Gagner sa vie est-ce la réussir ?
Dissertation : Gagner sa vie est-ce la réussir ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Victor Dupuis-Vielledent • 18 Février 2022 • Dissertation • 2 319 Mots (10 Pages) • 553 Vues
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“Gagner sa vie” est synonyme de réussite, or pouvons-nous perdre notre vie à trop vouloir la gagner ? Réussir sa vie est un devoir qui s’exécute à toutes les époques. L’origine de ce devoir nous est inconnu pourtant nous nous laissons aveuglement convaincre que ce devoir n’est pas vain. Pour beaucoup, ce devoir est le signe d’un assouvissement des besoins dans le simple but de survivre. L’homme naît, travaille, construit une famille puis la nourrit, tel est le parcours d’un certain nombre de personnes. Et si “ gagner sa vie” ne se limitait pas à cet enchaînement mais plutôt à une réussite sur le plan social et personnel par la reconnaissance d’autrui ? Mais au fond quelle est la véritable nature de ce devoir qui nous est inconnu ? Tout d’abord, nous distinguerons deux sens à l’expression “gagner sa vie” : l’un purement pratique, quant à l’autre placé sous le signe de la réussite en tout genre. Ensuite, nous aborderons l’importance de ce devoir qui nous est confié, est-il simplement une nécessité ou bien un exercice à l’épreuve de notre force morale ? Enfin, “ gagner sa vie “ n’induit pas un unique parcours de réussite bien souvent associé au travail, si chacun de nous est différent c’est parce que nos parcours ne seront pas les mêmes et nos compétences différentes. Le travail peut être même dangereux pour l’homme, si celui-ci dépasse les limites du possible, travail ne veut pas forcément dire réussite.
D’une part, il n’y a rien à gagner dans le travail, il est juste un simple moyen de survivre. Le travail est un effort douloureux imposé par l'aiguillon de la nécessité historique (trop nombreux pour se contenter de puiser dans la nature ou rupture de l'harmonie avec la nature chez Rousseau) ou même naturelle : la nature est inachevée et nous condamne à devoir transformer la nature pour répondre à nos besoins. L’homme est labeur, (Dieu l’a infligé à l’homme comme châtiment dans la Genèse), le travail est une contrainte qui est la marque de notre asservissement au processus vital, d'où sa condamnation dans la Grèce antique ; c'est une activité indigne d'un homme libre, c'est pourquoi elle est réservée aux esclaves. Le travail comme " labeur du soir au matin " est " la meilleure des polices " pour Nietzsche dans Aurore : il épuise force nerveuse, tue l'initiative individuelle et réduit les vues de l'homme à un " but mesquin". Mais pourtant, on dit que travailler c’est “gagner sa vie”, il y aurait donc quelque chose à gagner, du moins dans le travail.
D’autre part, il peut quand même il y avoir quelque chose à acquérir dans le travail. Hormis l’aspect contraignant du travail, il y a aussi celui de la réussite qu'elle soit personnelle comme collective (ascension sociale). On doit en effet produire de quoi survivre donc on gagne cela en tant qu'activité économique, le travail permet d'avoir sa place dans la société devenue une des valeurs centrales de nos sociétés. Néanmoins, ne travailler que dans l’unique but de s’enrichir est néfaste, l’avidité des hommes est souvent la cause de crises sociales comme celle notamment de 1929 aux Etats-Unis avec le krach de Wall Street. La spéculation économique d’une petite partie de la population a fait couler l’économie d’un pays et a paralysée les plus grandes enseignes mondiales. L’argent est un bonheur artificiel poussé par les désirs de l’être humain. Les entreprises cherchent de plus en plus à faire du chiffre et à s’enrichir par n’importe quel moyen et cela peu importe les époques. C’est ce que Marx affirmait en dénonçant le travail exploité d’une société capitaliste. Pourtant, la responsabilité que nous implique ce devoir est différente de l’idée que nous pouvons nous faire de l’expression “gagner sa vie” par le biais d’une dépendance à un dur travail de labeur. Et si, dans ce devoir existait-il une dimension morale où l’homme, libre de son destin arriverait à ses fins par le travail ?
