Commentaire d'arrêt : Conseil d'État, Assemblée, 19 octobre 1962, Canal de Gignac
Commentaire d'arrêt : Commentaire d'arrêt : Conseil d'État, Assemblée, 19 octobre 1962, Canal de Gignac. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar popolaw • 24 Février 2017 • Commentaire d'arrêt • 2 441 Mots (10 Pages) • 5 705 Vues
Commentaire d'arrêt : Conseil d'État, Assemblée, 19 octobre 1962, Canal
«Le recours pour excès de pouvoir est l'arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés.» Cette célèbre formule du publiciste Gaston Jèze illustre parfaitement l'arrêt d'Assemblée du Conseil d'État «Canal», en date du 19 octobre 1962.
En l'espèce, la loi référendaire du 13 avril 1962, dans son article 2, autorisa le président de la République à adopter un certain nombre d’ordonnances relevant normalement du domaine législatif. Parmi les mesures prises par le président de la République, figure l'institution par l'ordonnance du 1er juin 1962 d'une Cour militaire de justice. Mise en place pour statuer sur le sort des auteurs et complices d'infractions relatives aux «évènements d'Algérie», cette juridiction d'exception condamna à mort trois hommes.
Les trois hommes condamnés à mort intentèrent un recours en annulation de l'ordonnance devant le Conseil d'État pour excès de pouvoir. Le ministre de la Justice et le ministre des Armées opposèrent à leur requête une fin de non-recevoir.
Dès lors, une interrogation s'est posée naturellement aux juges du Conseil d'État : l'ordonnance du 1er juin 1962 par le président de la République peut-elle être entachée d'illégalité ?
Pour répondre à la question, les juges du Palais-Royal ont procédé en deux temps. Tout d'abord, il affirmèrent leur compétence pour statuer sur l'ordonnance attaquée en établissant qu'elle demeurait, malgré l'habilitation référendaire et son champ d'action relevant du domaine législatif, un acte administratif. Ensuite, compte tenu des circonstances ne justifiant pas la gravité des atteintes qu'elle porte à des principes généraux du droit pénal, l'ordonnance se voit par conséquent frappée d'illégalité. La haute juridiction administrative a ainsi annulé l'ordonnance du 1er juin 1962.
La solution rapportée nous invite à revenir sur le raisonnement du Conseil d'État et son habilité pour justifier un contrôle juridictionnel de l'ordonnance (I). Un contrôle qui a foritori entrainera l'annulation pur et simple de l'ordonnance ainsi que des conséquences politiques et juridiques retentissantes (II)
I. La justification du contrôle de l'ordonnance par le Conseil d'État
Le Conseil d'État s’est reconnu compétent pour contrôler la légalité des actes administratifs pris sur délégation du pouvoir législatif, cela, en vertu de sa jurisprudence constante qui rejette la théorie de la «délégation législative» (A). En outre, il a été nécessaire aux juges du Palais-Royal de justifier leur compétence en déterminant le régime juridique adéquat en fonction des circonstances (B).
A. La compétence du juge administratif pour contrôler l'ordonnance
La haute juridiction de l'ordre administratif se déclare compétente pour effectuer un contrôle sur l'ordonnance du président de la République prise sur le fondement d’une délégation de la part du pouvoir législatif. Cette déclaration de compétence par le Conseil d'État s'explique par le fait qu'en 1962, la haute juridiction administrative avait déjà abandonné la théorie de la «délégation législative» depuis plus un demi-siècle. Cette théorie, consistant en une délégation d'une partie de ses pouvoirs par le Parlement au gouvernement, a été en effet rejetée par une jurisprudence constante du Conseil d'État. Depuis l'arrêt Chemins de fer de l'Est du 6 décembre 1907, le Conseil d'État estime que l'acte pris par le délégataire n’a pas le même caractère que celui accompli par le délégant. Cette jurisprudence habilitant le Conseil d'État, a contrôlé les actes administratifs «délégués» et a été appliquée aux décrets-lois de la IIIème République. En outre, elle a aussi été appliquée aux décrets pris sur habilitation législative durant la IVe République comme le démontre la jurisprudence (Conseil d'État, Section, 15 juillet 1954, Société des établissements Mulsant).
C'est donc dans la continuité de la conception d'un «critère organique» inhérent à l’acte administratif - soit le principe selon lequel le caractère administratif d’un acte découle de la nature administrative de son auteur - que le Conseil d'État se déclare compétent le 19 octobre 1962. En cela, le Conseil d'État a retenu que le président de la République avait certes l'habilitation pour prendre des mesures relevant du domaine législatif, mais pas à exercer le pouvoir législatif en lui-même. C'est pourquoi, les juges du Palais-Royal déclarent que l'article 2 de la loi référendaire du 13 avril 1962 a « eu pour objet, non d’habiliter le président de la République à exercer le pouvoir législatif lui-même mais seulement de l’autoriser à user exceptionnellement dans le cadre et dans les limites qui y sont précisées de son pouvoir réglementaire pour prendre par ordonnance des mesures qui normalement relèvent du domaine de la loi ». En toute logique, les ordonnances prises en vertu de l’article 2 de la loi du 13 avril 1962 «conservent le caractère d’un acte administratif et sont susceptibles comme tel d’être déférée devant le Conseil d’État ».
Néanmoins, le «critère organique» du pouvoir d'arrêter par voie d'ordonnance n'est retenu ici que parce qu'il lui est affecté le régime juridique prévu par l'article 38 (B).
B. La question du régime juridique applicable à l'ordonnance
Si le Conseil d’État a pu exercer sa compétence sur l'ordonnance en cours, cela ne constitue par pour autant un principe absolu en la matière. En effet, les mesures législatives prises par l'exécutif en vertu de l'article 92 (pendant un délai prévu par l'alinéa 1er de l'article 91) de la Constitution échappent à tout contrôle juridictionnel par voie d'action comme en témoigne la jurisprudence (CE, Sec, 12 février 1960, Société Eky). Il en est de même pour les décisions prises par le président de la République sur le fondement de l'article 16 de la Constitution lorsqu'elles interviennent dans le domaine législatif définit par l'article 34 (CE Ass. 2 mars 1962 Rubins de Servens). Dans le cadre de l'article 16, la légifération par ordonnance se justifie en raison des circonstances jugées «graves et immédiates». Ainsi, nous en déduisons logiquement que le Conseil d'État n'a pas estimé que les circonstances soient justifiées pour que soit appliqué aux ordonnances le régime juridique prévus par les articles 16 et 92 de la Constitution. Les hauts magistrats n'ont en conséquence pas estimé que l'habilitation référendaire soit suffisant à donner force de loi aux ordonnances du président de la République.
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