon laquelle le social gagne à être saisi autant à l’échelle des individus qu’à celle des catégories ou des groupes.
Bernard Lahire est un sociologue français, professeur de sociologie à l’Ecole Normale supérieure de Lyon et directeur de l’équipe Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations du Centre Max-Weber (CNRS). Ses travaux ont d’abord porté sur la production de l’échec scolaire à l’école primaire (Culture écrite et inégalités scolaires, sociologie de l’échec scolaire à l’école primaire, 1993), les réussites scolaires en milieux populaires (Tableaux de famille : heurts et malheurs scolaires en milieux populaires, 1995) puis sur les pratiques culturelles des français (La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, 2004), l’oeuvre de Kafka (Franz Kafka : éléments pour une théorie de la création littéraire, 2006) ou encore plus récemment sur les rêves (L’interprétation sociologique des rêves, 2018). Il a aussi collaboré dans le cadre de nombreuses publications collectives sur des questions d’ordre épistémologique, théorique et méthodologique. L’ensemble de ces travaux ont abouti à la formulation d’une théorie de l’action dispositionnaliste et contextualiste, sensible à l’échelle individuelle du monde social, qui contribue à transformer la théorie de l’habitus et des champs développée par Pierre Bourdieu, dont il se considère lui-même comme l’un des héritiers.
L’enquête place au centre de l’étude vingt-sept enfants issus de milieux populaires scolarisés en classe de CE2 au sein d’établissements situés en zone d’éducation prioritaire de la banlieue lyonnaise. Quatorze d’entre aux sont considérés comme en situation d’« échec », tandis que les treize autres apparaissent plutôt en situation de « réussite » scolaire. L’interrogation centrale de l’ouvrage porte sur la saisie de différences « secondaires » entre des familles populaires aux caractéristiques relativement semblables et homogènes du point de vue de leur position au sein de l’espace social. La problématique de l’ouvrage est donc la suivante : quelles sont les différences internes aux configurations familiales qui permettent d’expliquer des degrés d’adaptation scolaire différents des enfants concernés ?
D’un point de vue méthodologique, le sociologue s’est appuyé sur des données de natures et origines diverses : entretiens réalisés auprès des familles et des enfants, fiches de renseignements scolaires, cahiers d’évaluation, entretiens de début et de fin d’année avec les enseignants. Les entretiens menés auprès des familles constituent toutefois l’essentiel du matériau analysé. Cinq thèmes ont été retenus comme particulièrement pertinents pour la description des configurations familiales : les formes familiales de la culture écrite, les conditions et dispositions économiques, l’ordre moral domestique, les formes de l’exercice de l’autorité familiale et les modes familiaux d’investissement pédagogique.
Sur la base de l’extrait distribué, il s’agira de s’intéresser dans un premier temps aux caractéristiques des différentes formes de culture écrite et à leur mode de transmission au sein de l’univers familial. Ces différents processus de transmission identifiables à l’échelle de l’individu tendent à reconsidérer certaines notions clés issues des grands modèles explicatifs des inégalités sociales de réussite scolaire (I). Puis dans un second temps, il conviendra d’aborder plus en détails la démarche empirique mise en place par le sociologue, à travers la présentation de deux configurations familiales singulières (II).
1. Les différentes modalités de transmission de la culture de l’écrit à l’intérieur des familles
A travers l’analyse théorique des différentes formes familiales de la culture écrite, Bernard Lahire interroge la notion de « transmission ». Il présente les différentes manières concrètes dont les enfants peuvent entrer dans une culture familiale de l’écrit, celles-ci étant combinables entre elles : par incitations parentales diverses, par collaborations ou par imitation et identification de comportements et de pratiques parentales (A). D’autres pratiques de l’écrit - telles que les pratiques d’écriture domestique - aux effets plus indirects et non intentionnels sur l’enfant, doivent être considérées pour appréhender leur situation scolaire (B).
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