Saint Paul
Lettre type : Saint Paul. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar • 23 Mars 2015 • Lettre type • 10 360 Mots (42 Pages) • 977 Vues
Chronique hebdomadaire sur le cheminement de Paul de Tarse, de sa naissance à sa mort, par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d.
1- Saint Paul, l’Apôtre des nations
Paul de Tarse a été et est encore aujourd’hui l’un des plus grands personnages de l’histoire du christianisme. C’est pourquoi nous avons intérêt à connaître ce pilier de notre Église.
Il existe plusieurs façons d’aborder son œuvre. On peut étudier
sa personnalité,
sa théologie,
ses voyages missionnaires,
ses nombreux conflits
ses lettres aux communautés,
ses relations avec ses ami(e)s et ses ennemi(e)s,
son influence à travers les âges,
etc., etc.
Je pense que la meilleure façon de bien connaître ce pionnier du christianisme est de le «suivre à la trace», de la naissance à la mort. Il a eu une vie exceptionnelle, pleine de surprises et de rebondissements. Il a connu des scénarios dignes des plus grands films d’action.
Cette approche est plus longue mais elle nous permet de mieux découvrir toute la richesse et toute la complexité du personnage.
Plusieurs d’entre nous avons une bonne connaissance des quatre évangiles : Marc, Matthieu, Luc et Jean, mais Paul, l’auteur des Épitres, reste une énigme et un point d’interrogation.
J'espère vous donner le goût de lire Paul de Tarse, de prier avec lui et de méditer sur sa vie sur ses écrits.
Je m’efforcerai de faire un peu de lumière sur cet homme, à travers ses cheminements tortueux, son développement théologique, ses conflits avec la communauté de Jérusalem, ses voyages missionnaires, sa pastorale pour les églises et ses lettres passionnées.
Déterminé, parfois têtu, ombrageux à l’occasion, Paul a eu de nombreux ami(e)s et un grand nombre d’ennemi(e)s. Il a joué un rôle de premier plan dans les débuts du christianisme et son influence perdure jusqu’à nos jours.
J’éviterai de m’impliquer dans les innombrables controverses de spécialistes sur la vie de Paul, sur l’authenticité de certaines de ses lettres, sur ce que Luc dit de lui ou ce qu’il a jugé bon de passer sous silence. Je voudrais vous présenter la «vie de saint Paul» avec toute la richesse que nous offre cet apôtre unique en son genre. Vous le verrez en pleine action dans les grandes villes de l’Empire romain, voyageant d’Est en Ouest, toujours désireux de porter plus loin la Bonne Nouvelle, jusqu’aux limites du monde connu.
À travers cette «biographie», nous pourrons aussi lever le voile sur la vie quotidienne des premiers chrétiens et sur les nombreuses communautés fondées par Paul.
J’espère vous donner le goût de lire Paul de Tarse, de prier avec lui et de méditer sur sa vie et sur ses écrits.
Des centaines d’excellents volumes ont été publiés par des experts qui ont pour Paul une grande admiration et une connaissance approfondie de son œuvre missionnaire. À intervalle régulier, je vous donnerai le nom de certains de ces auteurs, le titre de leur livre, l’édition et une photo du volume mentionné.
Cela vous incitera peut-être à vous procurer l’un ou l’autre de ces volumes, afin de mieux apprécier toute la richesse de Paul de Tarse.
2- Paul, l’apôtre inconnu
Pour la plupart des chrétiens, Paul est un parfait étranger. Nous ne le connaissons pas ou le connaissons mal.
Il est vrai que souvent ses écrits nous parviennent à travers la deuxième lecture de l’eucharistie dominicale, en pièces détachées et sans lien avec la première lecture et l’évangile. Certains prêtres évitent même cette «deuxième lecture», et c’est très rare que le célébrant fasse une homélie sur le texte de saint Paul.
S’il est mal connu, Paul n’en reste pas moins l'un des personnages les plus populaires de l’histoire de la chrétienté. Des centaines d’églises, de nombreuses paroisses, des milliers de volumes lui sont dédiés et, dans l'histoire de l'Art, nous retrouvons son portrait partout à travers les siècles. On nous le présente en peinture, sculpture, mosaïque, fresque, aquarelle, icône, ivoire, vitrail, enluminure, etc. Il est présent dans les catacombes, les cavernes, les palais, les maisons, les églises. Peu de grands personnages ont été représentés aussi souvent que saint Paul.
Personnage d'une rare intensité, il est déconcertant par ses contradictions
Après deux mil ans, il fait encore parler de lui. Son œuvre missionnaire grandiose ne cesse de nous surprendre et de nous fasciner. Avec si peu de moyens, il a surmonté des obstacles énormes. Malgré une santé fragile, il s’est engagé dans des voyages périlleux, sur terre et sur mer.
Au cours de sa carrière missionnaire, Paul a affronté une opposition farouche de la part des Juifs, des Gentils et des judéo-chrétiens. Il a été victime des calomnies les plus odieuses et continuellement il a dû défendre son apostolat. On l’a attaqué sur tous les fronts. Parfois il a été trahi par ses propres disciples. Il fut arrêté, battu, flagellé, mis en prison, lapidé, expulsé et finalement décapité. Rien ne lui a été épargné jusqu'au jour de son martyre.
Pendant les premières années du christianisme, Paul a été le seul à comprendre que le message du Christ n'avait d'avenir qu'en s'adressant à tous et non seulement aux Juifs. Le christianisme se devait d’être universel ou il ne survivrait pas. Paul avait compris la mission universelle du Christ : «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit... » (Matthieu 28, 18)
Paul a imposé cette vision chrétienne longtemps avant que les quatre évangiles ne soient écrits.
Ce grand missionnaire a été pendant toute sa vie un personnage d'une rare intensité. Il est déconcertant par ses contradictions. Véritable mystique, il est aussi un organisateur hors pair. Doté d’un mauvais caractère, il est continuellement entouré de nombreux ami(e)s. Accusé d’être intolérant, misogyne, anti Juifs, il a travaillé avec plusieurs femmes, ce qui n’était pas acceptable dans la culture de son temps, et est resté véritablement Juif jusqu’à sa mort. Malgré son bouillant caractère, ses communautés lui sont restées fidèles jusqu’à la fin.
Pour connaître S. Paul, nous avons plusieurs sources. Il y a d’abord ses lettres (13 en tout – j’exclus ici la lettre aux Hébreux). Ces Lettres parlent de ses voyages, de ses luttes constantes, de ses fondations d’églises, de ses nombreux conflits. Elles sont essentielles à la compréhension de la personnalité de Paul, de sa théologie et de son message. Les Épitres de Paul lèvent le voile sur la vie quotidienne des premières communautés chrétiennes.
Ensuite, nous avons les Actes des Apôtres de saint Luc, le grand admirateur et le chroniqueur de saint Paul. Il nous offre un portrait qui a peu d'équivalence dans l'histoire de l'Antiquité. Grâce à Luc, Paul est mieux connu que la plupart des grands personnages de la Rome antique.
Donc deux portraits : celui de Luc et celui de Paul lui-même. Il existe aussi quelques écrits un peu plus tardifs : les Actes de Paul, les Actes de Pierre, l'Épitre des Apôtres, le Didakê qui ajoutent à ces informations.
L’histoire de l'Empire romain et les découvertes archéologiques complètent le portrait de l’homme de Tarse. Elles nous font connaître les institutions, la culture, l'économie et les moyens de transport du premier siècle. Elles enrichissent ainsi notre connaissance de l’Apôtre et des communautés chrétiennes.
