Viols en temps de guerre
Rapports de Stage : Viols en temps de guerre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Takara • 8 Mars 2013 • 1 760 Mots (8 Pages) • 1 560 Vues
BRANCHE Raphaëlle, VIRGILI Fabrice (dir.), Viols en temps de guerre
Paris, Payot, 2011
Mickaël Bertrand
Référence(s) :
BRANCHE Raphaëlle, VIRGILI Fabrice (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011
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1« Dans des périodes d’affrontement, où les différentes expressions de la communauté nationale sont fortement investies, le viol devient une métaphore de l’invasion puis de l’occupation » (p 17). Souvent passés sous silence au moment du bilan des exactions, alors même qu’ils font généralement l’objet d’une vaste propagande durant les conflits, les viols en temps de guerre constituent un objet de recherche novateur.
2Les quatorze contributions rassemblées dans cet ouvrage évoquent des contextes historiques et géographiques très différents mais permettent aussi de saisir les points communs de ce qui peut être considéré comme une véritable « arme de guerre spécifique » (p. 9). Ainsi, le viol ne vise pas seulement la jouissance sexuelle immédiate d’un agresseur, il consiste également à prendre possession du corps des victimes qui porteront dès lors les stigmates d’une brutalité dont les effets s’étendent sur le temps long. En s’en prenant aux femmes civiles, les soldats signifient en effet au camp ennemi qu’ils ont non seulement conquis un territoire géographique, mais aussi un territoire symbolique pour lequel les dommages pourront difficilement être réparés.
3En Europe comme en Afrique, à l’époque contemporaine comme pour les périodes plus anciennes, les historiens qui se sont intéressés à ce sujet sensible ont été confrontés à des difficultés méthodologiques récurrentes. Les obstacles sont d’abord d’ordre archivistique. Le viol est en effet un acte souvent furtif et clandestin qui laisse peu de traces, à l’exception des stigmates psychologiques qui s’imposent aux mémoires des victimes. Quand bien même ces dernières décident de témoigner (que ce soit devant un journaliste, un scientifique ou la justice), elles utilisent souvent des termes divers et flous qui peuvent recouvrir des réalités bien différentes et parfois difficilement exploitables par les chercheurs en sciences sociales. Dès lors, l’étendue de la pratique du viol dans un conflit est souvent très difficile – voire impossible – à évaluer. Il faudrait pour cela être en mesure de prendre en considération les nombreux silences qui se sont imposés aux victimes dans l’immédiat après-guerre et qui apparaissent généralement en totale contradiction avec les opérations de propagande mise en place durant l’affrontement et visant à discréditer l’adversaire.
4L’une des forces de cet ouvrage, qui regroupe des contributions d’une grande diversité, est de constater que la pratique du viol en temps de guerre n’est pas immuable, bien que des constantes puissent être identifiées. Il convient tout d’abord de préciser à la lumière des travaux de Marianna G. Muravyeva (p. 25) que les regards des sociétés, des autorités militaires et des instances judiciaires ont beaucoup évolué au cours des décennies récentes. Ainsi, les tribunaux militaires russes ont-ils souvent hésité entre une vision purement disciplinaire considérant le viol comme un dérapage dans la mission des soldats, et un regard plus stratégique visant à protéger la réputation de l’armée nationale. Regina Mülhauser affirme en revanche dans son étude sur la violence sexuelle des soldats allemands pendant la guerre d’anéantissement en Union soviétique que la Wehrmacht peut avoir donné l’impression d’encourager la violence sexuelle dans la mesure où elle ne faisait que rarement appliquer les mesures disciplinaires prévues (p. 43). François Godicheau est encore plus catégorique lorsqu’il parle d’une « permission donnée » aux troupes maures durant la guerre d’Espagne : l’aménagement de temps libre permettait aux soldats de pratiquer le viol « comme une compensation à l’effort de guerre fourni » (p. 115). Néanmoins, dans ce cas comme dans le précédent, les auteurs précisent que les sources ne sont pas assez explicites pour faire de cette suspicion une certitude.
5Un autre apport essentiel de cet ouvrage consiste en une véritable réflexion filée par les auteurs sur les temporalités complexes du viol. Au-delà de l’instantanéité d’une agression brutale, la violence peut en effet se poursuivre durant des années, voire des décennies. Quand elles ne sont pas tuées avant, pendant, ou immédiatement après le viol, les victimes subissent souvent une véritable mort sociale ou psychologique conduisant soit au suicide, soit à l’exclusion. À propos des affrontements entre milices privées et guérilla maoïste dans l’État de Bihar (Inde), Alexandre Soucaille explique qu’il est régulièrement reproché à la femme violée de ne pas s’être donné la mort afin d’éviter que l’infamie ne retombe sur son mari et sa famille (p. 119). D’où l’importance, soulignée par Nadine Puechguirbal dans son étude sur les conséquences du viol en Erythrée, en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Somalie, d’un accompagnement psychologique visant à favoriser la reconstruction individuelle des victimes (p. 145).
6La guerre des corps peut également se transformer en véritable guerre des mémoires qui se prolonge durant des décennies. Ainsi, Norman M. Naimark explique que les entreprises de glorification de l’armée soviétique en Russie sont régulièrement contrariées par l’émergence d’une mémoire victimaire allemande longtemps étouffée (p. 207). La contribution de Nayanika Mookherjee (p. 71) propose en revanche un contrepoint à cette logique. Les femmes victimes de violences sexuelles durant la guerre de Libération du Bangladesh ne sont pas vouées au silence et à l’invisibilité. Elles sont au contraire régulièrement évoquées et présentées comme de véritables « héroïnes de guerre » (p. 74), tandis que les hommes musulmans bengalis ayant subi les mêmes sévices sont condamnés à l’oubli. Par cette comparaison audacieuse, l’auteur montre que la mémoire du viol ne doit pas seulement être considérée comme une affaire psychologique individuelle. Elle est aussi le résultat d’une construction nationale où les dimensions ethniques, religieuses et morales tiennent un rôle important.
7Bien que les coordinateurs de cet ouvrage appellent
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