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L'État Est-il Un Mal nécessaire

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Par   •  19 Février 2014  •  2 420 Mots (10 Pages)  •  1 564 Vues

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L'État est-il un mal nécessaire ?

Introduction

Sans aucun doute, chacun d'entre nous aimerait pouvoir faire ce qui lui plaît quand cela lui chante. Mais nos désirs viennent bien souvent se heurter à l'interdiction de la loi civile, nous exposant du même coup au châtiment prévu par la loi, si on leur laisse malgré tout libre cours. Ainsi, c'est un fait, les lois de l'État viennent entraver notre liberté d'action. Pourtant, chacun reconnaît également, pour peu qu'il prenne la peine d'y réfléchir, qu'obéir aux lois de l'État est nécessaire pour que l'ordre règne : que serait une société où chacun se mettrait à n'en faire qu'à sa tête, bafouant les lois à l'envie ? Nous disons : ce serait l'anarchie, car les lois perdraient justement toute leur valeur de lois. De là à tomber dans un « état de nature » où ne régnerait finalement que ce que Rousseau ou Hobbes nomment « la liberté naturelle », c'est-à-dire le pouvoir de suivre ses seules impulsions sans autres limites que celles de sa force propre, il n'y a qu'un pas. Or là où il n'y a plus de lois instituées et reconnues, et de ce fait, plus d'État, on peut penser que c'est précisément la force seule qui fait le droit et tient lieu de loi, ce que nul sans doute ne peut sérieusement souhaiter : c'est la survie de chacun qui se trouverait alors compromise.

Alors faut-il en conclure que l'État est un mal en tant qu'il nous empêche d'être libre, mais qu'il est un mal nécessaire, dont nous ne saurions nous dispenser si nous voulons ne serait-ce que pouvoir cohabiter sans nous nuire les uns aux autres ? Cependant, il faut aussi remarquer que l'État est une institution qui n'a pas toujours existé : l'ethnologie a montré que des sociétés sans État sont possibles, sans que pour autant leurs membres ne s'entredéchirent. On pourrait alors concevoir de se débarrasser de cette institution qui ne paraît pas absolument indispensable pour la vie en communauté, et qui, en plus, nous bride dans nos élans. Toutefois, y gagnerait-on réellement ? Serions-nous véritablement plus libres et plus heureux pour autant ? On peut à bon droit en douter, ne serait-ce précisément qu'en approfondissant les données ethnologiques : il n'est sans doute pas de société qui laisse moins de place à l'initiative individuelle que les sociétés sans État, dont la vie est enserrée dans des rituels de chaque instant. En fait, nous avons peut-être un peu vite considéré l'État et ses lois comme une instance négative et contraignante pour les individus que nous sommes : au lieu de nous égarer dans des utopies que la réalité historique et ethnologique dément, nous ferions peut-être mieux de réfléchir aux conditions d'un État qui serait non seulement bon pour nous, en tant qu'il favoriserait une coexistence pacifique, mais aussi bon en soi, c'est-à-dire juste, en tant qu'il respecterait la dignité et la liberté proprement humaines. Tel est l'examen que nous nous proposons de mener.

I. Les sociétés sans État : un paradis perdu ?

L'État, c'est d'abord pour les sujets que nous sommes cette organisation de la vie commune qui, sur un territoire donné, institue des lois ainsi qu'un appareil administratif et judiciaire pour permettre une cohabitation harmonieuse de chacun avec tous, protéger nos droits et régler nos litiges. L'État est ainsi cette instance de pouvoir distincte du corps social, qui vient en tiers des relations interindividuelles pour leur imposer, par la violence et la dissuasion s'il le faut, des règles communes. Or c'est précisément cette contrainte exercée par les lois et les instances du pouvoir qui nous apparaît bien souvent comme un mal : être forcé de brider mes désirs, de me soumettre à la règle commune, voilà qui ne semble en rien bénéfique, ni plaisant. En plus, ces lois, même dans un État démocratique comme celui dans lequel nous vivons en France aujourd'hui, sont décidées non par les citoyens que nous sommes pourtant, mais par quelques personnes qui, pour avoir été élues, semblent pourtant parfois vivre dans un autre monde et paraissent bien éloignées de la vie de l'individu commun. À quoi bon alors ce pouvoir distant et centralisé régissant la vie de millions de personnes et leur imposant ses directives ? Est-ce à dire que nous serions incapables de nous entendre entre nous à plus petite échelle ? Ne sommes-nous pas tous des êtres capables d'entendre raison et de nous organiser de manière autonome sans la tutelle, somme toute oppressante, de la machine étatique ?

Après tout, des sociétés sans État sont possibles, ainsi que le montre l'ethnologue Pierre Clastres. Mieux même, il semblerait que ces sociétés dites « primitives » ne soient pas tant des sociétés sans État que des « sociétés contre l'État », autrement dit des sociétés qui se sont constituées en refusant le modèle organisationnel d'un pouvoir distinct du corps social. Dans ces sociétés, point de maîtres, ni d'esclaves : s'il y a bien un chef, il n'a aucune marge d'initiative, il ne peut absolument pas laisser libre cours à son arbitre pour imposer sa loi aux membres du groupe et leur faire ainsi violence. Au contraire, nul dans le groupe ne décide de la loi, mais son origine se perd dans la nuit des temps. Le chef n'en est que le porte-parole ou l'aide-mémoire : sa parole dit toujours et uniquement ce que tous savent toujours déjà ; il n'a en fait que le pouvoir de répéter la loi immémoriale. Tout est donc fait pour que le « pouvoir » ne puisse jamais se transformer en instrument de coercition, de soumission et d'arbitraire. Établir une institution étatique, cela veut dire au contraire diviser la société entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, et du même coup introduire violence, rapports de subordination et désunion au sein du corps social. Voilà précisément ce que de telles sociétés refuseraient, plus ou moins consciemment. Voilà aussi peut-être un modèle culturel et social qui pourrait sembler enviable, puisque dépourvu de toute hiérarchie. L'institution qu'est l'État apparaît alors ici comme un mal puisqu'elle introduit l'inégalité parmi les hommes, ce que Rousseau, à sa manière, soulignait déjà dans son second Discours, mais un mal non nécessaire, qui aurait pu ne pas advenir, et dont il eût peut-être été souhaitable qu'il n'advînt jamais.

Cependant, deux choses doivent être soulignées

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