Les trois voyages missionnaires de Paul se situent entre les années 46 et 58 de notre ère. Au commencement de ces voyages, Claude était empereur et à la fin, Néron, dirigeait l’Empire. Durant toutes ces années, le gouvernement impérial s'efforçait de concentrer le pouvoir et la richesse dans la Capitale. Cette politique remontait au siècle antérieur, quand la République avait cédé la place à l'Empire sous Jules César. Les empereurs cherchaient à maintenir la «Paix romaine» (Pax romana), qui favorisait le commerce international et la perception des impôts.
Au temps de Paul, la population de l'empire romain était d’environ 50 millions d'habitants, ayant des statuts très variés : il y avait les citoyens romains et les non citoyens, les gens des villes et ceux des campagnes, les hommes libres et les esclaves, les hommes et les femmes, les civils et les militaires. C'était un monde de disparités et d'injustices. Tout ceci va jouer un rôle important dans le succès du christianisme naissant.
Rome comptait alors environ 1.000.000 d’habitants, Éphèse 650.000, Antioche de Syrie 500.000, Tarse 300.000 et Jérusalem 25.000.
Dans l'Empire, il existait une culture commune. Partout on parlait et on pensait grec, même chez les Romains qui auraient bien voulu imposer le latin comme langue universelle, mais cela ne se produira que beaucoup plus tard.
Tout au long de ses voyages, Paul a profité des nombreuses colonies juives de la Diaspora (la dispersion des Juifs à travers l'empire). Dans presque toutes les villes il y avait des synagogues, ce qui lui permettait d’avoir un premier contact rapide partout où il passait.
Le monde de Paul est celui des grandes villes, ouvert, pluraliste et cosmopolite. C’est à ce monde multiculturel que Paul adresse la Bonne Nouvelle du Christ.
3- Qui est Paul de Tarse?
Paul est né vers l’an 8 de notre ère. Il serait donc d’une dizaine d’années plus jeune que Jésus de Nazareth. De ses parents et de son enfance, nous savons peu de choses. Dans ses lettres, il ne dit rien de sa famille. Saint Luc nous indique que Paul avait une sœur mariée, demeurant à Jérusalem et un neveu qui lui sauvera la vie (Actes 23, 16).
Toute sa vie, il a maintenu son appartenance au peuple juif : «Circoncis dès le huitième jour», « de la race d'Israël», «de la tribu de Benjamin».
Saul (prononcé «saule» en français), est le nom hébreu qui lui a été donné à la circoncision. À ce nom sémitique, il ajoutera plus tard celui de Paulus. Il n'a pas changé de nom mais il porte un double nom : Saul-Paulus qui signifie «peu», «petit». Très rapidement, il sera connu sous ce seul nom.
Les Actes de Paul, un petit livre rédigé vers le milieu du 2e siècle, nous donnent le portrait suivant de l’apôtre des nations : « On vit venir Paul, un homme de petite taille, à la tête dégarnie, les jambes arquées, vigoureux, les sourcils joints, le nez légèrement aquilin. » À travers les siècles, la tradition a conservé cette image de Paul : petit, maigre, énergique, chauve et barbu.
Paul n’avait peut-être pas un corps d’athlète, mais il était propulsé par une force et une vigueur exceptionnelles. Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il écrit :
« Souvent j'ai été près de la mort. Cinq fois j'ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois j'ai été battu de verges par les Romains; une fois lapidé; trois fois j'ai fait naufrage. Il m'est arrivé de passer un jour et une nuit dans la mer! Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité !» (2 Corinthiens 11, 25-27) Malgré son aspect fragile, il était d’une endurance à toutes épreuves.
Paul est un homme d'une grande éducation
Paul est un homme d’une grande éducation. Il a fait ses premières études à Tarse, sa ville natale, et ensuite il a étudié à Jérusalem, avec le professeur juif le plus connu de son temps : Gamaliel.
Ceux qui le rencontraient se rendaient compte très rapidement qu’il était une personne éduquée. Lors de son arrestation à Césarée, le Procureur romain Porcius Festus dira à Paul : «Tu es fou, Paul; ton grand savoir te fait perdre la tête». (Actes 26, 24)
Sur le plan culturel, Paul est très différent des apôtres qui étaient considérés par les autorités juives comme des gens ignorants. Après la résurrection, lors de leur arrestation à Jérusalem, Pierre et Jean seront jugés par les membres du Sanhédrin comme des gens sans éducation : «Considérant l’assurance de Pierre et de Jean et se rendant compte que c’étaient des gens sans instruction ni culture, les membres du Sanhédrin étaient dans l’étonnement.» (Actes 4, 13)
Paul parlait quatre langues : l’Araméen, l’Hébreu, le Grec et probablement le Latin. L’araméen était sa langue maternelle et le grec celle de Tarse et de l’Empire. Il connaissait bien l’hébreu, la langue des Saintes Écritures. Citoyen romain, il parlait sans doute la langue des maîtres de l’Empire. Il avait étudié la philosophie et la littérature de la Grèce, il excellait en géographie, en navigation et en sport. Sa vaste culture contrastait avec l’étroitesse de la religion de ses ancêtres.
Non seulement Paul savait lire et écrire, il savait aussi nager : «Trois fois j’ai fait naufrage et il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans la mer.» (2 Corinthiens 11, 25) Ceci était chez les Grecs un signe d’éducation. Quatre siècle avant Jésus Christ, Platon qui a vécu de -428 à -348 écrivait : «L’ignorant est un homme qui ne sait ni lire ni nager».
Son époque et son milieu de vie
La vie de Paul se déroula sous le règne de cinq empereurs : Auguste, Tibère, Caligula, Claude et Néron. Trois d’entre eux devinrent de véritables monstres sanguinaires. Paul est né à Tarse, en Orient, il meurt à Rome, en Occident.
Paul a vécu dans un temps qui favorise les voyages. Il a pu se déplacer librement grâce à la «pax romana» établie sous l’empereur Auguste. Empruntant les nombreuses routes construites par les Romains et profitant du réseau de navigation qui sillonnait la Méditerranée, il parcourt des milliers de kilomètres. L’organisation de l’Empire permettait non seulement aux armées mais aussi à la population en général de se déplacer en sécurité. Pendant treize ans, il a voyagé sur mer et entrepris de longs périples à travers collines et montagnes, sous la neige en hiver et par 40¤ de chaleur en été. Pendant ses voyages, Paul a pu profiter de la présence de nombreuses colonies juives réparties sur tout le territoire de l’empire.
Paul était un véritable citadin. Il connaissait peu la campagne et la vie des fermiers de son temps, mais il comprenait bien la vie urbaine, la vie militaire et les sports. Dans ses lettres, il utilise des images de l’armée, de la politique urbaine et des jeux olympiques. On y retrouve les expressions suivantes : poursuivre la course, remporter le prix, obtenir la couronne de laurier, combattre sans frapper dans le vide, courir dans la bonne direction. Il connaît les privations et la discipline des athlètes.
Paul était un personnage plus grand que nature. Influencé par les valeurs du judaïsme, la profondeur de la philosophie grecque, la rigueur de la culture romaine et la richesse de la tradition chrétienne, il est devenu l’un des penseurs les plus originaux de l’histoire du christianisme.
Carlos Mesters divise la vie de Paul en quatre périodes principales :
1. De la naissance à l'âge de 28 ans : le Juif pratiquant.
2. De 28 à 41 ans : l'ardent converti.
3. De 41 à 53 ans : le missionnaire itinérant.
4. De 53 à 62 ans : le prisonnier et l’organisateur des communautés. Il aurait été mis à mort à 62 ans
Livre suggéré
Un excellent livre sur la vie de St Paul.
«L’homme est immense. Fou du Christ. Bouleversant par sa foi- brasier. D’abord persécuteur impitoyable des chrétiens – ses méthodes préfigurent celles des polices politiques du XXe s., il reconnaît le Fils de Dieu quand, sur le chemin de Damas, Jésus s’adresse à lui : «Il m’est apparu à moi, l’avorton, car je suis le plus petit des apôtres...»
