La théorie d'ensemble du divertissement
Cours : La théorie d'ensemble du divertissement. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 5 Janvier 2013 • Cours • 2 226 Mots (9 Pages) • 1 244 Vues
Ce grand fragment plus étendu que les autres, présente la théorie d’ensemble du divertissement, construite selon une méthode argumentative qui relève du modèle de la raison des effets.
Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser (Divertissement 2 - Laf. 133, Sel. 166). Le divertissement est lié à plusieurs concepts pascaliens : la misère, car c’est pour l’oublier qu’on se divertit ; la vanité, parce qu’il n’y a pas pire preuve de vanité que ce remède aux maux humains ; le souverain bien, car c’est l’ignorance de son vrai bien qui pousse l’homme à la poursuite de biens illusoires. Enfin il est lié à l’Apologie même, puisque c’est l’obstacle majeur que Pascal doit vaincre pour amener son lecteur à la recherche. Rien de surprenant à ce qu’il apparaisse en plusieurs endroits du plan de l’Apologie.
Le divertissement a une double origine. Il rappelle la diversion de Montaigne, qui consiste à savoir détourner la pensée des maux dont l’on souffre pour mieux les supporter ; mais il s’inspire aussi de l’idée augustinienne que l’homme est capable d’écarter sa pensée de sa fin dernière et de Dieu. Pascal y ajoute sa propre marque par la manière dont le développement dialectique en révèle progressivement la signification cachée.
Le divertissement est d’abord considéré du point de vue du moraliste. Pascal part d’un constat de disproportion : dans le foisonnement des activités humaines, chasse, guerre, affaires, il n’y a pas de commune mesure entre l’objet poursuivi et l’ardeur qu’on met à le poursuivre, malgré les maux et les déceptions inévitables. Le philosophe voit là une marque de vanité : Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Mais cette première étape, qui correspond à peu près au jugement d’un stoïcien, est superficielle et insuffisante : elle est moralisante au mauvais sens du terme, car elle s’arrête aux effets sans parvenir à leur raison. Passant à un point de vue plus compréhensif, Pascal observe que l’origine de cette agitation consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. Cette hypothèse, il la confirme à la manière des physiciens par une série d’expériences fondées sur l’observation de la réalité sociale, et par une démarche d’ensemble qui rappelle celle de la raison des effets. La première étape prouve la nécessité du divertissement : elle est faite sur un cas qui résume tous les autres. Un roi devrait en théorie avoir l’esprit content de contempler la gloire majestueuse qui l’environne ; mais si nous faisons en pensée l’épreuve de le laisser seul penser à soi sans ses amusements ordinaires, danse, jeu, agitation de sa cour, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables » ; donc « un roi sans divertissement est un homme plein de misères. La démonstration vaut a fortiori pour les autres cas de la condition humaine et de la vie ordinaire, où les effets du divertissement sont moins visibles, mais non moins réels. En découle une autre conclusion : le divertissement n’est pas si vain qu’il semble, il a pour fonction de rendre l’homme heureux en lui faisant oublier sa misère naturelle.
Une expérience plus complexe détermine la nature du divertissement. Imaginons un joueur auquel nous enlevons d’abord le droit de jouer en lui accordant l’argent équivalent à son gain éventuel : Vous le rendez malheureux. Supprimons ensuite le gain en le laissant jouer : la partie ne l’intéressera plus. Donc le gain et le suspens sont nécessaires ensemble au divertissement. On comprend le phénomène plus finement : l’homme ne veut pas effectivement l’objet qu’il poursuit, mais un objet à la limite quelconque pour pouvoir s’obnubiler dans une poursuite qui lui fasse oublier sa misère.
Une troisième expérience introduit un facteur nouveau : le temps. Soit un homme accablé de procès ; on lui fait chasser le sanglier quelques heures : Le voilà heureux pendant ce temps-là. Donc le bonheur assuré par le divertissement est limité au temps qu’il dure. Il doit donc être toujours renouvelé pour rester efficace, quitte à changer constamment d’objet, dans un cycle sans issue. C’est ainsi qu’on fait les carrières politiques.
Le jugement de Pascal sur la valeur du divertissement varie avec le point de vue. Si l’on admet avec l’athée qu’il n’y a pas d’issue à la misère de l’homme, le divertissement se justifie en disant qu’à des maux inévitables, il n’est pas absurde de chercher pour dérivatif une occupation violente et impétueuse : c’est la solution du désespoir. En fait, dit Pascal, les athées ne répondent pas cela, parce qu’ils ne se connaissent pas eux-mêmes et sont dupes de leur propre divertissement. Du point de vue chrétien, loin d’être un remède à la misère, le divertissement en est un comble, puisqu’il y ajoute l’illusion qu’on peut lui échapper par d’aussi pitoyables expédients. C’est surtout une misère tragique, qui nous fait coopérer de toutes nos forces à notre propre malheur : Nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir (Commencement 16 - Laf. 166, Sel. 198).
À la recherche inauthentique du divertissement, Pascal propose d’en substituer une qui regarde en face la misère de l’homme.
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Fragments connexes
Ordre 8 (Laf. 10, Sel. 44). Les misères de la vie humaine ont frondé tout cela. Comme ils ont vu cela ils ont pris le divertissement.
Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70). Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir.
Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.
Misère 19 (Laf. 70, Sel. 104). Si notre condition était véritablement heureuse il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.
Raisons des effets 19 (Laf. 101, Sel. 134) . Le peuple
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