Pour être heureux, faut-il renoncer à ses désirs?
Dissertation : Pour être heureux, faut-il renoncer à ses désirs?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Noa Vic • 4 Janvier 2022 • Dissertation • 6 050 Mots (25 Pages) • 1 088 Vues
Dissertation de philosophie
Pour être heureux, faut-il renoncer à ses désirs ?
Spontanément, il semble assez contre-intuitif de devoir renoncer à ses désirs pour être heureux. En effet, le désir est une tendance qui nous attire vers quelque chose que l’on juge bon. Le désir est une attirance qui, lorsqu’elle est accomplie, provoque du plaisir, et le plaisir est une composante essentielle du bonheur. Le bonheur, au-delà de son sens étymologique mais plutôt dans son sens de statut de l’âme, est un état de pleine satisfaction, où tous nos désirs sont accomplis. Si l’on estime qu’être heureux c’est mené une existence de bonheur, et que le bonheur consiste à être toujours pleinement satisfait, être heureux et accomplir ses désirs sont donc liés, et le premier dépend du deuxième. Il ne faudrait alors pas renoncer à ses désirs pour être heureux.
Cependant, tous les plaisirs ne sont pas forcément bons à prendre. En effet, même si la réalisation d’un désir amène forcément du plaisir, il faut toujours se poser la question du prix qu’il nous en coute. La réalisation d’un désir peut nous apporter plus de douleur qu’elle nous apporte de plaisir. De plus, on sait depuis aussi que certains désirs, comme la richesse ou la réputation, ne sont finalement que source de malheur car on ne peut pas contrôler tous les éléments et les conditions qui les entourent. Cette dépendance-là est d’ailleurs aussi un gros problème des désirs. Si l’on souhaite obtenir quelque chose mais que l’on échoue à cause d’une condition extérieure que l’on ne peut pas changer et que par conséquent l’on n’arrive pas à obtenir l’objet de notre désir, cela va créer un manque. Et cela va à l’encontre total du plaisir, car le plaisir est aussi définissable par l’absence de manque. Le manque va s’installer et va empêcher de nous rendre heureux, mais l’apogée du problème vient du fait que plus l’on manque, plus l’on va désirer la chose qui nous manque, et plus cela va nous rendre malheureux. Etant donné donc les multiples contraintes liées au désir, il serait peut-être juste de s’appliquer à ne réaliser que nos désirs les plus nécessaires, c’est-à-dire nos besoins, pour ne pas tomber dans une dépendance qui nous rendrait malheureux. Mais est-ce que la satisfaction de nos simples besoins vitaux suffirait à nous rendre heureux ? Probablement pas. Une autre question se pose. Est-ce tant le fait de désirer qui peut rendre malheureux, ou est-ce plutôt le fait d’essayer de satisfaire son désir. Car là où le désir est une passion, et qui donc, la plupart du temps, ne se contrôle pas, l’agissement lui est contrôlable, il résulte de notre propre volonté. La volonté c’est mettre en action des moyens pour accomplir un besoin, et la volonté s’ancre dans la raison. La raison ici pourrait aussi faire office de contrôleur, dans le sens où on pourrait envisager utiliser notre raison afin de distinguer quels désirs peut-on réaliser sans être malheureux, et quels désirs doit-on abandonner. Car en réalité, il semble difficile d’être heureux en renonçant totalement à désirer. Désirer donc semble quelque chose d’inévitable, et renoncer à ses désirs reviendrait à tenter de fuir quelque chose qu’on ne peut pas fuir, et Epictète nous a appris que cela ne peut mener qu’au malheur. Une meilleure interprétation du sujet serait donc : « Pour être heureux, faut-il renoncer à accomplir ses désirs ? », une question qui conviendrait déjà plus au stoïcisme, car l’impulsion est quelque chose à notre portée et d’ailleurs, le terme « renoncer » signifie abandonner volontairement, c’est donc quelque chose qui dépend de notre propre chef. Toutes ses réflexions nous mène à nous poser la question suivante : Le désir, parce qu’il nous rend dépendant, nous-empêche-t-il d’être heureux ou au contraire nous ouvre-t-il les portes du bonheur en nous permettant d’accéder au plaisir ?
Pour répondre à cette question nous procéderons en trois étapes. D’abord nous montrerons que le désir, dans sa représentation comme dans sa réalisation, est essentiel au bonheur. Ensuite, nous verrons que le désir peut être source de malheur en nous rendant dépendant de phénomènes que nous ne contrôlons pas. Enfin, redéfinissant la volonté, nous nous demanderons si pour être heureux, il faut faire une sélection, et ainsi un bon jugement de nos désirs afin de choisir lesquels réaliser et lesquels abandonner.
