Est-ce que la raison est un obstacle au sentiment amoureux

Monsieur,

Je vous supplie de porter attention à cette lettre. Si vous saviez le mal que j’ai supporté pour trouver les timbres qui m’ont servi à vous faire parvenir mes inquiétudes. Ils se font rares de nos jours.

Je sais, triste époque, non pas comme quand vous étiez jeune, lorsque vos idées et ceux de vos pairs ont ouvert les portes à la réflexion moderne.

Vous mon maitre, par la simple force de la pensée, êtes projeté dans un état similaire à la méditation pour vous permettre d’atteindre la lucidité nécessaire afin d’aboutir à vos deux vérités. Celles que vous n’avez jamais cessez de répéter : je pense donc je suis. Vous avez dissocié le corps et l’esprit en affirmant, suite à vos découvertes, que l’un permet l’obtention des vérités et l’autre mène à l’erreur.

C’est justement pour cela que je vous écris. Monsieur, je sens que je feins. Je m'aperçois à mesure que je vous écris que je doute de votre enseignement (c’est vous qui m’a appris à remettre en question tout ce que l’on croit irréfutable). Mon corps m’indique les passions mais mon esprit la modération. Je suis en amour! C'est une belle parmi les belles. Touchante, drôle et fière, elle me fait faire ce que je n’osais gère… Jusqu’au moment où je dois me raviser; vous mon père m’aviez montré à le faire. Je suis terriblement incertain d’autant plus que vous affirmez deux choses.

D’une part, il est clair pour vous que le corps est un obstacle à la raison. Il vous pousse à faire des actions ou à réfléchir de façon irrationnelle, bref le chaos. Ce sont nos sens, nos sentiments, ces passions qui nous dévient du droit chemin. La raison quant à elle, est profitable. Assez pour délaisser ses passions afin d’atteindre les racines d’une connaissance exacte. Elle nous vient de notre esprit qui n’a rien avoir avec le corps que nous possédons. L’esprit est pur lorsqu’on le rend maitre. Il aperçoit toutes choses d’un point de vu extérieur avec grande sagesse.

De l’autre vous affirmez, que l'âme peut avoir ces plaisirs. Je vous cite dans votre recueil Les passions de l’âme : « Les passions sont toutes bonnes de leur nature et nous n’avons rien à éviter que leur mauvais usage ou leurs excès. » Vous semblez dire qu’il faut les connaitre afin de mieux pouvoir les contrôler.

J’aurai tendance à penser comme cela. Pour moi, tout est une question d’équilibre. J’ai l’impression que de se baser seulement sur sa raison limite énormément notre champ de connaissance. Il est tout à fait possible de bâtir nos connaissances sur des suppositions : assumer qu’il y a une explication logique et scientifique aux phénomènes qui nous entourent, assumer que les évidences dans la nature peuvent être utilisé pour comprendre leurs causes et assumer que ces causes sont constantes. Ainsi, une méthode scientifique où il est possible de construire de construire une connaissance pièces par pièces à mesure que avancé technique se réalise.      

Bref, je pense que la rationalité empêche les sentiments amoureux dans la définition que vous en faites, l'esprit pur de toute influence puisque l’amour nous aveugle, en quelque sorte. Je crois aussi qu’elle n’est plus complètement compatible avec la philosophie scientifique de nos jours. Votre définition de la rationalité n'est aussi pas plus profitable que les passions puisqu’elle n’est même plus pertinente et ce, dans son but premier, qui était d’établir les bases de la connaissance. Par contre je ne méprise pas vos travaux qui ont permis des avancées notamment dans la méthode scientifique moderne. Il est clair que votre influence et vos recherches ont mené à un meilleur environnement dans la quête de connaissance de l'être humain et je vous en remercie. Pour ma part, je m'en vais retrouver ma bien aimée et me laisser baigner dans la  beauté de la nature.

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