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Commentaire comparé arrêts 27 mai 2015 et 10 novembre 2015

Commentaire d'arrêt : Commentaire comparé arrêts 27 mai 2015 et 10 novembre 2015. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  2 Mars 2017  •  Commentaire d'arrêt  •  3 099 Mots (13 Pages)  •  3 868 Vues

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Commentaire comparé de Com, 27 mai 2015 et Com, 10 novembre 2015 :


        Dans l’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 27 mai 2015, une société fabriquant et commercialisant des implants intraoculaires a demandé la nullité d’une société à responsabilité limitée, qui avait été créée par l’un de ses partenaires aux fins de contourner une obligation d’exclusivité de service qu’il avait contractée et ce, en vue de commercialiser un produit concurrent. La Cour d’appel de Colmar a fait droit à cette demande en prononçant la nullité de la société sur les trois fondements invoqués par le demandeur, à savoir la fictivité de la société, la fraude et le caractère illicite de l’activité développée. Le demandeur au pourvoi a cru pouvoir critiquer cette décision en ce que la Cour d’appel aurait ajouté d’autres causes de nullité que celles prévues par l’article 11 de la directive n° CE 68/151 du 9 mars 1968.
Mais la Cour de cassation n’a pas suivi cet argument, considérant que la décision d’annuler la société était justifiée du seul fait que l’objet statutaire de la société était illicite, nous reviendrons plus en détail sur ces aspects dans les développements du devoir.

        Dans l’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 10 novembre 2015, la Haute juridiction a jugé qu’une société à responsabilité limitée ayant un objet réel illicite, correspondant à des opérations de chantage, mais ayant un objet statutaire licite ne peut être annulée en justice. En l’espèce une société A. souhaitant réaliser une opération immobilière a obtenu un permis de construire. La société B. a attaqué cette décision devant le tribunal administratif.
La société A., estimant que la société B. n’avait été constituée qu’à seule fin de contester le permis de construire et de monnayer un éventuel désistement, a assigné celle-ci afin d’obtenir son annulation ainsi que sa condamnation. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté la demande d’annulation de la société A. La Cour de cassation a validé l’arrêt d’appel au motif que « la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans les statuts et non l’objet réel ».

        Comme la société est un contrat lorsque l’une des conditions de validité du contrat de société fait défaut, la société est théoriquement nulle, que ce soit une condition de validité de l’article 1108 du Code civil ou une condition particulière du contrat de société.
De plus comme la société est généralement aussi une personne morale, l’extinction rétroactive de la société est problématique car selon le fait que la nullité affecte les associés, elle affecte aussi les tiers qui ont contracté avec l’être moral qu’elle est devenue. Il serait injustifié de faire peser sur les tiers de bonne foi les manquements des associés et dirigeants lors de la constitution de la société. La nullité des sociétés est donc particulièrement encadrée, conformément à la directive du 9 mars 1968, aujourd’hui reprise par la directive 2009 /101/CE du 16 septembre 2009. Cette directive énonce des causes limitatives de nullité, celle-ci ne pouvant être que judiciaire, dont l’illicéité de l’objet de la société.

        Cette illicéité a donné lieu à quelques divergences d'interprétation jurisprudentielles.
La jurisprudence française considérerait que l'illicéité de l'objet s'entendait non seulement de l'illicéité affectant l’objet statutaire, mais également de celle touchant à l'objet réel de la société. Seulement, un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 13 novembre 1990, arrêt Marleasing, a jugé que l'objet social dont l'illicéité pouvait fonder la nullité de la société est seulement celui visé par les statuts. Les deux arrêts commentés s’interprètent et s’analysent dans la continuité de cette jurisprudence par des interprétations plus strictes et explicites.
Il convient donc de se de demander si l’illicéité de l’objet statuaire constitue l’unique et légitime cause de nullité d’une société ? Ou faut-il prendre en considération d’autres fondements d’annulation ?
Ces deux arrêts viennent se ranger du côté du droit communautaire en affirmant et consacrant une analyse stricte de l’objet tel que définit dans les statuts de la société qui constituerait une cause de nullité en cas d’illicéité, cependant ces décisions sont contestables et discutables car pouvant laisser en marge certains intérêts. Il conviendra de voir la reconnaissance, par les juridictions françaises, explicite de l’appréciation européenne relative à l’objet de la société comme cause de nullité (I), et de s’intéresser au refus de caractériser d’autres causes de nullité des sociétés pour favoriser l’interprétation de l’objet tel que définit dans les statuts de la société (II).

I- La reconnaissance explicite de l’appréciation européenne de la nullité d’une société pour illicéité de l’objet social  

        En effet, les deux arrêts commentés consacrent et s’alignent avec la jurisprudence européenne relative à la nullité d’une société pour illicéité de l’objet social (A), mais les solutions dégagées restent discutables quant à cette cause de nullité (B).