«Mystique et stratège. Caractériel. Souffrant mille morts quand ses certitudes sont mises en doute mais refusant de n’en abdiquer aucune. Premier à comprendre que le christianisme n’avait d’avenir que s’il s’adressait aux païens. Épistolier grandiose. Convertisseur génial. Architecte du christianisme »
L’avorton de Dieu
Par Alain Decaux
Éd. Perrin – Desclée de Brouwer
333 pages
4- Le citoyen romain
Paul appartenait aux trois cultures les plus importantes de son temps : la culture romaine, la culture grecque et la culture hébraïque. Son éducation et ses racines lui donnaient ainsi une largueur d’esprit, une polyvalence exceptionnelle.
Sa culture latine
Ce Juif de Tarse était fier de son appartenance à la citoyenneté romaine. « Je suis citoyen romain ». Il utilisera ce titre à son avantage en de nombreuses occasions. Être citoyen romain, c'était bénéficier d'un statut très particulier qui donnait le droit de participer à la vie publique et surtout qui accordait des garanties judiciaires et fiscales à ceux de la minorité qui avaient ce privilège. C’était le plus grand titre de noblesse de l’Empire romain et le seul symbole de « standing » social à cette époque.
Paul profitera toute sa vie de cette dignité qu'il tenait de son père. Il n'existait alors que quatre à cinq millions de citoyens romains dans un empire d’environ 55 millions d’habitants, soit moins de dix pour cent de la population totale.
La citoyenneté romaine conférait trois privilèges principaux : le droit de vote, le droit d’immunité contre les sanctions déshonorantes et le droit d’être jugé devant le plus haut tribunal de l’Empire.
Pour ce qui est du droit de vote, nous ne savons pas si Paul l’a exercé dans sa ville de Tarse. Il pouvait participer à l'assemblée du peuple où se discutait et se décidait tout ce qui concernait la vie et l'organisation de la cité. Seuls les citoyens romains avaient ce droit de participation aux assemblées. Les femmes, les esclaves, les affranchis et les étrangers en étaient exclus. Les Grecs appelaient ce système démocratie, de demos (peuple) et kratia (gouvernement). En réalité, ce n'était pas un «gouvernement du peuple», mais plutôt le gouvernement d’une élite restreinte de citoyens privilégiés.
Le second avantage incluait l'immunité contre les sanctions déshonorantes.
Dans la ville de Philippes, Paul obtiendra des excuses de la part des juges qui l’avaient condamné à être battu de verges sans jugement. Plus tard, à Jérusalem, c'est en invoquant ce privilège qu'il échappera de justesse à la flagellation. Condamné à mort, il ne sera ni crucifié, ni brûlé dans les jardins de Néron, ni jeté aux bêtes féroces dans l’arène, comme bon nombre de chrétiens. Il sera décapité, mort plus honorable pour un citoyen romain.
Le troisième privilège sera utile à Paul lors de la première audience devant le nouveau gouverneur Festus, à Césarée maritime. En désespoir de cause, pour échapper aux conjurés qui avaient décidé de l’assassiner, il demandera d’être jugé devant la cour suprême de l’empereur, à Rome (Actes 25, 11), requête qui lui sera accordée.
Il se peut que cet « appel à César » ait été une erreur tactique de la part de Paul. En effet, comme le remarquait le roi Agrippa après l'audience : « On aurait pu relâcher cet homme s'il n'en avait appelé à César » (Actes 26, 32) ; mais Paul connaissait beaucoup mieux ses compatriotes juifs que le roi Agrippa. S’il était retourné à Jérusalem, il aurait été assassiné en chemin.
Rome a été une attraction irrésistible pour Paul de Tarse. Centre de tous les pouvoirs, cette ville semble avoir joué un rôle déterminant dans son programme missionnaire. Son avance progressive, délibérée et hardie, d'Est en Ouest, correspond à un plan préétabli de conquête pour le Christ, jusqu’à la capitale du monde. Rome devenait pour lui le symbole de l’universalité du christianisme.
La citoyenneté romaine explique en grande partie la largeur d'esprit de Paul, sa compréhension des non-Juifs et son loyalisme à l'égard de l'État, loyalisme qui lui inspira des paroles bienveillantes et des invitations à la prière pour les détenteurs de l'autorité publique.
La citoyenneté romaine fut un atout important dans son effort pour faire éclater l’étroitesse d’esprit du judaïsme de son temps et en arriver à un christianisme universel.
5- L'homme de culture grecque
En plus de sa citoyenneté romaine, Paul appartenait à la culture grecque. Dans l’immense empire, les gens parlaient grec et pensaient grec. À cause de cette culture commune à travers tout le bassin méditerranéen, Paul se sent à l’aise dans toutes les grandes villes : Tarse, Damas, Antioche de Syrie, Antioche de Pisidie, Thessalonique, Athènes, Corinthe, Éphèse, Rome...
Homme de grande culture et de grande éducation, il connaissait bien les philosophes et les écrivains de son temps. Il les cite souvent dans ses lettres et sait s’en inspirer.
À la maison, il utilisait l’araméen, sa langue maternelle, mais dans la ville où il grandit, il parlait le «koinè» ou «grec commun». C’était la langue du peuple et ce sera celle du Nouveau Testament. Paul connaissait aussi l’hébreu, la langue de la Bible, mais à l'école il a découvert les Écritures dans la traduction grecque, composée à Alexandrie d’Égypte trois siècles plus tôt (la version Septante).
Paul était un citoyen de la « polis », la cité grecque, particulièrement en ce qui regarde le droit imprescriptible de dire tout ce qu'on estime devoir être dit, sans crainte de se faire bâillonner par qui que ce soit. Les Grecs appelaient cela la « parrèsia », « le droit de tout dire ». Cette liberté d’expression, Paul l’utilisera abondamment tout au long de sa vie, ce qui provoquera parfois la colère de ses opposants et il l’intégrera à sa conception de la vie chrétienne. Selon «l’apôtre de la liberté», les églises chrétiennes ne pouvaient exister sans ce droit fondamental. Lorsque sous Constantin, au 4e siècle, le christianisme deviendra la religion de l’empire, ce privilège sera mis en tutelle. Chaque fois que la religion est au service de la politique, les chrétiens ne peuvent plus dire ce qu’ils pensent et se voient obligés de défendre l’État et les institutions, plutôt que de lutter pour la justice et la vérité.
Le prédicateur de la liberté chrétienne a grandi dans cet esprit d’ouverture
Au temps de Paul, les villes grecques se distinguaient des villes romaines par une liberté plus grande permettant le développement de la personnalité et l’ouverture aux influences étrangères. En tant que membre de cette culture, Paul avait une largeur d’esprit qui l’ouvrait à tout ce qui est beau et bon dans son monde multi culturel. Il savait que dans le paganisme il existait un bon nombre d’éléments qui pouvaient s’intégrer à la religion chrétienne.
L'influence de la civilisation grecque sur l'esprit de Paul a été d’une importance capitale. Il pensait, parlait et écrivait le grec aussi bien que sa langue maternelle. Pour bien saisir le sens des épitres et en comprendre les expressions, les images et les sentiments, il nous faut connaître cette civilisation.
Le prédicateur de la liberté chrétienne a grandi dans cet esprit d’ouverture. Son inspiration puissante émeut les lecteurs de ses lettres, quand il chante « la liberté par laquelle le Christ nous a affranchis » (Galates 5, 1).
