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En Quoi La Vulnérabilité Appelle-t-elle Une Vigilance éthique?

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Par   •  4 Mai 2014  •  5 587 Mots (23 Pages)  •  1 442 Vues

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En quoi la vulnérabilité (malades chroniques ou souffrant de pathologies invalidantes, personnes handicapées, vieillards grabataires ou atteints de démence, sénile, comateux, etc.) appelle-t-elle une vigilance éthique ?

Introduction :

Nous faisons tous un jour au l’autre l’expérience de la vulnérabilité, à travers la maladie par exemple qui nous fragilise bien sûr sur le plan physiologique, mais aussi sur le plan psychique et

social, réduisant la latitude ou si, l’on préfère, la « marge de manœuvre » du sujet par rapport à son milieu et allant parfois jusqu’à lui interdire la participation active et aisée au genre de vie qui était autrefois le sien1. Toutefois, pour certains, cet état de vulnérabilité est permanent : c’est le cas par exemple des personnes lourdement handicapées ou atteintes de pathologies chroniques invalidantes, des grands vieillards dépendants, des personnes souffrant de maladies dégénératives ou encore des comateux, etc. La vulnérabilité, c’est d’abord l’expérience d’un certain dépouillement, à travers l’altération du corps et/ou de l’esprit : la personne vulnérable est véritablement mise à nu par et devant la maladie, le handicap, la souffrance, mais aussi face aux autres, le sujet n’ayant parfois pas ou plus les moyens de se faire entendre, de se protéger ou de se déterminer par lui-même, et nécessitant de ce fait une attention et une considération toutes particulières.

Au delà de cet aspect qui, dans nos sociétés, détermine toute une série de mesures d’assistance et de protection à l’égard des plus vulnérables, notamment au plan juridique, en quoi la vulnérabilité prescrit-elle au médecin un ensemble de devoirs moraux et, plus que cela, une vigilance à l’égard de ses propres choix et actions ? Parce qu’elle induit une asymétrie de relations entre celui qui, incarnant le savoir et le pouvoir, est susceptible d’infléchir, en bien ou en mal, le destin de celui qui, démuni et fragile, s’en remet entre ses mains, la vulnérabilité appelle bien à un questionnement éthique en médecine : comment éviter, notamment, face à ceux qui ne sont plus en mesure de se protéger ni de défendre leurs intérêts propres, l’écueil du paternalisme – ou le fait de décider systématiquement pour et à la place de – sans pour autant tomber dans l’abandon d’individus qui, de fait, ne peuvent parfois vivre sans l’autre et ont besoin que leur autonomie soit soutenue ? La réflexion sur la vulnérabilité n’invite-t-elle pas à dépasser les oppositions trop binaires où s’enferme parfois la pensée médicale, à approfondir le sens de la responsabilité des soignants et à penser ce que pourrait-être une authentique éthique au service de la vulnérabilité, une éthique qui prenne en compte les singularités de la personne vulnérable et son mode d’être au monde, radicalement différent du nôtre ?

Première partie : La vulnérabilité : un appel à la vigilance et à la responsabilité.

A – Les personnes vulnérables sont celles qui sont relativement (ou totalement incapables) de protéger leurs propres intérêts : plus précisément, leur pouvoir, leurs facultés, leur degré d’instruction, leurs ressources, leur force ou autres attributs nécessaires pour protéger leurs intérêts propres, peuvent être insuffisants. La vulnérabilité est donc une réalité complexe, à la confluence de plusieurs domaines : juridique, médical, psychologique, social. Le mot « vulnérable » trouve son origine dans la racine latine vulnus, vulneris, qui signifie la blessure : en ce sens, la vulnérabilité, aussi imprécise que soit sa définition, c’est la condition de ceux qui peuvent, un jour, être blessés corporellement, moralement ou socialement. Le signifié de « vulnérabilité » est d’ailleurs proche de celui de fragilité, qui signifie une prédisposition à être brisé (du latin frangere). Classiquement, on définit les personnes vulnérables comme celles qui sont menacées dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité, physique ou psychique, et qu'il s’agit d’aider, de soigner, de soutenir ou de protéger pour qu’elles déploient leur propre rapport à la vie, la vulnérabilité pouvant d’ailleurs résulter de circonstances très diverses : l’âge, la maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique, etc. Parce qu’elle nous confronte à l’image d’une humanité nue, dépouillée, la rencontre avec la vulnérabilité – qu’il s’agisse de celle de la personne atteinte d’une pathologie invalidante ou menaçant son pronostic vital à court terme, du vieillard atteint de pathologie démentielle, du polyhandicapé accusant des déficits cognitifs majeurs, etc. – constitue en médecine un appel à la sollicitude et détermine un ensemble de devoirs rigoureux, qui vont au delà des normes juridiques et déontologiques imposées à la pratique médicale : exprimant pour tous la finitude et la fragilité de l’existence humaine, la vulnérabilité prescrit en effet le respect, le souci et la protection d’autrui ; elle constitue un appel à l’éthique, cette dernière désignant ultimement la dimension fondamentale de mon rapport à l’autre qui exige la reconnaissance de la permanence de sa dignité à toutes les étapes de son existence et cela quels que soient les aléas, altérations et accidents que l’âge, les circonstances de la naissance et de la vie imposent à son corps et à son psychisme. La dignité de l’être humain est en effet tout entière en suspens dans le visage, dans le corps, dans la personne qui viennent signifier la déficience et la fragilité, comme le rappelle le philosophe Emmanuel Levinas (voir par ex. Totalité et Infini (1961), Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio Essais », 1994) qui subordonne la visée éthique à la reconnaissance de l’altérité de l’autre : c’est en effet l’autre, dans sa vulnérabilité, dans sa présence singulière, qui impose l’éthique, qui est la condition même de l’exigence éthique. L’altérité singulière d’autrui m’oblige au respect de sa personne et fonde une obligation morale dont je ne saurais me défaire. La rencontre avec l’autre met en effet en présence d’un être séparé, différent, digne du même intérêt que celui que je me porte, et que je ne peux réduire à ce que j’en sais, ni transformer en chose. Le visage de l’autre, en particulier, dans sa nudité, dans sa vulnérabilité, m’impose l’obligation morale de ne pas l’atteindre et de me décentrer sur lui2. Ce point est fondamental pour la médecine : elle trouve largement son compte d’éthique dans cette expérience de la rencontre car si le visage d’autrui est déjà

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