Liberté religieuse et service public
Dissertation : Liberté religieuse et service public. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lucagrg • 9 Mai 2021 • Dissertation • 2 828 Mots (12 Pages) • 1 187 Vues
Lucas Grigore.
Dissertation de Droit Administratif.
Liberté religieuse et service public.
Le 28 juillet 2016, le maire de la ville de Cannes, David Lisnard, émet un arrêté municipal interdisant le port du burkini sur la plage de Cannes, pourtant autorisé par la loi française, et cela afin de limiter l’exacerbation des tensions suite aux attentats de Nice. En effet, la liberté religieuse consacrée par l’article 10 de la DDHC de 1789 n’est pas absolue, puisqu’elle doit s’exercer pleinement sans nuire à l’ordre public. Cependant, les considérations sur la liberté de culte ont évolué dans le temps, et la diversification des cultes en France pousse l’Etat à devoir adapter l’exercice du service public à la religion. Cela est à la fois montré par l’arrêté municipal de David Lisnard, validé par le tribunal administratif de Nice, mais aussi par le récent projet de loi confortant les principes de la République, voté le 17 février 2021.
La liberté de religion ou de conviction est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 18) et réaffirmée dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 18), signé par plus de 160 Etats. Cette liberté comprend, outre la liberté de culte, la liberté de se réclamer d’une religion ou d’une conviction, de ne pas en avoir, d’en changer ou d’y renoncer. La liberté religieuse se compose, selon la Cour de Strasbourg, de deux éléments : la liberté de conscience ou de pensée, qui est une liberté intérieure ne pouvant faire l’objet d’aucune restriction, et la liberté de manifester sa religion et de pratiquer son culte, qui ne peut être limitée que pour des motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre public. Il semble également nécessaire de définir la laïcité, notion qui, selon le Conseil constitutionnel, regroupe
le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, la garantie du libre exercice des cultes, la neutralité de l’État ainsi que l’absence de culte officiel et de salariat du clergé. La notion de service public renvoie quant à elle à l’idée qu’on se fait de l’Etat au sens large, notamment à travers son action publique. De plus, l’expression service public désigne deux éléments différents : une mission d’intérêt général, ainsi qu’un mode d’organisation consistant à faire prendre en charge ces activités d’intérêt général par des personnes, soit publiques soit privées, mais sous le contrôle d’une personne publique. Les prérogatives de puissance publique dont disposent les détenteurs du service public leur imposent naturellement des obligations spécifiques, et donc un régime juridique exorbitant du droit commun. Le régime juridique du service public est d’ailleurs organisé selon trois grands principes, à savoir celui de continuité du service public (destiné à fournir aux usagers les prestations relatives au service, quelles que soient les circonstances), celui de mutabilité ou d’adaptabilité du service public (admet que le fonctionnement du service public doit être adapté à l’évolution des besoins collectifs et aux exigences de l’intérêt général), ainsi que le principe d’égalité devant le service public. Ce dernier principe va particulièrement nous intéresser, puisqu’il concerne directement la liberté religieuse, en imposant une égalité de traitement des usagers du service public. Il est complété par le principe de neutralité qui concerne les agents d’un service public, notamment quant à l’expression de leur croyance religieuse.
La mise en abîme de ces deux notions fait ressortir les enjeux derrière leur relation, parfois conflictuelle, parfois harmonieuse. L’interaction entre service public et liberté religieuse concerne à la fois les usagers et les agents du service public. En effet, le respect du principe de neutralité ou encore du principe constitutionnel de laïcité par le service public permet le maintien de l’ordre public ainsi que la garantie d’une liberté religieuse égalitaire. Cependant, ces principes peuvent entrer en conflit avec cette même liberté, puisque l’Etat se doit de rendre possible l’exercice et la pratique du culte, tout en y restant neutre. Il faut en effet rappeler qu’avant d’être des agents du service public, tout citoyen est un usager de celui-ci.
Ainsi, dans quelle mesure le régime juridique du service public se conjugue-t-il avec le principe de liberté religieuse ?
Dans un premier temps, il sera important de montrer comment l’Etat, à travers son service public, s’attache à défendre les libertés religieuses, autant pour les usagers que pour les agents du service public (I). D’autre part, l’exercice de ces libertés ne serait pas réalisable sans une neutralité ferme du service public, mais également des règles strictes quant à la liberté de culte (II).
- La protection des libertés religieuses, ou la recherche d’une cohésion nationale.
Le droit de choisir et d’exercer librement son culte doit être promu et défendu par un Etat, afin de garantir des prestations équitables à ses citoyens. Ainsi, l’Etat français va s’attacher à définir et à protéger les libertés religieuses, que ce soit pour l’ensemble des citoyens (A), et plus spécifiquement pour les agents du service public (B).
- La liberté religieuse : un principe mis en avant aux côtés de la laïcité.
Premièrement, le service public français repose grandement sur un critère d’égalité. Il est ainsi nécessaire de fournir les mêmes prestations à chaque citoyen, sans prendre en compte des critères subjectifs. Cela équivaut pour la loi, mais aussi pour la vie commune ; en effet, les citoyens sont libres et égaux en droits. Pour faciliter l’application de ce critère, il faut notamment séparer la vie religieuse de la vie publique. La liberté religieuse est dorénavant garantie par nombre de textes juridiques ; Ainsi le Préambule de la Constitution de 1946 (auquel se réfère la Constitution de 1958) reconnait un principe d’égalité sans aucune distinction de religion. De plus, et cela est une particularité française, la loi du 9 décembre 1905 proclame la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Comme énoncé dans l’article 1er de la Constitution de la Vème République, la République française est laïque, elle respecte toutes les croyances et ne subventionne aucun culte. La laïcité française se décline en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme. Avec la loi de 1905, sont consacrées d’une part la neutralité de l’État face aux religions, d’autre part la garantie par la loi de la liberté de conscience et d’opinion, essentielle à la vie en communauté. En outre, la liberté religieuse est également consacrée par la jurisprudence ; la liberté de conscience a été érigée comme PFRLR dans la décision Liberté d’enseignement de novembre 1977 du Conseil Constitutionnel, et le Conseil d’Etat a qualifié la liberté de culte de liberté fondamentale (selon l’article L521-2 du code de justice administrative) dans son arrêt Benaissa de février 2004. Enfin, la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté de religion dans son Article 9 ; « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », et à l’Article 14 qui interdit les discriminations fondées sur la religion. Selon ces critères, le principe de neutralité et de laïcité du service public est une protection pour les usagers Il n’impose en lui-même aucune limite à la liberté d’opinion, de croyance ou d’expression des usagers du service public, à condition de ne pas porter de troubles à l’ordre public et de ne pas compromettre le bon fonctionnement du service public. En novembre 1989, dans un avis (n° 346.893) sur le « foulard islamique », le Conseil d’Etat a énoncé que le port par les élèves de signes d’appartenance religieuse ne va pas à l’encontre du principe de laïcité, car il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses ; le CE précise toutefois que cette règle s’applique « sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité ». Cet avis va toutefois être contré par la loi de mars 2004.
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