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Nature humaine et environnement naturel

Dissertation : Nature humaine et environnement naturel. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  28 Novembre 2012  •  9 201 Mots (37 Pages)  •  1 188 Vues

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Nature humaine et environnement naturel

Notre époque se caractérise par un détachement croissant de l'homme vis-à-vis de son environnement naturel.1 Nos lieux de résidence et de travail, nos moyens de transport ont le chauffage central et l'air conditionné. Nos pieds (ou plutôt nos chaussures) ne foulent que rarement la terre-mère, et dès que la température extérieure ne nous convient plus, nous ne nous contentons pas de couvrir 90% de notre corps de vêtements chauds : nous réduisons notre contact avec les éléments aux quelques minutes nécessaires pour monter dans une voiture ou en descendre. Même l'agriculture ou la sylviculture, supposées contraindre l'homme à vivre au grand air, n'exigent que 40 à 60 heures d'extérieur par semaine. Certes, il existe encore des pays où une partie au moins de la population, bergers et chasseurs, passe chaque année quelques mois à la belle étoile, mais ce mode de vie disparaît rapidement jusque dans les contrées les plus archaïques du monde contemporain.

Il fut pourtant un temps où l'homme était à la merci de la nature; où la nature commandait son travail et ses loisirs, la qualité et la quantité de son alimentation, le cadre et la durée de son existence. Tels des tyrans tout-puissants, les éléments excitaient sa terreur ou suscitaient son espoir. L'homme n'avait ni les moyens, ni la témérité de les affronter : rempli d'une crainte respectueuse à leur égard, il se contentait de leur payer un constant tribut de reconnaissance ou d'expiation. Il fut un temps où la nature imprimait dans l'esprit humain, du berceau à la tombe, une profusion d'images d'une intensité inégalable, fût-ce par les endoctrinements totalitaires les plus contraignants. Il fut un temps où l'homme était gouverné par la nature .

L'homme moderne n'a pas échappé à l'étreinte de la nature, loin s'en faut, mais elle ne l'effraye plus; il la façonne, nourrit l'espoir de la modifier, voire de la conquérir. En de rares occasions seulement, un tremblement de terre, un typhon ou une tornade peuvent réveiller sa terreur et graver dans sa mémoire une image indélébile, susceptible d'influencer sa conduite future. Mais contrairement à l'homme primitif, entièrement cerné par la nature, l'homme moderne est pris dans un environnement social . L'impact immédiat des lois de la nature est remplacé par celui des lois et des forces sociales -d'où la tendance à considérer l'environnement historique et social comme facteur déterminant par excellence. L'homme devient moins "naturel", plus humain et plus social; il est, en un mot, gouverné par l'homme .

Le moderne reste néanmoins conscient des limites que la nature impose à ses potentialités. Une installation de chauffage ne peut pas plus transformer le climat de l'Arctique qu'un système d'air conditionné ne peut changer celui de l'Afrique équatoriale. Le drainage, l'irrigation ou les engrais ne peuvent non plus transformer n'importe quelle contrée en zone agricole. Malgré les nouvelles inventions, la "conquête" de la Terre par l'homme -sa maîtrise de la nature- n'est pas infinie : la nature impose toujours une limite que l'homme ne peut transgresser. C'est cette permanence des liens environnementaux qui a conduit les géopoliticiens allemands à évoquer l' Erdgebundenheit ("dépendance à la terre") de l'homme et de la politique. Nous pouvons être fiers du degré d'émancipation à l'égard des contraintes naturelles auquel nous sommes parvenus, mais il nous faut bien admettre que l'homme moderne demeure limité par la nature .

Que l'environnement influence2 d'une façon ou d'une autre l'existence humaine fut admis dès l'Antiquité et doit l'être encore de nos jours. Mais la différence entre les premiers écrits géopolitiques et ceux d'aujourd'hui s'enracine dans la distinction entre l'homme gouverné par la nature et l'homme limité par la nature . On peut certes objecter que cette rupture porte sur la nature humaine elle-même plus que sur la place faite au conditionnement géographique. Jusqu'au XVIIIe siècle en effet, tous les penseurs (sauf peut-être Machiavel) ont considéré la nature humaine comme une essence immuable, déterminée par Dieu, le climat ou la race, alors que les penseurs modernes ont développé la théorie d'une nature humaine souple et évolutive. Pour réelle qu'elle soit, cette distinction ne suffit cependant pas à différencier entièrement l'ancienne pensée géopolitique de la contemporaine, car la nature humaine souple et évolutive des modernes n'est pas nécessairement incompatible avec le déterminisme : elle s'est vue successivement proposer l'histoire, les structures de production, la libido etc. pour facteurs déterminants.3 Mais les écoles de pensée modernes, lors même qu'elles acceptent le déterminisme, rejettent sa version première selon laquelle les conditions géographiques peuvent être déterminantes.4 A leurs yeux, l'environnement géographique se borne à limiter les possibilités économiques d'un pays et détermine tout au plus sa situation stratégique, non la nature humaine en soi.

Les auteurs géopolitiques prémodernes

Parmi les analystes prémodernes de l'impact de l'environnement naturel sur l'homme, Aristote et Jean Bodin méritent une mention spéciale. Les conclusions de leurs enquêtes, même si on les retrouve chez d'autres auteurs, ont ouvert de nouvelles voies d'investigations et suscité des recherches approfondies.

Aristote

Vingt-trois siècles avant l'invention du mot "géopolitique", Aristote s'est penché sur un grand nombre de questions que nous qualifierions de géopolitiques.5 Il envisageait l'environnement naturel au double point de vue de son impact sur la personnalité humaine et de ses implications quant aux besoins économiques et militaires de l'Etat idéal. Les habitants de cet Etat devaient être valeureux, or "Trois facteurs rendent les hommes bons et vertueux : la nature, la tradition et la raison". Le lien entre la nature et la personnalité des citoyens "saute aux yeux de quiconque regarde les Etats les plus fameux de l'Hellade, et plus généralement la distribution des races du monde habité." Le climat et le tempérament national sont étroitement associés; l'hétérogénéité territoriale implique l'hétérogénéité humaine, entrave la réalisation

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