Economie Et Droit: le droit d'auteur
Recherche de Documents : Economie Et Droit: le droit d'auteur. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 16 Juillet 2012 • 3 406 Mots (14 Pages) • 1 110 Vues
Le droit d'auteur aujourd'hui
Des enjeux économiques, politiques et culturels
Mene, Pauline
1commerce1.
Entretien avec Emmanuel Pierrat
Avocat spécialisé, chroniqueur à Livres Hebdo et auteur de plusieurs ouvrages pratiques sur le droit d’auteur, Emmanuel Pierrat a publié en janvier 2006 La guerre des copyrights, livre dans lequel il décrit les enjeux mondiaux des luttes d’intérêts dans tous les domaines de la propriété intellectuelle, de la contrefaçon industrielle aux brevets pharmaceutiques, du droit d’auteur sur Internet au droit à l’image et au respect de la vie privée. La course à la protection s’accélère chaque jour, les positions se radicalisent, au risque de voir se rompre l’équilibre déjà fragile entre les droits de propriété des uns et les droits d’usage des autres. Le livre, en révélant ces intérêts contradictoires, ne montre pas seulement les raisons économiques, cachées ou non, des pétitions de principe et des proclamations. Il replace les événements dans leur contexte juridique, social et culturel, et plaide avec vigueur pour l’intérêt collectif. Alors que la loi Dadvsi (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) vient d’être votée, il nous a semblé utile de revenir avec l’auteur, dans un entretien à bâtons rompus, sur les postures des différents acteurs et, au sein de ce dossier croisant volontairement l’approche économique et l’approche juridique, de remettre en perspective un débat qui a durablement marqué les esprits dans le monde des bibliothèques et de la documentation : pour quelle idée du droit se bat-on, si l’on doit s’engager dans cette guerre-là : une idée économique, ou une idée politique ? Mais on nous répondra que les deux sont indissolublement liées…
BBF - Dans un chapitre de votre livre consacré à la contrefaçon en général et à sa répression en particulier (p. 48), vous écrivez que selon vous la loi Dadvsi présentée en décembre 2005 n’apportait sur ce plan à peu près rien de neuf, à l’exception de la légitimation des mesures techniques de protection. D’ailleurs, vous ne faites vous-même qu’une toute petite place à cette loi qui a mobilisé les associations professionnelles et fait couler tant d’encre. À peine un événement, presque un incident, dans cette guerre ouverte de la propriété intellectuelle qui s’étend au monde entier. Le livre ayant été achevé avant que la loi arrive en débat au Parlement, avez-vous le même sentiment à son sujet, rétrospectivement ? Par exemple, que vous inspirent la teneur et le ton des débats sur le téléchargement au Parlement en décembre 2005 et en mars 2006 ?
Emmanuel Pierrat - Je les ai trouvés assez pitoyables et assez indignes, en général. Les parlementaires se targuaient tous, en montant à la tribune, de parler au nom de la « patrie du droit d’auteur ». J’ai trouvé qu’il y avait un décalage extrêmement grand entre cette formule, cette espèce d’apostrophe générale pour justifier tout et n’importe quoi, et l’absence complète de connaissance en la matière de la très grande partie, disons 95 % environ, des intervenants.
BBF - Des deux côtés de l’échiquier politique ?
EP - Oui, en sachant que les affrontements avaient lieu aussi à l’intérieur des familles politiques. Quand je regarde la position des socialistes sur le téléchargement, j’ai entendu démagogie sur démagogie ; dans la précipitation, un débat mal ficelé entraîne des réactions pas toujours bien préparées. Il y a toutefois un ou deux spécialistes réels, on peut citer Patrick Bloche ou Christian Paul, qui ont rédigé des amendements excellents. Du côté de la majorité actuelle c’est pareil, un ou deux intervenants avaient réfléchi en amont, mais la plupart étaient là pour délivrer des sentences du niveau du café du commerce et les autres pour flatter les populations électorales, faire plaisir aux uns et aux autres, etc. Cela m’a fait beaucoup de peine, mais ce qui m’a le plus frappé, c’est l’impréparation du ministère de la Culture. Peu importe la couleur politique, ce qui a conduit à cette situation, c’est que les services du ministère chargés de préparer la transposition ont mis un temps record à le faire, qu’ils l’ont fait dans le désordre, y compris jusqu’au vote de la commission paritaire. Avec le résultat que nous voyons, il y a pour un avocat matière à plaider pour les vingt ans à venir ! Le retard à préparer les textes est exaspérant. Voyez l’exemple précédent de la directive de 1993 sur la durée des droits, il a fallu quatre ans pour transposer quatre articles, et on a oublié d’abolir les prorogations de guerre et celles pour les « morts pour la France », on s’est aussi trompé sur la date d’effet de la directive… En fait, si le débat a eu un mérite, c’est de mettre le droit d’auteur à la une des journaux, ce qui n’arrive pas souvent et a permis à chacun de s’interroger sur ces questions.
BBF - À propos du ministère de la Culture, ce qui m’a frappé, moi, c’est la surprise du ministre devant l’offensive parlementaire, comme s’il s’attendait à ce que la loi passe comme une lettre à la poste.
EP - J’ai été moi aussi frappé de ce décalage, mais aussi par le mépris pour les parlementaires : faire passer le projet devant la commission des lois au lieu de la commission culture, et ne pas voir qu’il y avait avant même le commencement des débats deux cent quarante amendements déposés, sans qu’aucun n’ait pu être examiné par la bonne commission et pour cause…
BBF - S’agissant du téléchargement, en quoi consiste la déma-gogie ?
EP - Elle est de deux types : le premier, qu’on a peu entendu dans l’hémicycle, c’est le « tout gratuit », qui relève d’une incompréhension totale de ce qu’est la philosophie du droit d’auteur, et le second, qu’on a beaucoup entendu, et qui consiste à dire que le droit d’auteur c’est seulement un salaire au profit des producteurs, et accessoirement des artistes. Dans les deux cas, ce qui est oublié, c’est l’équilibre nécessaire entre deux droits, non pas entre celui des auteurs et des consommateurs (quand on emploie ce mot, je commence à avoir peur), mais entre, disons les mélomanes, les cinéphiles, les lecteurs d’un côté, et les auteurs et les artistes de l’autre.
...