Kant et le dilemme éthique

Valorisation du bien-être ou de la responsabilité

        Depuis deux ans je suis cambiste chez l’une des firmes les plus prestigieuses en Amérique du nord qui compte des centaines de clients fortunés à travers la planète. On est en juin 2032; c’est la folie sur les marchés financiers, mais plus particulièrement sur le marché des devises: c’est la veille de l’annonce du Frexit... La France se séparera-t-elle de l'Union Européenne? Le « fund manager » reçoit un coup de fil de Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque Centrale de l’Hexagone, qui lui annonce la désunion officielle avant même que les résultats de vote soient sortis au grand jour. L’Euro sera donc dévalué de plus de 10% demain… De quoi faire une fortune! Le soir-même, le « manager » m’annonce qu’il veut que je me serve de cette information privilégiée pour faire grossir le fond. Il me précise également qu’il veut que je garde cette opération secrète… La première moitié de l’année a été désastreuse pour le fond et j’ai devant moi une opportunité en or pour rattraper les pertes… Que devrais-je faire?

   Ici, deux options s’offrent à moi: soit je considère que la décision d’utiliser l’information privilégiée relève uniquement de la responsabilité de mon supérieur et que c’est à lui d’en assumer les conséquences, au nom du respect de l’autorité et/ou de la valorisation de la recherche de mon propre bien-être (je tiens à avoir une brillante carrière et à continuer à bien faire vivre ma famille); soit je décide de dénoncer le « manager » (aux médias ou à ses supérieurs à lui) au nom de la valorisation de la responsabilité. Peu importe ce que je décide de faire il y aura des conséquences importantes: d’un côté J’enfreins la loi et il y aurait une injustice majeure entre investisseurs (et spéculateurs) sur les marchés financiers (tout le monde a accès à investir sur le marché des devises, alors il s’agit ici de la justice entre citoyens du monde) et de l’autre côté le fonds qui m’embauche perdrait certainement sa réputation (peut-être même qu’il fermerait ses portes vu l’ampleur du scandale) et une majorité d’employés perdraient leur emploi.

        Selon Kant, la première étape vers une prise de décision juste c’est de déterminer les impératifs catégoriques. Il s’agit de devoirs: on énonce donc nos options sous la forme de directives. Un coup ces règles d’action énoncées, il suffit ensuite de s’assurer qu’elles passent par les deux filtres: l’universalisation et la réversibilité (impératif pratique). Enfin, l’impératif catégorique qui passe avec succès au travers de ces filtres doit être considéré comme étant un impératif à accomplir.

        Tout d’abord énonçons l’impératif pour l’option 1: Je dois alerter les supérieurs de mon « manager » / les médias / les forces de l’ordre lorsqu’il s’agit d’une telle injustice; d’une fraude. Maintenant faisons passer cet impératif au filtre de l’universalisation: si tout le monde était autorisé / obligé à agir selon ce devoir, l’humanité ne serait pas en péril, et ça n’irait pas à l’encontre des intérêts fondamentaux de l’Humanité. À l’inverse, ça vise à entretenir la justice entre les être humains. Ainsi, ce devoir passe le premier filtre. Ensuite, faisons passer l’impératif au filtre de la réversibilité: si j’agissais selon l’impératif de l’option 1, est-ce que je respecterais l’humanité en moi et dans les autres? Ici, ce filtre ne s’applique pas vraiment puisque je ferais passer les autres avant moi (justice entre tous VS ma carrière). Il semble donc assez clair que « d’alerter les supérieurs de mon « manager » / les médias / les forces de l’ordre lorsqu’il s’agit d’une telle injustice; d’une fraude » soit un devoir à exécuter.

...