Grâce à la culture grecque qui unifiait l’empire romain, Paul avait la préparation nécessaire pour accomplir sa mission. Il réussira à détruire le mur qui séparait les Juifs des Gentils :
« Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi – moi, qui ne suis pas sujet de la Loi – afin de gagner les sujets de la Loi. Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi – moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ – afin de gagner les sans-loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile, afin d'en avoir ma part. » (1 Corinthiens 19-23)
L’évangile de la liberté prêché par Paul plaçait tout le monde sur un pied d’égalité et permettait ainsi le développement de la grande famille de Dieu :
« Car vous êtes tous fils et les filles de Dieu, par la foi, dans Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus. Mais si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse. » (Galates 3, 26-29)
6- Le pharisien de culture hébraïque
Paul était Juif, fils de Pharisien, destiné au rabbinat. Il parle plus d'une fois dans ses lettres, et avec fierté, de son éducation juive. Je suis « Hébreu, fils d'Hébreux » (Philémon 3, 5), «membre de la tribu de Benjamin».
Il aura passé de longues heures à l'école de la synagogue sous la direction du «hazzan» à apprendre par cœur les Écritures. Il les cite de mémoire environ deux cents fois dans ses lettres.
Paul est resté jusqu'au bout passionnément attaché au peuple qui est le sien, à cette nation qui défiait l'histoire et qui continue à le faire aujourd’hui encore : « Je souhaiterais être moi-même anathème et séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race, selon la chair. Eux qui sont israélites, à qui appartiennent l'adoption filiale ; la gloire, les alliances, la législation, le culte et les promesses ; et aussi les patriarches, et de qui est issu le Christ selon la chair » (Romains 9, 3-5).
Les pharisiens, contrairement aux Saducéens, étaient très proches du peuple, ouvrant des écoles, accueillant les pauvres et les malades, aidant les immigrants et les nouveaux arrivés.
Après la destruction de Jérusalem et la fin de l’État juif, en l’an 70, les Pharisiens ont été d’une importance vitale pour ce peuple en détresse. Ce sont eux qui ont sauvé Israël. C'est à eux que le judaïsme doit sa survie.
Chez les Juifs, la maison paternelle était «un sanctuaire familial», consacré à la pratique de la vertu et à l'observance des devoirs imposés par la tradition et par la Loi. Les pharisiens ne mangeaient que des aliments kasher, ce qui garantissait leur pureté et évitait toute souillure.
Paul se rendait régulièrement à la synagogue et observait rigoureusement le repos sabbatique. Il payait la dîme et jeûnait conformément aux commandements de la Loi. Dès le début du jour, il se tournait dans la direction du Temple de Jérusalem et prononçait sa première prière : «Écoute Israël, notre Dieu est le vrai Dieu, le Dieu unique.» Au moins trois fois pendant la journée - le matin, l'après-midi et le soir -, il remerciait Dieu pour les faveurs obtenues.
Dans la maison paternelle, Paul respirait une atmosphère essentiellement religieuse. Dans cet environnement fleurissait aussi le nationalisme juif, qui le reliait à Jérusalem et à la Palestine.
Au temps de César-Auguste et de Tibère, les Juifs de la Diaspora étaient protégés par les empereurs qui sévissaient quand on les molestait. Ils disposaient d'une juridiction propre, quoique limitée, et on leur permettait de suivre leurs règles alimentaires. Ils étaient dispensés du service militaire, pour ne pas être obligés à combattre le jour du sabbat. Ils avaient l’autorisation de célébrer leur culte à condition d'y mettre la forme : les sacrifices en l'honneur de Yahvé avaient pour les Romains valeur d'hommages à l'empereur-dieu. Mieux encore : on leur permettait de lever un impôt annuel pour le Temple de Jérusalem et d’acheminer cette contribution vers la ville sainte.
Après sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas et au cours de ses voyages missionnaires, Paul est entré en conflit avec les Juifs orthodoxes et avec les judéo-chrétiens. Sans jamais renié son peuple, il est resté déchiré entre l’amour qu’il avait pour lui et sa fidélité au Christ, sauveur de tous.
Paul de Tarse était un homme aux multiples facettes, d’une grande richesse culturelle et religieuse : à la fois romain, grec et juif, pharisien et chrétien, contemplatif et homme d'action, évangélisateur et docteur, écrivain audacieux et théologien profond.
On ne peut comprendre ce grand missionnaire qu'à travers sa riche personnalité et l’attachement à sa foi en Jésus-Christ. Peu de gens étaient mieux préparé que lui pour annoncer la Bonne Nouvelle « à toutes les Nations ». Avec Paul, nous assistons à la naissance du christianisme universel, « où il n’y a ni Juif ni Grec, ni homme libre ni esclave, ni homme ni femme », mais un nouveau peuple de fils et de filles tous aimés de Dieu.
7- Citoyen de la ville de Tarse
«Je suis juif de Tarse, en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom» (Actes 21, 39).
C'est en ces termes, tout empreints de fierté grecque, que Paul s'exprime devant le tribun romain sur les marches de la forteresse adjacente au Temple de Jérusalem.
Sa ville natale rivalisait alors avec Alexandrie et Athènes pour la palme de la civilisation. Tout en étant après Rome, Alexandrie, Antioche et Éphèse, l'une des grandes villes de l'Empire, elle avait un port international et sa situation géographique en faisait un lieu de rencontre important dans le monde romain.
La ville de Tarse s'allonge au pied du Taurus, une grande chaîne de montagnes au sud de la Turquie actuelle, qui surplombe la Méditerranée sur plusieurs centaines de kilomètres. Cinquante ans avant la naissance de Paul on retrouvait encore dans ces montagnes toutes sortes d’animaux sauvages : éléphants, lions, léopards, hyènes, ours, sangliers, panthères, etc.
Au 1er siècle, Strabon décrit Tarse de la façon suivante : « ville située dans une plaine, non loin de la mer. Le fleuve Cydnos coule au milieu de la ville, longeant le gymnase des jeunes gens. Comme la source du fleuve n'est pas éloignée de la ville, et qu'elle traverse des gorges escarpées avant d'y arriver, son eau est froide et rapide. Il en résulte qu'elle est de grand secours pour les bêtes et les hommes qui souffrent de rhumatisme. »
Au temps de Paul, Tarse était une ville vieille de 14 siècles. Plusieurs peuples l'avaient conquise, ravagée, dominée : les Assyriens, les Macédoniens, les Séleucides, les Arméniens. Cyrus et Alexandre étaient passés par là.
La ville de Tarse avait été annexée à l’empire de Rome en 64 av. J.-C. Elle était alors devenue la capitale de la province de Cilicie. Pompée, César et Cicéron ont profité de sa beauté et de son climat. C’est à Tarse que Cléopâtre à séduit Marc-Antoine et est devenue sa maîtresse et son alliée. Près du port, les ruines de «la porte de Cléopâtre» existent encore.
Pour comprendre la période mouvementée précédant le long règne de César-Auguste (31 av. J.C à 14 ap. J.C.), il faut connaître un peu l’histoire sanglante qui précéda la «pax romana», cette paix de l’empire qui permit au christianisme de se développer.
Après l’assassinat de Jules César, il y eut une période de guerre civile entre Brutus, Marc Antoine, Octave et Cléopâtre. En 31 av. J.C., à Actium, la flotte de César Auguste, moins nombreuse que celle de ses adversaires, anéantit les forces de Marc Antoine et de Cléopâtre. Ayant échappé au carnage et de retour à Alexandrie, Marc Antoine se jeta sur son épée et Cléopâtre se laissa mordre par un aspic (vipère). Auguste fit disparaître Césarion, le fils de Cléopâtre et de Jules César et les trois enfants de Cléopâtre et de Marc-Antoine. C’était alors la façon la plus sûre de neutraliser les adversaires. Cléopâtre elle-même avait empoisonné sa propre sœur et demandé à Marc Antoine de faire disparaître son frère, afin de conserver le pouvoir absolu sur l’Égypte.