Puisque l’individu doit trouver en lui la règle de son action, le caractère moral d’une action dépend entièrement de la volonté de l’individu d’agir moralement. Pour Emmanuel Kant, le travail satisfait la conscience morale et la fierté humaine. Ainsi, l’animal satisfait ses besoins par l’instinct, l’homme par le travail. Il lui faut néanmoins pour cela un effort qui le sorte de la paresse. Le travail est donc un devoir et son habitude, une vertu. Aristote explique d’ailleurs que la vertu est l’habitude du bien. L’homme qui travaille serait alors un homme meilleur, plus moral, un homme dont la formation est plus accomplie car il se dépasse. De plus, comme le souligne Freud, le travail peut être considéré comme un bien en lui-même. “ Être normal, c’est aimer et travailler”. Ici Freud ne parle pas seulement du travail social, mais de tout effort pour mûrir et changer ainsi notre propre “nature”. Il évoque le travail du deuil et de l’effort mental pour surmonter la perte d’un être cher. Le terme “travail” est alors pris comme une métaphore et signifie l’effort sur soi-même.
Hormis, l’aspect moral de ce devoir celui-ci sert aux hommes à apprendre à vivre entre eux grâce au travail. Ce devoir forme l’homme à la sociabilisation et lui apprend donc à vivre en société. Le travail est en effet lié à la diversité des techniques et à la nécessaire coopération sociale. Le travail favorise également la communication, donc le rapport avec les autres. Il fait vraiment de l’homme un être social. D’ailleurs, le travail a permis à l’homme de se libérer de la nature, de se sociabiliser et d’emmagasiner des connaissances, donc de se dépasser. Le travail permet de façonner la nature pour en faire un monde humain. Le travail est un élément fondamental de la culture. Selon Marx, c'est par là que l'homme se distingue de l'animal. Lorsqu'il y a la technique, la production d'une œuvre, le travail permet de s'affirmer comme homme et individu (comme par exemple dans la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel dans " cogito pratique "). En travaillant, l'homme se fait homme et s'affirme pour lui et pour les autres (reconnaissance sociale). Le travail permet aussi de conquérir la liberté en formant la volonté car selon Bergson " la mystique exige la mécanique ". Cependant, le travail ne porterait-il pas atteinte à ma liberté et par surcroît à mon bonheur ?
Toutefois, le travail est souvent associé à quelque chose de difficile. Etymologiquement, “travail” signifie d’ailleurs “contrainte” ou même “moyen de torture” (tripalium en latin). La Bible fait même du travail la conséquence du péché. En effet, Dieu punit Adam et Eve en associant le travail à la douleur et à l’effort : “tu travailleras à la sueur de ton front”. Le travail serait alors une punition. Par ailleurs, l’idée que le travail rend libre a été exploitée au XXe siècle par des idéologies comme le nazisme ou le stalinisme, alors que c’est l’asservissement voire la destruction des hommes qui a effectivement été mis en place. Le slogan “le travail rend libre” ( Arbeit macht frei) figurait au fronton du camp de concentration nazi de Dachau alors que les hommes y étaient exploités et tués. De plus, même si le travail forme la conscience du travailleur grâce à l’acquisition du savoir technique, de nombreux travailleurs semblent plutôt aliénés que libres. Ainsi, le travail ouvrier, industriel ou même bureaucratique peut” aliéner”, c’est à dire se rendre étranger à soi-même. Par exemple, dans le film de Charlie Chaplin Les Temps modernes, le travail n’est pas libérateur, les ouvriers sont vus comme des êtres mécaniques répétant à la chaîne, inlassablement, le même geste toute la journée. Le personnage de Charlot est même pris dans les rouages de la machine : il en devient lui-même un objet. Ainsi, “gagner sa vie” nécessite-t-il forcément d’avoir travaillé ? Pouvons-nous réussir autrement ?
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