CE 11 janvier 2014, Dieudonné
Commentaire d'arrêt : CE 11 janvier 2014, Dieudonné. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Alex Carrere • 20 Novembre 2016 • Commentaire d'arrêt • 2 805 Mots (12 Pages) • 3 652 Vues
Selon Maurice Hauriou : « La police administrative ne pourchasse pas les désordres moraux, elle est pour cela radicalement incompétente : si elle essayait, elle verserait immédiatement dans l’inquisition et l’oppression des consciences. ». Pourtant, durant le mois de janvier 2014, le Conseil d’Etat va rendre une série d’ordonnances qui feront couler beaucoup d’encre. Celle du 11 janvier 2014 intitulée : « Société Les productions de la plume, Dieudonné » est la dernière d’une série de trois. Il s’agit ici pour le juge des référés du Conseil d’Etat de s’intéresser à la relation entre la police administrative et les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression.
Dieudonné est l’auteur d’un spectacle intitulé « Le Mur » qu’il interprète au théâtre de la Main d’Or à Paris. Ce spectacle contient des propos antisémites et infamants envers la communauté juive. L’auteur du spectacle a déjà été condamné pénalement pour des propos de même nature et annonce clairement sa volonté de continuer de la sorte. L’affaire devient très médiatisée dans un contexte de tension entre les adversaires et les soutiens de Dieudonné. La question se pose de savoir s’il faut autoriser les représentations suivantes de ce spectacle. Une circulaire est envoyée par le 1er ministre aux préfets, leur recommandant l’interdiction de ces spectacles. En particulier, le Maire d’Orléans décide de prendre un arrêté le 9 janvier 2014 dans le but d’interdire la représentation du spectacle de Dieudonné dans sa ville.
Dieudonné, ainsi que la SARL « Les productions de la Plume » demandent au juge des référés du tribunal administratif d’Orléans la suspension de l’exécution de l’arrêté du 9 janvier 2014. Le tribunal administratif rejette cette demande le 11 janvier 2014. Le jour même Dieudonné fait appel devant le Conseil d’Etat, conformément à la procédure du référé-liberté. Le Conseil d’Etat rend son ordonnance le même jour, dans cette décision le juge des référés du Conseil d’Etat confirme la décision de 1ère instance.
Le requérant, Dieudonné, soutient que l’arrêté pris par le Maire d’Orléans n’a pas été précédé d’une procédure contradictoire et qu’il n’est pas suffisamment motivé car il ne constate pas l’impossibilité d’empêcher les éventuels troubles à l’ordre public par la mise en place d’un dispositif de police. Deuxièmement, Dieudonné soutient que l’arrêté pris par le Maire d’Orléans est entaché de détournement de pouvoir. En effet cet arrêt aurait été pris dans le but d’obéir à la circulaire du ministre de l’intérieur. Enfin, le requérant soutient que l’ordonnance rendu par le tribunal administratif d’Orléans n’est pas suffisamment motivée. Le juge des référés du tribunal administratif soutient pour sa part que malgré le fait que l’exercice des libertés fondamentales soit une condition de la démocratie, ces libertés fondamentales peuvent être réduites dans le but de protéger l’ordre public. Le juge administratif rajoute en outre qu’étant donné le contexte tendu, la tenue du spectacle est susceptible de causer des troubles à l’ordre public et que la procédure contradictoire précédent l’arrêté a bien été respectée.
Il s’agit d’étudier le raisonnement pragmatique du Conseil d’Etat qui tranche un litige, ayant trait à une restriction de liberté fondamentale, dans le but de préserver l’ordre public.
Le Conseil d’Etat juge que dès lors que la réalité d’un risque d’atteinte à l’ordre public est avérée la privation de liberté fondamentale est justifiée. Dans le cas d’espèce, le requérant allègue que les propos qui vont à l’encontre du respect de la dignité humaine et de nature à provoquer à la haine et à la discrimination raciale ne seraient pas répéter. Cependant, cette allégation ne suffit pas à écarter le risque de menace, et la tenue même du spectacle constitue une menace de trouble à l’ordre public. Ainsi le Conseil d’Etat rejette la demande du requérant et interdit la représentation du spectacle qui devait avoir lieu le 11 janvier 2014.
Dans cet arrêt le Conseil d’Etat prend bien soin de vérifier la légalité de l’arrêté municipal pris par le maire d’Orléans (I). Il concentre ensuite son argumentaire sur la menace de trouble à l’ordre public qui reste l’unique critère permettant de restreindre les libertés fondamentales (II).
I. La légalité de la mesure de police : préalable obligatoire à la privation de liberté
La privation de liberté fondamentale est prévue par la loi encore faut-il, pour qu’elle soit valable, qu’elle respecte un certain nombre de critères (A). La motivation de cette mesure est également une condition nécessaire à son application (B).
A. La nécessité de la mesure de police : une légalité conditionnée par le respect du principe de proportionnalité
Dans le considérant cinq le juge du Conseil d’Etat rappelle ce que le juge des référés du tribunal administratif avait lui-même rappelé avant lui : « l’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Le juge administratif prend ici soin de préciser l’importance accordée aux libertés fondamentales et notamment à la liberté d’expression dans nos démocraties occidentales. En particulier en France, on peut relever l’importance particulière de la liberté d’expression : les manifestations sous le signe de « Je suis Charlie » à la suite des attentats de Charlie Hebdo en sont un signe fort. On comprend ainsi que cette ordonnance est dès lors particulièrement précautionneuse de ne pas aller à l’encontre de cette liberté de manière trop abrupte.
Toutefois dans la suite de ce même considérant le juge vient préciser que « les atteintes portées […] à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées. ». La première chose à relever est le fait que des atteintes à ces libertés sont envisageables. En réalité la liberté d’expression pourrait donc faire l’objet de limitations dans certains cas précis. Une jurisprudence constante a donc vu le jour en 1933 par un arrêt du Conseil d’Etat intitulé « Benjamin ». Dans cet arrêt le Conseil d’Etat vient préciser les conditions dans laquelle on peut venir à l’encontre d’une liberté fondamentale : la mesure privative de liberté doit être nécessaire, adaptée et proportionnée ». Il est intéressant de noter que la cour européenne des Droits de l’Homme ainsi que la cour de cassation reprennent ces termes à l’identiques dans leurs jurisprudences concernant les mesures privatives de libertés, par exemple arrêt du 28 septembre de la 1ère chambre civile de la cour de cassation. L’ordonnance étudiée reprend exactement ces termes sans faire référence à cette jurisprudence dans les visas.
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