Nullité De La Periode Suspecte
Recherche de Documents : Nullité De La Periode Suspecte. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 11 Décembre 2013 • 4 133 Mots (17 Pages) • 1 149 Vues
THEORIE DE LA CAUSE ET JUSTICE CONTRACTUELLE
A propos de l’arrêt Chronopost (Cass. com. 22 octobre 1996)
Jean-Pascal CHAZAL
Maître de conférences
à l’Université Jean-Moulin (Lyon III)
L’arrêt Chronopost n’a peut-être pas encore livré toute sa richesse. A travers la théorie de la cause, il met implicitement en oeuvre l’idée de lésion en autorisant la révision judiciaire du contenu des contrats. Mais il serait souhaitable de limiter les pouvoirs de réfaction du juge aux cas d’abus de puissance économique, qui seuls justifient le rééquilibrage contractuel au profit de la partie économiquement faible. La lésion qualifiée trouve, en effet, son fondement dans l’équité naturelle : la justice, qui constituait pour les jurisconsultes romains la finalité du droit - Non ut ex regula jus sumatur, sed ex jure quod est, regula fiat. Paul, D.50, 17, 1.
1. La théorie de l’absence de cause a été, dans l’histoire, à la fois refoulée par un souci de sécurité et développée par un besoin de justice. Dans la Rome ancienne, le principe du formalisme interdisait d’avoir égard à la cause de l’obligation. Pourtant, le préteur a dû, à l’époque classique puis au Bas-Empire, élaborer la théorie des condictiones en faveur du débiteur qui s’est engagé sans contrepartie. Par exemple, dans les contrats innommés, la condictio causa data causa non secuta permettait d’obtenir la restitution d’une chose ou l’octroi d’une indemnité en cas d’inexécution de la contre-prestation promise. Plus généralement, Ariston avait répondu à Celse que dans les contrats comportant des obligations réciproques (sunallagma), l’équilibre rompu par une inexécution doit être rétabli par une action civile incerti (actio praescriptis verbis) . Avec les progrès du consensualisme, et grâce à la théorie romaine des contrats innommés, les canonistes ont fait entrer la cause dans le champ contractuel et l’ont érigée en condition de validité des conventions. La volonté ne suffit pas pour créer une obligation, encore faut-il, dans les contrats synallagmatiques, qu’une contrepartie existe. On est passé de la règle ex nudo pacto actio non nascitur , à l’adage médiéval ex nudo pacto oritur actio nudum a solemnitate sed non nudum a causa. Dans la formation des contrats, la théorie de la cause s’est ainsi substituée au formalisme. Domat et Pothier ont parachevé cette évolution en expliquant que, dans les contrats à titre onéreux, la cause de l’obligation d’une partie réside dans l’engagement de l’autre. En exigeant l’existence d’une contre-prestation, il est clair que la cause de l’obligation est devenu un moyen de sanctionner les déséquilibres contractuels les plus graves.
2. La doctrine moderne a, malgré les critiques anti-causalistes, montré que cette contrepartie ne doit pas être quelconque, mais doit constituer une valeur, c’est à dire satisfaire l’utilité légitimement attendue. Selon une conception économique, le contrat doit être défini plus comme un échange de valeurs que comme un échange de consentements . Plus profondément, le fondement de la force obligatoire du contrat ne doit pas être recherché dans le dogme de l’autonomie de la volonté, mais dans la justice contractuelle qui impose de ne tenir pour juridiquement valable que les conventions ne présentant pas un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations réciproques. L’importante décision, rendue le 22 octobre 1996 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans l’affaire Chronopost, s’inscrit incontestablement dans ce courant. Elle se rattache à un fort mouvement jurisprudentiel, qui depuis quelques années, porte une attention particulière aux déséquilibres contractuels. A l’instar du droit de la consommation, qui sanctionne les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des contractants (L.132-1 Code de la consommation), la Cour de cassation veille à ne pas laisser une partie abuser de sa puissance économique pour imposer des clauses manifestement lésionnaires à son cocontractant, même si celui-ci est un professionnel.
3. Mais l’accueil que lui a réservé la doctrine a été très mitigé . La finalité recherchée doit pourtant être approuvée, car il s’agit de faire prévaloir une conception du contrat fondée sur l’équité, la justice commutative, sans commettre l’erreur de croire que le contrat n’est que le produit de la volonté. Rappelons que Portalis expliquait, à propos de la lésion : « il est des règles de justice qui sont antérieures aux contrats même, et desquelles les contrats tirent leur principale force. Les idées du juste et de l’injuste ne sont pas l’unique résultat des conventions humaines; elles ont précédées ces conventions, et elles doivent en diriger les pactes. De là les jurisconsultes romains, et après eux toutes les nations policées, ont fondé la législation civile des contrats sur les règles immuables de l’équité naturelle » . En cela, il rejoint la pensée d’Aristote selon laquelle « le juste dans les contrats consiste en une certaine égalité » . Non pas une égalité abstraite comme celle que nous connaissons aujourd’hui, mais une égalité dans le concret, une juste proportion ; notion qui renvoie directement à la définition du droit proposée par Celse : jus est ars boni et aequi . Or, la théorie de la cause est un instrument permettant d’assurer, dans les contrats, la justice commutative (I). Cependant, l’utilisation de la théorie de la cause pour éradiquer certaines clauses, que l’on pourrait qualifier d’abusives, se heurte à des limites qui révèlent un recours sous-jacent à l’idée de lésion (II).
I - La cause : instrument de justice commutative
4. La Cour de cassation admet aujourd’hui, ce qu’elle avait refusé hier pour la clause pénale dans le contrat de crédit-bail , à savoir que chaque obligation d’un contrat synallagmatique doit trouver dans celui-ci sa contrepartie particulière. Classiquement, avant la loi du 9 juillet 1975, il était jugé que la clause pénale, fut-elle excessive, avait pour contrepartie l’engagement du bailleur de mettre à la disposition du preneur le matériel loué , ce qui écartait toute possibilité d’annulation d’une clause abusive sur le fondement de l’absence partielle de cause . Mais il semble que cette jurisprudence soit progressivement
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