A) Une consécration de l’appréciation stricte de l’objet de la société

        Dans l’arrêt du 27 mai 2015, la Chambre sociale, « après s’être référé à l’objet de la société Inteyes, tel qu’énoncé par ses statuts », a déterminé que la société « a été constituée pour l’exercice d’une activité contraire aux prescriptions du Code de la santé publique relatives à la fabrication et à la mise sur le marché de produits pharmaceutiques ; que par ce seul motif » la Cour de cassation a considéré que « l’objet de la société Inteyes était illicite ».
La Haute juridiction ne s’attache pas aux trois fondements invoqués par le demandeur, à savoir « la fictivité de la société, la fraude et le caractère illicite de l’activité développée », mais s’attache à « l’objet de la société, tel qu’énoncé par ses statuts ».

        Cet aspect important de l’arrêt renvoie à une certaine controverse provenant entre le droit français et le droit communautaire. Selon les textes français, la nullité de la société pourrait résulter de certaines causes de nullité qui relèveraient d’une disposition du Livre II du Code de commerce (L. 235-1) mais aussi des règles de nullité applicables à tout contrat (article 1108 et suivants du Code civil) et celles propres au droit des sociétés (article 1844-10 du Code civil qui renvoie à l’article 1833). Mais les textes européens prévoient une liste exhaustive et limitative de causes de nullité des SARL et des sociétés par actions dont l’objet illicite ou contraire à l’ordre public. Mais la Cour de Justice des Communautés européennes du 13 novembre 1990, arrêt Marleasing, a privilégié une interprétation stricte et restrictive en visant « l’objet de la société tel qu’il est définit dans l’acte de constitution ou dans les statuts » ; alors que les juridictions françaises privilégiaient l’objet réel à l’objet statutaire (CA Toulouse, 3 avril 1941) notamment quand l’activité réellement exerçait ne correspondait pas à l’objet mentionné dans les statuts.

        En l’espèce, la société avait été constituée pour l’exercice d’une activité contraire aux prescriptions du Code de la santé publique sur la fabrication et la mise sur le marché de produits pharmaceutiques, l’objet social est donc illicite car la société ne peut pas être constituée pour l’exercice d’une activité contraire à l’ordre public.

La société faisait valoir que, soumise à la directive européenne sur les sociétés (article 11 de la directive du 9 mars 1968), elle ne pouvait pas être annulée sur les trois fondements invoqués car ces derniers n’étaient pas prévus par la directive. Cette critique était donc inopérante puisque l’illicéité de l’objet, qui est une cause de nullité (article 1833 du Code civil), était caractérisé.
L’arrêt commenté rejoint la position formaliste de la Cour de justice car en l’espèce il n’y avait pas de contradiction entre l’objet fixé par les statuts et l’activité réelle exercée, mais la référence à l’objet statutaire est ici explicite.

        On remarque donc un certain alignement des juridictions française à l’égard des positions jurisprudentielles européenne où l’objet tel que définit dans les statuts de la société est favorisé pour déterminer ou non si la société est illicite, et non plus une approche concrète de l’activité réellement exercée par la société. Cette analyse se poursuivant de manière plus explicite par l’arrêt du 10 novembre 2015, cependant cette analyse peut amener certaines critiques.


B) Une appréciation discutable quant à la nullité de la société pour illicéité de l’objet social

        Dans l’arrêt de la chambre commerciale en date du 10 novembre 2015 la Cour a été encore plus explicite en refusant de prononcer la nullité d’une société pour illicéité de son objet réel en rappelant que seul l’illicéité de l’objet statutaire le permettait, conformément au droit de l’Union européenne et à son interprétation dans l’arrêt Marleasing.

        En l’espèce, une société A. souhaitant réaliser une opération immobilière a obtenu un permis de construire. La société G. a attaqué cette décision devant le tribunal administratif.
La société A., estimant que la société G. n’avait été constituée qu’à seule fin de contester le permis de construire et de monnayer un éventuel désistement, a assigné celle-ci afin d’obtenir son annulation ainsi que sa condamnation. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté la demande d’annulation de la société A.
La Cour de cassation a validé l’arrêt d’appel au motif qu’« il résulte des dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 13 novembre 1990, que la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l'objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts ».
Or en l’espèce, la requérante soutient que la société G. « n’a pas d’activité propre et n’a été constituée qu’en vue d’opération de chantage par l’introduction de recours ».
En conséquences, la requérante « soutenait que le société G. était nulle en raison du caractère illicite, non de son objet statuaire, mais de son objet réel ». Le rejet de la demande se trouvait donc justifié.

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