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Peut-il Exister Des désirs Naturels ?

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Par   •  3 Décembre 2012  •  2 701 Mots (11 Pages)  •  1 133 Vues

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Introduction

Faire l'expérience du désir, c'est endurer la morsure du manque et traverser l'épreuve de l'insatisfaction : tout désir est une tension vers un objet désiré, dont la possession nous apparaît à chaque fois comme étant absolument nécessaire — en d'autres termes, quoi qu'un désir commande, il le commandera toujours impérativement. Seulement, il va de soi que les objets sur lesquels les désirs se portent ne sont pas uniformes, en sorte que l'exigence de satisfaction ne revêt pas la même nécessité objective, quelque également nécessaire qu'elle puisse sembler du point de vue subjectif : si mon désir de gloire n'est pas moins impérieux que celui de manger à ma faim, s'il peut même s'avérer plus impératif (le monde ne manque pas d'actrices que les exigences de la célébrité auront contraint à rester affamées leur vie durant), il est bien évident qu'on ne saurait mourir d'être un parfait inconnu, lors même que la famine peut facilement vous ôter la vie, pour peu qu'on s'y obstine.

Mais alors, on peut à bon droit se demander s'il n'existe pas des désirs plus naturels que d'autres : à l'évidence il y a des désirs dont la satisfaction, commandée par notre propre nature, est indispensable à notre simple survie ; d'autres appétits en revanche semblent pouvoir demeurer insatisfaits, à condition du moins que notre volonté ait assez de fermeté, et de constance. Ainsi, le désir n'est pas un terme univoque : tous les désirs ne sont pas naturels et nécessaire. Un tri devient alors non seulement possible, mais même souhaitable : si je ne puis donner satisfaction à tous mes appétits, mieux vaut savoir lesquels je dois combler absolument.

À supposer alors qu'on puisse distinguer les désirs entre eux suivant le type d'objet sur lequel ils se portent (c'est-à-dire suivant la nécessité objective de leur satisfaction), à supposer même qu'il puisse y avoir des désirs contre nature, demeure toutefois intacte la question de la naturalité du désir lui-même : car enfin, s'il peut fort bien nous arriver de désirer quelque chose dont l'obtention n'a rien de vital, si autrement dit nous pouvons avoir des désirs qui n'ont rien de naturel, n'est-ce pas justement parce que nous ne sommes pas des animaux tout entier livrés aux impératifs de la survie ? La nature de l'homme, n'est-ce pas d'avoir des désirs autres que simplement naturels ? Mais en ce cas, peut-on encore parler de nature ? Ne faudra-t-il pas bien plutôt dire que le désir est ce par quoi un être spirituel s'arrache de toute nature et se sépare sans remède de l'animalité ?

I. Des désirs naturels à la naturalité du désir

1. La sensation est la seule norme absolue

Nous sommes des êtres de désir, telle est notre nature ; mais cela ne signifie justement pas que tous les désirs soient eux-mêmes naturels : telle est la leçon qu'Épicure entend nous transmettre. Comme tous les êtres vivants en effet, nous sommes soumis à la polarité du plaisir et de la peine, qui viennent qualifier toute sensation (toute sensation est plaisante ou déplaisante, à quelque degré que ce soit) ; et comme tout être vivant, nous avons naturellement tendance à chercher le plaisir et à fuir le déplaisant. Tout plaisir est un bien, toute douleur est un mal : la sensation, juge infaillible de ce qui est agréable ou douloureux, est un guide qui ne saurait nous égarer et qu'il suffit de suivre sans s'en écarter. De ce point de vue, les animaux sont nos modèles : ils nous donnent à voir ce qu'est une vie orientée par la sensation immédiate du plaisant et du déplaisant ; seulement, à la différence des animaux, les hommes possèdent un esprit, et une imagination. L'esprit les rend capable d'avoir des notions abstraites, qui doivent provenir des sensations pour être vraies. Par l'imagination en revanche, l'homme devient capable de se projeter hors de l'instant présent, c'est-à-dire hors du temps de la sensation ; de là vient qu'il peut s'égarer, et poursuivre un bien tout sauf véritable.

Parce qu'il n'écoute pas seulement ce que la sensation lui dit, l'homme est capable de désirer quelque chose d'en fait déplaisant : alors que le plaisir est univoque pour Épicure (il n'y a pas plusieurs genres de plaisirs), le désir devient avec l'homme qualitativement différencié. Il y a d'un côté les désirs naturels, ceux qui ont la sensation pour principe, et qui nous font désirer ce qui est en soi désirable, à savoir le plaisir. Et il y a les désirs qui ne sont pas naturels, parce qu'ils ne proviennent pas de la sensation, mais de l'imagination – et ceux-là suffisent à faire notre malheur.

2. Les désirs non naturels proviennent de l'imagination

Ainsi, et contrairement à tous les animaux, l'homme est capable d'imaginer sa propre mort, d'imaginer ce qu'il pourrait par après advenir de son corps, et de son âme. L'idée de son cadavre laissé en pâture aux bêtes fauves l'horrifie ; la représentation d'un châtiment divin outre-tombe le plonge dans la terreur. De ces peurs nées de l'imagination proviennent à leur tour des désirs corrompus, au premier chef desquels les passions sociales : je veux la gloire ou la célébrité, pour qu'il reste quelque chose de moi après ma mort, pour être certain également qu'on rendra à mon corps les derniers honneurs. C'est ainsi que la crainte de la mort rend possible une société ne se fondant plus sur le plaisir évident de l'amitié, mais sur la lutte et la rivalité de chacun contre tous. Le désir de gloire ou de richesse est donc pour Épicure l'exemple même d'un désir à la fois non naturel, et non nécessaire : si la mort est effectivement destruction de toute sensation, alors elle n'est pas à craindre et elle ne fera pas mal ; s'il n'y a rien dans la nature que du vide et des atomes, alors la mort vient dénouer le lien qui unit les particules composant mon corps aussi bien que mon âme (laquelle est la première à en être détruite), en sorte qu'il ne restera absolument rien de moi. La crainte de la mort est une crainte imaginaire et déraisonnable qui nous pousse à faire des choses elles-mêmes folles et déraisonnables : les désirs provenant de l'imagination sont par définition illimités, puisqu'ils se fondent sur une peur qu'ils sont impuissants à dissiper (c'est parce que j'ai peur de mourir que je veux être

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