Après la bataille décisive d’Actium, César Auguste ayant éliminé tous ceux et celles qui auraient pu revendiquer le trône, s’octroya tous les titres importants de la religion et du gouvernement de Rome et concentra en sa seule personne tous les pouvoirs de l’Empire. Il remplaça la République par une dictature, et réussit à établir une paix durable, la «pax romana».
Pendant ce temps de paix et d’accalmie, Tarse devint une ville active et prospère. Elle offrait un accès à la Méditerranée et aux richesses de trois continents en provenance d'Alexandrie, d'Éphèse, de Corinthe, de Rome et d'Espagne. C’était un centre de commerce et un lieu de transit, spécialement pour le précieux bois de construction amené par flottage des monts Taurus. Le fleuve Cydnos était pourvu, sur ses deux rives, de quais, d'embarcadères et d'entrepôts. La ville était l'un des grands ports du sud de la Turquie, un passage obligé, entre l'Anatolie, la Cappadoce, la mer Noire et la Méditerranée orientale.
Cette ville opulente, mélange
de toutes les races de l'empire,
le prépare à sa mission
«d’apôtre des nations»
En plus d’être opulente, la ville occupait, depuis des siècles, une place importante dans la vie intellectuelle et politique. Strabon écrit : «Les habitants de Tarse sont tellement passionnés pour la philosophie, ils ont l'esprit si encyclopédique, que leur cité a fini par éclipser Athènes, Alexandrie, et toutes les autres cités...»
C'est à Tarse qu'on allait chercher les précepteurs des princes impériaux de Rome. À l'époque de Paul un vénérable professeur vivait dans la ville : Athénodore qui avait été le maître et l'ami de l’empereur Auguste. L’empereur devait lui rester fidèle jusqu'à sa mort. Le vieux pédagogue ne se gênait d'ailleurs pas pour dire la vérité à son impérial ami, en toute franchise et en maintes occasions. Athénodore passa les dernières années de sa vie à Tarse et grâce à lui, l’empereur exempta la ville de taxation.
À Tarse les groupes ethniques, les religions et les langues diverses cohabitaient sans heurt. C’était un point de rencontre de deux grandes civilisations : la civilisation gréco-romaine à l'Ouest et la civilisation sémitique à l'Est. Tout en étant ouverte à la nouveauté, Tarse était une ville austère, attachée aux traditions, une ville où régnaient à la fois une grande décence et une morale sévère.
Dans ce milieu païen, Paul a reçu une excellente préparation à sa mission « d’apôtre des nations ». Il n’admettra aucune différence entre Juifs et Gentils, Grecs et Barbares, hommes libres et esclaves, hommes et femmes (Col. 3, 11; 1. Cor. 12, 13). Cette ville opulente et commerciale, mélange de toutes les races de l'empire, marquera sa pastorale missionnaire. Il réalisera la vision du Seigneur : «Beaucoup viendront du Levant et du Couchant et prendront place au festin, avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux» (Matthieu 8, 11).
Au temps de Paul, Tarse comptait environ trois cent mille habitants. Beaucoup de monde, des rues étroites, des maisons petites et entassées les unes sur les autres, une vie serrée, beaucoup de bruit! Au sud, la ville s'ouvrait sur la Méditerranée; au nord, elle se pressait au pied de montagnes de trois mille mètres d'altitude. Elle possédait un port très actif. Les voies romaines qui reliaient l'Orient à l'Occident passaient par là.
Après sa rencontre du Christ sur le chemin de Damas et son séjour en Arabie, Paul visitera Jérusalem et retournera à Tarse. Pendant de nombreuses années de réflexion, il acquerra un nouveau regard et une nouvelle manière de voir les choses.
8- L'éducation de Paul
Paul a bénéficié d'une formation intellectuelle longue et sérieuse qui lui a permis de lutter contre l’étroitesse d’esprit et la bigoterie mesquine.
Grâce à ses études à Tarse et à Jérusalem,
Paul est devenu
un grand connaisseur
de la Bible
Tout d’abord, il a reçu une éducation biblique non seulement au sein de sa famille, mais aussi à l’école de la synagogue. En milieu grec - c'est le cas à Tarse - l'éducation s'accompagnait de l'apprentissage des langues. Paul avait les catégories mentales pour se faire comprendre dans ce monde très diversifié. En sa première épitre aux Corinthiens (14,11) il écrira : « Si j’ignorais la valeur du langage, je ferais l’effet d’un Barbare à celui qui me parlerait ».
Les épitres de Paul manifestent une bonne connaissance des catégories de la rhétorique grecque, spécialement dans l'utilisation de l’antithèse et de la diatribe. (Romains 2, 1-6 et 10, 6-8). Elles témoignent également de sa grande capacité d'appliquer les Écritures à de nouvelles situations de la vie courante.
Le premier cycle de son éducation terminé, son père l’envoie à Jérusalem afin d'y poursuivre des études religieuses sous la direction du plus grand maître juif de son temps, Gamaliel l'Ancien. C'est celui-là même qui fait une brève apparition dans le récit de saint Luc, prêchant la modération au grand conseil du Sanhédrin, qui se disposait à anéantir le mouvement chrétien : « Israélites, prenez bien garde à ce que vous allez faire dans le cas de ces gens... Je vous le dis, ne vous occupez plus d’eux et laissez-les aller ! Si c'est des hommes que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même ; si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas la faire disparaître. N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!» (Actes 5, 35-39) Le fanatisme de Paul envers les premiers chrétiens ne venait donc pas de son maître vénéré!
Paul évoquera plus tard ses années d'apprentissage à Jérusalem : « C'est ici, dans cette ville, que j'ai été élevé et que j'ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation strictement conforme à la Loi de nos pères. » (Actes 22, 3)
À Jérusalem, Paul habitait probablement chez sa sœur. Nous savons qu'elle avait un fils qui, le moment venu, viendra au secours de son oncle en danger. (Actes 23, 12-22)
Chaque samedi, jour du sabbat, Paul fréquentait la synagogue. Au premier siècle, il y avait, semble-t-il, 480 synagogues à Jérusalem. Chaque région du monde avait la sienne, un peu comme à Rome aujourd’hui, où chaque pays a son église nationale. Les synagogues étaient des lieux de prière, de prédication et d'enseignement. Certaines offraient des locaux avec salles de bain pour les étrangers de passage. Dans quelques-unes d’entre elles, on trouvait des prisons souterraines où l'on faisait subir les peines synagogales, spécialement celle du fouet. Au cours de ses voyages missionnaires, à cinq reprises Paul sera condamné aux « 39 coups de fouet » des prisons juives. Dans toutes les synagogues, en particulier dans celle de Cilicie où Paul se rendait chaque sabbat, on discutait régulièrement de Jésus de Nazareth et de ses adeptes.
Grâce à ses études à Tarse et à Jérusalem, Paul était devenu un grand connaisseur de la Bible. Il la cite plus de deux cents fois dans ses lettres. Après sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas, la connaissance des Écritures lui permettra de réinterpréter l’histoire du salut et d’accepter Jésus-Christ comme Messie et Sauveur.
Pour les Juifs, les Écritures étaient ce qu’il y a de plus précieux. Lors de la destruction du Temple de Jérusalem par les soldats de Titus, en l’an 70, les Juifs abandonnèrent les ustensiles en or et en argent utilisés pour les sacrifices, les lampes et les candélabres, et plein d’autres objets précieux, pour sauver les rouleaux des Écritures. La Bible était pour eux le véritable trésor du Temple et ce fut le seul qui échappa aux flammes et à la destruction.
