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L’instrumentalisation de l’islam par Erdogan et le parti de la justice et du développement (l’AKP)

Dissertation : L’instrumentalisation de l’islam par Erdogan et le parti de la justice et du développement (l’AKP). Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  17 Octobre 2020  •  Dissertation  •  9 158 Mots (37 Pages)  •  417 Vues

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Bérénice Busson

Validation Mini-mémoire : L’instrumentalisation de l’islam par Erdogan et le parti de la justice et du développement (l’AKP)

En 1923, l’Empire ottoman devient la République turque après une guerre d’indépendance qui oppose les révolutionnaires républicains laïcs menés par Mustapha Kemal aux forces du dernier sultan, soutenues par les puissances occidentales. Le traité de Lausanne attribue à la République turque, l’Anatolie et la Thrace orientale. Très vite le pluralisme politique est abandonné au profit d’un parti unique le Parti républicain progressiste, puis le Parti républicain libéral. L’armée prend une place prépondérante dans la jeune République. Elle renverse à trois reprises le pouvoir en 1960, en 1971, et 1980. Les militaires kémalistes se font les fervents défenseurs de la laïcité et des libertés démocratiques qu’ils inscrivent dans la nouvelle Constitution de 1960. Le pluralisme politique est également rétabli. Dans les années 1970, la Turquie connait d’importantes protestations syndicales et mouvements sociaux de la gauche radicale, s’élevant contre l’exploitation capitaliste du salarié. Ils sont réprimés dans la violence et notamment par des forces d’extrême droite, le parti MHP et les milices des Loups Gris. Dans le même temps, les mouvements islamistes longtemps marginalisés par l’Etat laïque kémaliste refont surface comme force sociale et politique avec le parti de l’Ordre national (MNP 1970) et le parti du salut national (MSP 1973), faisant partie du mouvement Milli Görüs (1971). Des réseaux religieux tels que les confréries Naqshbandis et Nurcus répondent aux demandes sociales par leur offre de services publics, de solidarité communautaire. Ils sont tolérés car perçus comme force d’endiguement des poussées communistes. La confrérie Gulen, un mouvement aux orientations très larges, attire également pour sa promotion de l’éthique musulmane opposée à la corruption d’Etat, en faveur de la justice et l’égalité. Elle procède à un noyautage des postes stratégiques dans les administrations d’Etat, la justice, l’enseignement. L’armée reste réfractaire et conserve son idéologie kémalistes laïque. Finalement, en 1980 le combat idéologique entre la gauche radicale et l’extrême droite est résolu par un nouveau coup d’Etat militaire. Toute la classe politique de gauche est évincée. Les militaires kémalistes établissent une nouvelle constitution qui place les pouvoirs civils sous leur tutelle à travers le Conseil de sécurité nationale MGK. Un certain ordre politique est rétabli avec le premier Ministre Turgut Özal (1983–1993), un islamiste modéré de la communauté soufi d’Iskandarpasa (branche de la confrérie Naqshbandis). En 1983, sous la commande de Kotku chef de la communauté d’Iskandarpasa, Erbakan crée le parti du Bien être, le Refah. De son côté, Özal met en œuvre des politiques néolibérales, il essaie de conjuguer l’islam et les principes de la démocratie. Président en 1989, il réforme pourtant la Constitution en 1991 pour répondre aux exigences démocratiques d’une candidature d’entrée à la Communauté économique européenne (CEE). Dans les années 1989 / 1995, la Turquie connait une résurgence des mouvements sociaux. Finalement en 1996, le Refah gagne la majorité des scrutins aux législatives et Erbakan devient brièvement premier ministre avant d’être contraint à la démission par les militaires et d’être banni de son parti. La mouvance islamiste arrive de façon définitive par l’entreprise de Recep Tayyip Erdogan. Cet homme politique, membre du MPS, puis du Refah et élu maire d’Istanbul en 1994, s’affirme seul sur la scène politique en 2001. En effet, il rompt avec Erbakan et son Parti de la vertu (Fazilet Partisi) pour co-fonder le parti de la Justice et du développement (AKP). En 2002, après une crise économique et financière importante, l’élite politique est discréditée et l’AKP obtient par sa victoire aux législatives, la tête du gouvernement. Le premier ministre est Abdullah Gul mais c’est bien Erdogan, président du parti qui mène le gouvernement. Il en obtient la présidence en mars 2003. Ce parti abandonne vite la référence à l’islamisme pour se décrire comme un parti de « conservateurs démocrates ». Il souhaite procéder à une islamisation de la société, un retour de l’ordre moral religieux sur le plan social. Mais il ne souhaite pas changer les fondements démocratiques de la République turque et soutient le modèle néolibéral. L’AKP s’affirme pourtant dans sa promotion, une nouvelle identité nationale turque fondée sur l’appartenance religieuse musulmane et la réification d’un passé ottoman. Il souhaite rompre avec l’identité nationale turque laïque du modèle kémaliste. Ainsi, comment l’AKP et le président Erdogan utilise l’islam et le référentiel islamique pour servir les intérêts de leur politique intérieure et de leur diplomatie ?  Dans un premier temps, il s’agit de montrer la manière dont l’AKP et Erdogan utilisent le référentiel islamique comme idéologie identitaire nationale, comme moyen de conquérir le pouvoir et enfin comme instrument d’influence dans la région. Pourtant, notre dossier tente d’apporter une nouvelle lecture de ces stratégies politiques pour montrer comment cette apparence d’islamité cache bien des contradictions et révèle la nature instrumentale de l’islam. Finalement la politique d’Erdogan répond à d’autres grilles de lecture, celle d’une dérive qualifiée d’ « illibérale » ou d’« autoritaire » sanctionnée par une légitimation religieuse et celle d’une diplomatie opportuniste de pays émergent.

