La définition des problèmes publics entre publicité et discrétion, une publication de Claude Gilbert et Emmanuel Henry
Commentaire de texte : La définition des problèmes publics entre publicité et discrétion, une publication de Claude Gilbert et Emmanuel Henry. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Michel_misc OUDET • 6 Décembre 2023 • Commentaire de texte • 1 674 Mots (7 Pages) • 131 Vues
Le texte qui nous est proposé est un extrait de La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion, une publication de Claude Gilbert et Emmanuel Henry dans la Revue française de sociologie en 2012.
L’accent est mis sur les pratiques de confrontation et/ou de négociation entre différents groupes d’acteurs par lesquels des problèmes publics échappent à des processus de publicisation, pour suivre des logiques de confinement. L’analyse de ce mécanisme éclaire et complète l’essai de Joseph Gusfield sur La culture des problèmes publics (publication originale en 2009). Gilbert et Henry insistent sur les tensions par lesquelles les processus cognitifs et sociaux déplacent la définition des problèmes vers des espaces discrets, éloignés des arènes publiques. Nous reprendrons cette réflexion avant de la poursuivre par un questionnement plus ciblé sur le poids des intérêts économiques, qui font que de nombreux problèmes publics persistent, bien que les pouvoirs publics s’en soient saisi à un moment ou un autre.
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Gilbert et Henry mettent en avant les luttes définitionnelles qui apparaissent lors de la construction des « problèmes ». Ce que Gusfield présentait comme un « processus de sélection d’une version de réalité au sein d’une multitude de réalités possibles et virtuelles ». Plusieurs acteurs sont concernés par la définition d’une « vérité » parmi plusieurs possibles, dès l’émergence des problèmes publics, lorsque la situation demande que « quelqu’un » fasse « quelque chose ». Des processus cognitifs et sociaux, interviennent, révélant des pratiques de confrontation et de négociation entre les différents groupes d’acteurs, avant même de concevoir la résolution du problème. Ces luttes définitionnelles, sont des luttes de pouvoir qui, par intérêt, s’opèrent dans des espaces discrets, confinés, pour déboucher sur des compromis entre acteurs (compte tenu de leurs rapports de force et de faiblesse). Et elles sont amenées à évoluer dans le temps.
Le cas de l’amiante est représentatif, qui a d’abord été traité de manière discrète en tant que préoccupation du monde du travail. L’amiante était vu comme un minéral magique sans équivalent pour le remplacer dans ses usages industriels, et les lobbies ont donc convaincu les syndicats d’en maintenir son utilisation pour ne pas mettre en danger les emplois qui lui étaient liés. Dans le même temps, les scientifiques minimisaient la dangerosité du matériau, pourtant reconnu cancérigène (en autorisant des seuils plus permissifs que d’autres pays comme le Royaume Uni). L’aspect sanitaire s’en est trouvé longtemps négligé par l’Etat français qui a maintenu le statu quo, avec l’aval du Comité Permanent de l’Amiante (CPA) créé pour gérer le consensus. Malgré les alertes ou interdictions apparues dans d’autres pays (les Etats Unis), et une pression croissante de la Commission Européenne la situation n’a pas évolué pendant plus d’une vingtaine d’années, jusqu’à ce que soient promulguées des lois, réglementations, … et condamnations pénales qui restent encore d’actualité à l’horizon 2023 (https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/26/amiante-nouvelle-audience-le-9-mars-2023-avant-un-eventuel-proces-penal_6147465_3244.html)
La publicisation du problème a conduit à en changer la définition et les enjeux, sous l’effet d’un changement de dimension porté par de nouveaux acteurs (associations de victimes, nouveaux scientifiques qui discréditaient le CPA, medias). Un scandale de santé publique été révélé, obligeant les autorités à s’en emparer prioritairement.
Un autre exemple est celui de la sécurité routière, déjà central dans l’essai de Gusfield avec l’étude de l’alcoolémie au volant. Il illustre comment son appropriation par les pouvoirs publics continue à s’accommoder d’une définition demeurée discrète. La conscience objective du problème, apparue dans les années 1960-1970, reste encore largement appréhendée sous l’aspect statistique des morts sur la route, traité de manière structurelle, en se focalisant sur les comportements du conducteur (répression et campagnes de communication pour la prévention). La définition du problème est restée largement confinée, avec une certaine exclusivité de la définition dominante axée sur un aspect moral. Les pouvoirs publics ont négligé notamment de prendre en compte les infrastructures ou l’aménagement du territoire, et n’ont pas impliqué davantage les constructeurs automobiles. C’est une publicisation relative du problème (avec les associations de victimes) qui a permis indirectement des avancées significatives (airbags, ABS, systèmes d’aide à la conduite, …) au-delà des réglementations, grâce à une concurrence nouvelle autour de la sécurité des véhicules, devenue argument marketing. Le caractère structurel et multifactoriel des accidents a été rendu rendre encore moins visible, Le consensus large et tacite sur la définition du problème n’est pas remis en cause....
Les luttes définitionnelles fixent les contours des politiques publiques, et cadrent les problèmes appelant des actions collectives. Sur les exemples que nous connaissons, le poids considérable des enjeux économiques apparaît comme un élément clé dans le compromis qui accompagne la définition des problèmes. Nous allons nous y attarder un peu plus.
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Le cas de l’amiante a montré la collusion entre les employeurs, les syndicats et les lobbies de l’amiante (matériau « magique » sans alternative) pour circonscrire le problème au monde du travail dans le bâtiment.
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