Une formation au
métier de tisserand
(métier de son père)
qui lui permettra
de gagner sa vie
En plus de ses études académiques, Paul a reçu de sa famille et selon la tradition juive, une formation manuelle qui lui permettra de gagner sa vie. Chez les Juifs, contrairement aux Romains et aux Grecs, le travail manuel était apprécié et respecté. La tradition pharisienne prescrivait à un père d'enseigner à son fils une activité manuelle. Le père de Paul insista pour qu’il apprenne le métier de fabricant de tentes. C’était un métier très en vogue à Tarse et son père voulait probablement préparer son fils à prendre la relève de la petite entreprise familiale. La prospérité de Tarse provenait des métiers du textile. Outre les étoffes brodées, les rudes tissus en poils de chèvre étaient l'une des spécialités de la Cilicie.
La société antique avait un grand besoin de toiles et de tentes. Il en fallait dans toutes les circonstances de la vie : abri pour une seule personne ou pour une famille, bâches pour chariots et bateaux, et immenses tentes d'apparat, semblables à nos chapiteaux, qui pouvaient abriter jusqu'à quatre cents personnes.
Dans sa jeunesse, Paul ne pouvait prévoir qu'il serait un jour obligé d’exercer son métier de fabricant de tentes pour survivre. Ce genre de travail lui permettra de rencontrer plusieurs de ses futurs collaborateurs de l'évangile. Pendant ses voyages missionnaires, il entrera en relation avec bon nombre d’artisans et de commerçants du textile : Lydie, marchande de pourpre à Philippes, Aquilas et Prisca à Corinthe, et à Éphèse des teinturiers ou des négociants de laine.
Heureusement que ce fils de pharisien s'était appliqué dès sa jeunesse à apprendre le métier de tisserand. Il a pu l’exercer en Arabie, comme il le fera plus tard tout au long de ses voyages missionnaires. Cela le rendra indépendant de toute aide étrangère.
Dans sa jeunesse, Paul a donc bénéficié d’une solide éducation. Citoyen de Tarse, connaisseur de la Bible, parlant plusieurs langues, tisserand d’expérience, disciple de Gamaliel, leader de naissance, membre actif de sa communauté, formé pour succéder à son père, tout ceci le situe parmi l'élite de la société au plan de l'éducation, du pouvoir et de l'autorité. Dans un monde où la très grande majorité des gens ne savait ni lire ni écrire, il appartenait à une classe à part. Paul avait devant lui un avenir prometteur et la perspective d'une brillante carrière. L'irruption de Jésus dans sa vie viendra bouleverser cette situation privilégiée. Lui-même dira plus tard : «A cause de lui j'ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ et d'être trouvé en lui.» (Philémon 3,8).
9- Meurtre au nom de la religion
Après avoir terminé ses études chez Gamaliel, son maître vénéré, Paul était retourné à Tarse pour revenir à Jérusalem quelques années plus tard. (Actes 7, 58)
Si nous acceptons l'année 30 comme l'année de la mort de Jésus, et si nous laissons quelques temps d'intervalle pour permettre à la jeune Église chrétienne de se développer et de s'organiser, nous pouvons alors fixer vers l'an 33 le retour de Paul à Jérusalem.
Dans la petite communauté des disciples du Christ, Étienne avait été choisi pour être l'un des sept diacres chargés d’aider ceux et celles dans le besoin. Accusé d'avoir prononcé des «paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu », il est traduit devant le Sanhédrin.
Ce fut Etienne qui le premier reconnut la signification universelle de l'Église et qui la proclama haut et fort. Selon lui, la Loi et le Temple étaient des étapes nécessaires mais passagères dans l'ordre du salut.
La Loi de Moïse, telle qu’interprétée au temps de Jésus étouffait la vie, alors qu’à l'origine, elle avait été offerte comme un don, comme un cadeau pour « servir la vie » (Romains 7, 12). Elle était devenue une camisole de force. Au Concile de Jérusalem, Pierre dira dans son discours aux participants : «Pourquoi voulez-vous provoquer Dieu en imposant aux disciples non-Juifs un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n'avons pu porter?» (Actes 15, 10)
L'indépendance d'Étienne n’a pas tardé à inquiéter la hiérarchie du Temple. Les chrétiens qui se réclamaient du charpentier galiléen n'avait jusqu'ici provoqué que peu de remous. Il avait suffi de faire donner quelques coups de fouet à deux des agitateurs et l'on n'avait plus entendu parler d’eux. Mais cet Etienne était un véritable provocateur! Il semait le discrédit sur l’interprétation de la Loi! Il fut vite condamné à être lapidé.
La mort par lapidation, découlant d'une prescription légale et religieuse, ne requiert aucun bourreau attitré, seulement des hommes ordinaires qui laissent leur haine atteindre son paroxysme jusqu'au déchaînement de leurs instincts les plus sauvages. Chacun s'arme de pierres pour les lancer à toute force sur la cible vivante. C’est une mise à mort qui s'accompagne d'un jeu d'adresse. Ce genre d’exécution existe encore aujourd’hui. Il y a peu de temps, les Talibans ont lapidé à mort un homme et une femme accusés d’adultère. En Iran, une femme est condamnée au fouet et à la lapidation pour des questions politiques et religieuses. On massacre au nom de la religion! On se souvient du lynchage des noirs aux États-Unis. Les membres du Ku-Klux-Klan, refondé en 1915 par un pasteur méthodiste, faisait de ces meurtres une question de fidélité religieuse!
Les meurtriers sont des gens ordinaires, comme vous et moi, des bonnes personnes remplies de piété, qui assassinent l’un des leurs parce qu’il ose s’éloigner des dogmes établis. Étienne interprète les Écritures d’une façon non orthodoxe et rend témoignage à Jésus Christ. On le met à mort pour ce seul motif. Les responsables de la lapidation avaient déposé leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul de Tarse. Et Luc ajoute que « Saul était de ceux qui approuvaient ce meurtre ». (Actes 7, 58 - 8,1)
L’histoire de Paul commence donc par une complicité avec les meurtriers d’Étienne.
Une persécution en règle suivit cette mise à mort : «En ce jour-là, une violente persécution se déchaîna contre l’Église de Jérusalem». (Actes 8, 1) La persécution était dirigée surtout contre les chrétiens de la diaspora.
Peu de temps après la mort d’Étienne, Paul déclarera la guerre à la secte des Nazaréens. Lui-même décrit sa position radicale lorsqu'il affirme devant le tribun de la cohorte romaine, sur les marches de la forteresse Antonia : « J'ai persécuté à mort cette Voie » (Actes 22, 4).
En Actes 26, 1, il dira : «Parcourant toutes les synagogues je voulais, par mes sévices, les forcer à blasphémer et, dans l'excès de ma fureur contre eux, je les poursuivais jusque dans les villes étrangères.»
«Quant à Saul, nous dit saint Luc, il ravageait l’Église; allant de maison en maison, il en arrachait hommes et femmes et les jetait en prison». (Actes 8, 3). «Saul ne respirait toujours que menaces et carnages à l'égard des disciples du Seigneur» (Actes 9, 1).
Entre la prière du martyr
et la vocation de l'apôtre,
le lien est clair
Pendant cette période, Paul s'estime tellement plus juste et meilleur que les autres qui sont différents de lui. Il veut anéantir la secte des Nazaréens afin de protéger la religion de ses ancêtres.
Paul ne savait pas à ce moment-là qu’il serait bientôt appelé par le Christ à continuer l’œuvre d’Étienne. Plus tard, lui aussi affirmera que la Loi et le Temple ne sont que des étapes passagères conduisant au salut universel.
La mort violente d’Étienne fut le prix à payer pour que l'Église primitive puisse se libérer du cadre judaïque et national et puisse s’orienter vers un universalisme qui ferait d'elle une Église ouverte à tous. Saint Augustin dira de cette condamnation à mort : « Sans la prière d'Étienne, l'Église n'aurait pas eu de Paul. » (Sermon 382). Étienne n'occupe dans les Actes des Apôtres que deux petits chapitres. Paul, lui, en remplit treize. S'il est difficile de les mettre en parallèle, il est impossible de les séparer. Entre la prière du martyr et la vocation de l'apôtre, le lien est clair.