I Une politique d’affirmation de l’identité nationale calquée sur l’identité religieuse musulmane sunnite.

La principale caractéristique de la politique d’Erdogan est qu’elle répond à une politique d’affirmation de l’identité nationale turque sur le registre de l’identité musulmane sunnite. L’utilisation de l’islam sert la quête d’un pouvoir total. Le gouvernement d’Erdogan s’oppose alors aux élites kémalistes laïques comme aux partisans Gülenistes, menaçant son hégémonie. L’instrumentalisation de l’islam justifie également un retour à des politiques conservatrices et traditionnelles dans l’optique d’une application de la morale musulmane. Enfin la promotion d’une identité turque musulmane est un puissant instrument diplomatique pour une puissance en quête d’influence dans la région.

A/ L’Islamisation des institutions et la monopolisation de la mouvance islamique par l’AKP, la traduction d’une avide quête du pouvoir

        Ainsi la conquête du pouvoir par Erdogan s’est réalisée progressivement en prenant appui des mouvances islamistes. Dans un premier temps, il fait alliance avec la Confrérie de Fethullah Gülen. Le noyautage des institutions par son mouvement Hizmet, débuté dans les années 1970, est particulièrement actif dans les années 1990. Le prêche de Fethullah Gülen en faveur de l’égalité, la justice sociale et son rapport à l’argent décomplexé attirent beaucoup de partisans. Son réseau est capillaire dans la société. Il comprend les établissements scolaires privés et notamment les dershane, des établissements scolaires de préparation aux concours de l’enseignement secondaire. Le Hizmet a également un important réseau d’hommes d’affaires ce qui lui permet, en autre, d’avoir ses propres titres de presse. Avec l’AKP d’Erdogan profite du noyautage institutionnel du Hizmet pour remplacer les cadres kémalistes par des partisans « gulenistes ». La prise de pouvoir d’Erdogan allié à Fethullah Gülen est décrite par certains comme une « coupe de velours ».  Toutefois si la référence islamique est banalisée dans le champ politique, en 2002 l’AKP, une partie significative des cadres des institutions publiques, reste acquise au courant kémaliste laïque. La rupture avec l’ère kémaliste et sa conception laïque excluant de toute forme visible de religiosité n’est pas acquise. Un bras de fer s’engage entre les deux mouvances. En avril 2007, des manifestations éclatent contre la candidature présidentielle d’Erdogan en raison de son parcours politique dans des partis islamistes tels que le MPS ou le Refah. La riposte s’établit dans le domaine juridique avec une série de procès contre le réseau criminel turque Ergenekon de 2007 à 2009. Ces procès mettent à jour l’ « Etat profond », les collusions entre le pouvoir militaro-kémaliste et le milieu mafieux (le trafic de drogue notamment). Tandis qu’un pan de l’Etat profond s’effondre, affaiblissant l’armée kémaliste laïque, les débats font rage sur la question du port du voile dans certains espaces publiques (ex: l’université). En 2008, l’AKP manque d’être banni par la Cour constitutionnelle pour ses actions « anti-laïques » pour revendiquer le droit de porter du voile à l’université. En janvier 2010, l’interdiction sur le port du voile est levée. Dans cette même année, le pouvoir procède à un référendum pour modifier le Constitution de 1883, issue du coup d’Etat militaire. Le « oui » l’emporte à 57.9%. Cette modification de la constitution vise à réduire les pouvoirs de l’armée et toute opposition à Erdogan. Elle permet également l’extension des droits individuels et une discrimination positive en faveur des femmes. En 2011, la Turquie ne connait pas de contestations comparables au printemps arabe de Tunisie, d’Egypte ou bien du Maroc. Pourtant, en mai 2013 commence une contestation massive fragilisant le régime. Elle démarre par le sit-in du parc Gezi à Istanbul pour se propager à travers 78 des 81 provinces turques. Les revendications sont écologiques et libertaires. Les manifestants s’opposent à la construction d’un centre commercial dans le parc Gezi, à l’interdiction des baisers dans les transports publics par exemple ou bien à la limitation de vente d’alcool. Une répression violente fait taire les protestations. Erdogan ne manque pas une fois de plus cette occasion pour remettre en cause le pouvoir militaire. Il fait arrêter des cadres dans l’armée et la police, soupçonnés de vouloir fomenter un coup d’Etat. Cette action s’inscrit pour certains observateurs (BBC) dans une lutte intestine entre le pouvoir d’Erdogan et les partisans de Fethullah Gulen établis dans les institutions.

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