Selon Epicure : « le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse » (Lettre à Ménécée). Cette phrase d’Epicure résume la pensée épicurienne sur le bonheur, mais elle mérite aussi beaucoup d’explications. Car cette phrase à elle-seule permet de dire « le plaisir est la clé du bonheur », car le plaisir est à la fois la clé qui ouvre, et la clé qui referme. Pour commencer, il faut analyser les termes « commencement » et « fin ». Le plaisir est commencement. Le plaisir est principe, c’est-à-dire la première cause active de la vie heureuse. Pour les épicuriens, le plaisir est l’absence de douleur. La douleur se manifeste lorsque l’on éprouve un manque, et c’est ce manque qui crée à la fois la douleur, mais aussi le désir, le désir de combler ce manque. Le désir va nous mener à agir pour combler ce manque et effacer la douleur, et c’est lorsque l’on comble ce manque, et donc en accomplissant son désir que le plaisir vient et la douleur s’arrête. Cette conception est importante car pour les épicuriens, le manque fonde le principal trouble à l’âme, et le calme de l’âme est une composante fondamentale du bonheur. Cela signifie que si l’on ressens un manque, alors notre âme est troublée et on ne peut pas être heureux. Pour Epicure alors, notre volonté ne doit agir que dans un but : « Car nous n’agissons qu’en vue d’un seul but : écarter de nous la douleur et l’angoisse. Lorsque nous y sommes parvenus, les orages de l’âme se dispersent, puisque l’être vivant ne s’achemine plus vers quelque chose qui lui manque ». Ce passage est très intéressant car il y définit ce qu’est la fin de la vie heureuse : avoir écarté toutes douleurs et toutes craintes. Ce qu’Epicure dit aussi ici c’est que les orages de l’âme se dispersent lorsque l’être vivant ne s’achemine plus vers quelque chose qui lui manque, autrement dit lorsque l’être vivant n’agit plus pour combler un manque. Ce que dit Epicure c’est que l’âme est troublée tant que le manque est toujours là, plus précisément, quelqu’un qui est en manque et qui ne fait rien souffrira autant que quelqu’un qui est en manque et qui essaye de le combler. La vision épicurienne sur le plaisir est assez binaire, et il n’existe pas d’état intermédiaire entre le manque et l’absence de manque. Ces choses sont importantes car elles justifient le choix que l’on a fait plus haut de dire « notre volonté ne doit agir que dans un seul but ». Le mot volonté ici est important dans notre raisonnement mais aussi dans le raisonnement épicurien, car la volonté est liée à la raison, et c’est la que la thèse épicurienne se nuance. Le calme de l’âme et du corps étant les deux choses essentielles à rechercher pour la vie heureuse selon Epicure, notre raison doit s’appliquer à ne choisir que les désirs qui seraient utile au calme de l’âme et du corps. Epicure dit : « En effet, une vision claire de ces différents désirs permet à chaque fois de choisir ou de refuser quelque chose, en fonction de ce qu’il contribue ou non à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque ce sont ces deux éléments qui constituent la vie heureuse dans sa perfection ». La raison se place au centre des choix. Il est important de noter qu’il n’est pas question ici de renoncer à ses désirs, mais d’avoir une vision claire de tous nos désirs et par la raison en déduire quoi faire. Comme dit dans notre introduction, le désir est une passion, on ne le contrôle pas, c’est l’agissement que nous contrôlons. Nous subiront donc forcément des désirs qui ne seront pas cohérents avec les besoins du bonheur que sont le calme de l’âme et la santé du corps, mais notre volonté elle, à travers un jugement de la raison, agira selon ce qui est bon pour notre bonheur. Et c’est aussi pour cela qu’Epicure dit du plaisir : « il est au principe de nos choix et refus », car la recherche du plaisir permet les choix raisonnables dans les désirs de la vie, choisissant les bons et écartant les mauvais. Epicure ajoute : « il est le terme auquel nous atteignons chaque fois que nous décidons quelque chose, avec, comme critère du bien, notre sensibilité ». Cette phrase aussi est très intéressante, car elle définit le plaisir comme le « critère du bien », comme notre sensibilité. Selon une proposition de Pierre-Marie Morel, qui a traduit Lettre à Ménécée pour les éditions Flammarion, l’affection est : plaisir ou peine, ce que l’on éprouve en soi-même et qui nous indique spontanément ce que nous devons rechercher ou éviter. Cela signifie que, en toute circonstance, nos choix et nos refus sont décidés, selon Epicure, par notre affection. Les plaisirs et les peines sont les critères de tout choix positifs et de tout rejets négatifs. Si l’on est heureux (et que donc notre affection est le plaisir), alors nos jugements seront bons, car ce que dit Epicure c’est que nous discernons tout bien en nous servant de l’affection comme d’une règle. Autrement dit, si notre affection est le plaisir, donc notre « critère » sera le plaisir, et donc tout ce que nous discernerons de bon à choisir sera en fonction du plaisir qu’il pourra nous offrir. La thèse épicurienne appuie aussi sur l’importance de « jauger » les désirs, pour que l’accomplissement d’un désir n’apporte pas plus de douleur que de plaisir. Ainsi, le plaisir et sa recherche forme la base d’un raisonnement rationnelle. Pierre-Marie Morel, dans les notes de sa traduction de Lettre à Ménécée, propose l’analyse suivante : « Le plaisir n’est pas donc seulement un critère étroitement hédoniste (ce à quoi l’on reconnait ce qui procure de la jouissance), mais également un critère éthique : il oriente notre action et permet l’exercice de la vertu ». Quoiqu’il en soit, le bonheur est toujours lié au plaisir, et donc au désir, mais a une conception spéciale, où tous les désirs ne sont pas bons à prendre. Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. La fin car il est le but, la limite clairement défini à atteindre, l’achèvement de la vie heureuse. Le commencement car le plaisir est synonyme d’absence de manque ou de douleur, et donc du calme de l’âme et du corps. Faut-il renoncer à accomplir ses désirs ? Non, mais il faut s’exercer à accomplir uniquement les désirs bons pour nous. Notre volonté doit toujours s’exercer à chasser les troubles et les peines de l’âme dans la réalisation de nos désirs, et c’est cela qui mène au bonheur.
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