10- Sur le chemin de Damas
Scène théâtrale (typique de l'iconographie chrétienne et répétée dans les films) de la conversion de Saul ... qui laisse malheureusement entendre qu'un Dieu vengeur impose un stop!
Selon Paul de Tarse, la nouvelle secte des chrétiens menaçait la foi d’Israël. En pourchassant ces renégats dangereux, il a voulu protéger ses compatriotes. Il lui paraissait clair que la crucifixion de Jésus prouvait que le Nazaréen était un faux messie et que la fraternité entre les Juifs et les membres d'autres races, tel que prêché par Étienne, ferait disparaître «l’élection unique» du peuple d’Israël. Il nous faut nous rappeler ces considérations pour apprécier à sa juste valeur l'irruption du Christ dans la vie de saint Paul.
Dans l’iconographie chrétienne, particulièrement au Moyen Âge, on voit Paul qui, sur la route de Damas, tombe de son cheval. Au premier siècle, les chevaux étaient rares et ils étaient utilisés surtout par les militaires et par les haut-fonctionnaires romains. Paul voyageait probablement à pied, au milieu d’une «caravane». Soudainement, ce pharisien convaincu se trouve en face de celui qu’il veut éliminer. Par deux fois, il entend prononcer son nom : «Saul ! Saul ! Pourquoi me persécutes-tu ?» Le Christ s’identifie aux chrétiens de son Église. Paul devient aveugle et ce sera l’un des disciples du Seigneur, Ananie, qui lui redonnera la vue. (Actes 9, 10-19)
Le Seigneur lui est apparu,
non pas sous les traits de celui
qui châtie et qui venge, mais
avec un visage empreint de
miséricorde et de bonté
L’Apôtre n'aura jamais le moindre doute au sujet de ce qu'il a vécu, pendant ces quelques instants, sur le chemin de Damas. Sa conviction demeurera inébranlable: il a réellement rencontré Jésus, le Ressuscité, qui l’a interpelé et a bouleversé sa vie. Lorsqu’il revient à lui, en véritable homme d'action, il demande : «Seigneur, que veux-tu que je fasse?» (Actes 22, 10)
Sans cette apparition du Christ ressuscité, Paul n'aurait jamais pu surmonter le «scandale de la croix». Seule la résurrection pouvait écarter cet obstacle, comme elle l'a fait d’ailleurs pour les autres apôtres.
Tout au long de sa vie, Paul se rappellera cette rencontre. Le Seigneur lui est apparu, non pas sous les traits de celui qui châtie et qui venge, mais avec un visage empreint de miséricorde et de bonté (Tite 3, 4-5) : «Le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, il ne s’est pas occupé des œuvres que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint.» La colère de Dieu contre les hommes s'était transformée en amour plein de tendresse. Les épîtres de Paul, documents uniques dans la littérature mondiale, proclameront cette vérité fondamentale : «Mais il m'a été fait miséricorde!» (1 Tim. 1, 13).
Paul est saisi en profondeur, dans son cœur et dans son intelligence, par ce Jésus venu révéler l'amour infini de Dieu pour nous. Il découvre alors le mystère du Dieu-incarné, qui se met du côté des faibles, qui s’identifie à chacun d’eux : «Je suis celui que tu persécutes ». Il est renversé par l’amour miséricordieux et gratuit de Dieu, à un moment où rien ne le préparait à cette révélation. C'est au caractère subit de cette rencontre que fait allusion l'étrange parole : «Après tous les disciples, il m'est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » (1 Co. 15, 8).
Au début de 5e siècle, Saint Augustin, qui vivra lui aussi une grande expérience de conversion, dira en parlant du combat de la grâce chez saint Paul : « Elle le jeta par terre pour le relever aussitôt » (Sermon 14).
«L'évangile de Paul» sera le fruit de l'illumination divine, suivie de la prière méditative
et de l'étude constante de la Bible.
C'est donc avant tout l'événement du chemin de Damas qui éclaire la vie de S. Paul avec une intensité qui ne faiblira jamais. Sa grande connaissance des Écritures lui fournira ensuite les lumières nécessaires pour trouver un sens à cette rencontre capitale. Les Écritures lui permettront de comprendre et d'harmoniser la révélation de Jésus, Fils de Dieu, avec le Messie souffrant des prophètes.
«L'évangile de Paul» ne lui est donc pas tombé du ciel parfaitement achevé. Il sera le fruit de l'illumination divine, suivie de la prière méditative et de l'étude constante de la Bible. Ses lettres reflètent ce triple caractère. Si nous les lisons dans la suite chronologique de leur rédaction, il est possible de reconnaître assez nettement le développement de la pensée de l’apôtre des nations.
Pour Paul, cette rencontre avec le Christ se résume en un mot : la gratuité! Voilà la clé de lecture de son expérience sur la route de Damas. Cette gratuité a renouvelé de l'intérieur sa relation à Dieu. Dorénavant, elle orientera toute sa vie et le soutiendra dans les crises qui viendront. Elle est la nouvelle source de la spiritualité qui fait jaillir en lui une «énergie puissante» (Colossiens 1, 29), bien plus exigeante que ne l'avait été sa volonté de pratiquer la Loi et d'acquérir sa propre justification.
Il est important de souligner que la conversion de Paul ne s’est pas terminée sur le chemin de Damas. C’est là qu’elle commence. Ça lui prendra toute une vie, jusqu’à sa condamnation à mort dans la capitale de l’Empire, pour terminer cette conversion.
Quand Paul jette un regard sur sa vie, il la voit divisée en deux parties, «la vie sans le Christ» et «la vie dans le Christ». Ce qui s’est passé sur la route de Damas est le grand événement qui les sépare. Après cette rencontre, la vie tumultueuse de Paul connaît un revirement qui l’invite non pas à détruire ceux et celles qui sont différents de lui mais à leur prêcher l’espérance, la réconciliation et la liberté en Dieu-Sauveur.
La gratuité de Dieu! Voilà la clé de lecture de son expérience sur la route de Damas.
La joie et l'action de grâce seront les caractéristiques de sa spiritualité.
Paul est comme le marchand dont parle Matthieu au chapitre 13 de son Évangile : ayant trouvé une perle précieuse, il s'aperçoit que tout le reste ne vaut rien. Il est semblable à l'homme qui découvre un trésor caché dans un champ et abandonne tout pour l’acquérir. «À cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ.» (Philippiens 3, 7-8).
La rencontre sur le chemin de Damas produira chez Paul une véritable transfiguration, et lui apportera une grande joie intérieure : «Je suis rempli de consolation; je déborde de joie au milieu de toutes nos épreuves « (2 Colossiens 7, 4). Elle l’invitera à la reconnaissance. (cf. Colossiens 1, 12). La joie et l'action de grâce seront les caractéristiques de sa spiritualité. Et l’expérience de Damas l’invitera à la louange de son Seigneur : «Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui, du haut des cieux, nous a comblés de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans le Christ» (Éphésiens 1, 3). (Voir 2 Colossiens 1, 3-4).
La rencontre du Christ sur le chemin de Damas est le moment le plus précieux de la vie de Paul.
À trois reprises, Luc nous la raconte (Actes 9, 1-19; 22, 4-16; 26, 9-18), car cet événement est un exemple et un modèle de toutes rencontres véritables avec le Christ.
11- Rupture dans la vie de Paul
Paul est très discret sur ce qui s’est passé sur le chemin de Damas et donne peu d'informations sur sa rencontre avec le Christ. Il affirme cependant que Dieu lui a révélé son Fils, et c'est ce qui est important pour lui. Il parle de cet événement en termes de «révélation» (Galates 2, 2) ou d'«apparition du Seigneur ressuscité». Il indique ainsi tout l’aspect intérieur de ce contact avec Dieu.
Le livre des Actes des Apôtres nous donne beaucoup plus de détails sur le sujet. Le chapitre 9, 1-19 relate la conversion de Paul et la même histoire revient au chapitre 22, 6-16 et au chapitre 26, 12-18. Dans chacun de ces textes, les détails sont légèrement différents, mais la trame essentielle de l'histoire reste la même.
Au moment de sa rencontre avec le Christ, Paul n'est pas un incroyant qui découvre Dieu, ni un pécheur qui veut se libérer de ses fautes, de ses négligences ou de son indifférence. Avant cet incident, il avait une conduite exemplaire. Il n'hésite pas à dire lui-même qu'il était «irréprochable à l'égard de la justice de la loi». La conversion et l’appel de Paul n’ont pas provoqué un changement radical dans sa religion juive. Paul est né et a vécu toute sa vie en «fils d’Israël», mais avec la rencontre du Christ, il découvre en Jésus le Messie attendu. Ce qu'on appelle sa conversion n'était pas le passage d’une religion à une autre, mais une nouvelle compréhension des Écritures, grâce à la révélation de Damas.
La conversion de Paul
prend sa source
dans la découverte
de l'amour gratuit
que Dieu lui porte.
Pour Paul, il s’agit d’une rupture dans sa vie et il en assume toutes les conséquences. Il accepte de passer pour un fou aux yeux de la culture grecque et d'être un scandale pour la religion juive, la religion de ses pères! «Alors que les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens» (1 Corinthiens 1, 22-23),
Rompant avec le monde qu’il connaît, Paul entreprend de le reconstruire sur des bases nouvelles où seront dépassés les rapports de domination fondés sur la race, la religion, la classe sociale ou le sexe. La communauté de foi doit être le germe de cette société nouvelle. En elle naît le «nouvel Adam» et la «nouvelle Ève», l'homme nouveau et la femme nouvelle : «Ce qui importe, c'est la nouvelle création.». «Si quelqu'un est dans le Christ, il est une créature nouvelle.».
Avant cette rencontre de Damas, Paul se considérait maître de sa vie. Maintenant, quelqu’un d’autre la dirige et l’invite à l’action. Le citoyen romain, l'homme libre, le pharisien convaincu se fait «l’esclave du Christ» (Romains 1, 1; Galates 1, 10). Paul ne s'appartient plus. «Dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur.» (Romains 14,8). Cependant, ce changement d’orientation ne lui enlève pas sa liberté. Au contraire! «C'est pour que nous restions libres, dit-il, que le Christ nous a libérés!». Paradoxe incroyable!
Paul a trouvé ici le sens de sa vie et, selon lui, rien ne peut le séparer de cet amour infini : «La tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive?... la mort, la vie, les anges, les principautés, le présent, l'avenir, les puissances, la hauteur ou la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur».
La conversion de Paul prend sa source dans la découverte de l'amour gratuit que Dieu lui porte. Le visage de miséricorde de Jésus éclipse l'image qu'il s'était faite d'un Dieu exigeant à qui on doit avant tout obéissance et soumission.
Paul découvre la véritable
nature de Dieu.
Dieu n’a pas choisi la croix,
c’est la méchanceté des
hommes qui l’ont condamné
à cette mort atroce, mais
il a accepté ce supplice
infâme par amour pour nous
Après cette révélation sur le chemin de Damas, à la lecture des textes d’Isaïe et d’autres textes de l’Ancien Testament, Paul découvre la véritable nature de Dieu. Ce Dieu nous aime jusqu’à offrir sa vie pour nous. La croix qui était objet de scandale devient la preuve de son grand amour. Dieu n’a pas choisi la croix, c’est la méchanceté des hommes qui l’ont condamné à cette mort atroce, mais il a accepté ce supplice infâme par amour pour nous. Il est mort à cause de l’injustice humaine et, comme des millions d’autres, Il est allé jusqu’au bout de notre humanité.
À partir de ce jour, Paul ne comptera plus sur ses propres forces, ni sur ses «bonnes œuvres». Son assurance et sa confiance, il les mettra désormais en Dieu, et en Dieu seul. Il comprendra que le salut n’est pas le résultat de ses efforts, mais qu’il lui est offert gratuitement en Jésus Christ : «Car ma vie présente..., je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi.» (Galates 2, 20). Il apprendra à perdre sa suffisance de pharisien irréprochable et à tout attendre du Christ : «Le Seigneur m'a jugé digne de confiance en me prenant à son service, moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur et violent.» (1 Timothée, 12-13)
Paul se découvre pécheur, mais Jésus ne s'arrête pas à son passé. Il regarde vers le futur et ne pense qu'à ce qu’il peut devenir. Il déclare à Ananie toute la confiance qu’il met en ce pharisien persécuteur : «Cet homme est pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites». (Actes 9, 15)
Paul consacrera toute sa vie à répondre d’une façon extraordinaire à cette invitation du Christ. Poussé par l’amour inconditionnel de Dieu, il ira jusqu'au bout du monde et jusqu'au bout de la vie. Le Christ avait dit «C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre». Paul partage maintenant ce même désir et il pourra désormais dire: «...et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé» (Luc 12, 49)
12- Le désert d’Arabie et la fuite de Damas
Désert. Au sud-est de la Jordanie, près de Petra.
Nous possédons peu d’informations sur les trois années que Paul passa en Arabie, après sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas. Heureusement, il fut contraint plus tard, à cause des attaques de ses adversaires, de lever un peu le voile sur cette période de sa vie.
Il nous dit qu’après cette rencontre, il ne consulta ni sa famille, ni les dirigeants de l’Église de Jérusalem : «Sur-le-champ, je ne consultai ni la chair ni le sang. Je ne montai pas non plus à Jérusalem» (Galates 1, 16-17).
Pour l’instant, cet événement capital lui suffit. D’ailleurs, s’il était allé à Jérusalem, sa situation vis-à-vis les chrétiens aurait été fort délicate, à cause de ses nombreuses attaques contre les disciples du Christ. Ensuite, il aurait mis sa vie en danger auprès du Sanhédrin pour s’être joint aux disciples du Christ.
Pendant trois ans, Paul approfondit la nouvelle orientation de sa vie.
Paul dit simplement : « Je partis pour l’Arabie. » Le théologien orthodoxe Nicolas Koulomzine considère «cette retraite comme très significative : Paul suit la voie royale de tous les mystiques, il se retire au désert afin de s’isoler, de se retrouver pour un temps, seul avec Dieu. Grâce à ce temps de réflexion, il ressentira l’emprise sur lui de l’Esprit du Seigneur.»
«En Arabie», est-il descendu jusqu’à Pétra, la capitale des Nabatéens, ou s’est-il dirigé vers Palmire? On ne peut que spéculer sur les déplacements de Paul pendant ces trois années de réflexion. Le terme «Arabie» s’appliquait alors à toute la péninsule arabique, mais le noyau en était le royaume des Nabathéens, avec sa capitale Petra, véritable nid d’aigle dans le désert, qui contrôlait la route des caravanes. Les ruines gréco-romaines de cette capitale-forteresse sont impressionnantes. L’Arabie comprenait aussi Basra, Homs (Émèse), Amman, et un très grand territoire allant jusqu’aux fleuves de la Mésopotamie, le Tigre et l’Euphrate. Le cheik des Nabatéens, Arétas, roi de Damas et d’une grande partie du territoire d’Arabie, était en guerre avec le roi Hérode Antipas, parce que celui-ci avait répudié sa fille pour épouser Hérodiade, la femme de son frère, celle qui avait demandé la tête de Jean le baptiste. En Arabie, Paul se sentait protégé contre les émissaires juifs,
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