La Conscience morale que soutient Rousseau dans sa thèse
Fiche de lecture : La Conscience morale que soutient Rousseau dans sa thèse. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar anais.ferrero • 19 Janvier 2015 • Fiche de lecture • 2 167 Mots (9 Pages) • 1 447 Vues
Nous débutons notre parcours de la conscience entendue cette fois comme conscience morale, avec la thèse que Rousseau soutient dans le texte bien connu que vous trouverez ici si cela vous intéresse. L'intérêt de ce texte est qu'il met bien en lumière l'une des tensions qui existent au sein du projet des Lumières. Si l'on considère que ce qui définit les Lumières, c'est le fait de fonder (ou de chercher à fonder) la totalité du savoir et de l'agir humain sur l'usage exclusif, par chaque homme, de ses propres facultés (ce qui exclut d'un même geste le recours à la tradition et à la Révélation religieuse), alors le texte de Rousseau est une stricte émanation des Lumières. En revanche, si l'on cherche à fonder tout l'édifice sur l'usage de la raison, alors le texte de Rousseau introduit une distorsion du projet.
Je reviens ici brièvement sur l'opposition Kant / Rousseau que nous avions présentée dans le cours sur vérité et morale. Chez Kant, la raison seule peut nous indiquer, par le "test d'universalisation" imposé par la "Loi morale", ce qu'est l'action morale ou immorale. La Loi morale s'énonce : "Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être établie en loi universelle". Pour savoir ce que je dois faire, je n'ai pas besoin de consulter un "sentiment" intérieur, je dois établir si la règle que je suis dans mon action peut être appliquée par tous les hommes : la raison peut donc servir de socle à la morale. Pour savoir si une action est morale, je n'ai qu'à raisonner : est-ce que la règle que je suis pourrait être appliquée par tous les hommes sans que j'aboutisse à des absurdités ou des contradictions ? Par exemple : je me demande si le fait de resquiller à la cantine est moral. Je n'ai qu'à me demander à quoi l'on aboutit si tous les individus se mettent à passer les uns devant les autres... situation absurde (et contradictoire, évidemment). Mon action est donc immorale.
Chez Rousseau, ce n'est pas le cas. Rousseau ne pense pas que la raison puisse nous dire ce qui est bien, ce qui est mal ; il ne pense pas non plus que la raison puisse nous dire si je dois faire le bien ou choisir le mal. Ce qui ne signifie évidemment pas que, pour Rousseau, le bien et le mal soient affaire d'opinion individuelle ; bien au contraire, l'instance qui nous permet de distinguer le bien du mal (le "principe de justice"), l'instance qui nous commande de choisir le bien (le "principe de vertu") est absolument universelle pour Rousseau. Elle parle en chaque homme, et de la même façon. Mais il ne s'agit pas de la raison : il s'agit de la conscience.
La voix de la conscience doit donc être distinguée de toutes les "maximes" (règles d'action) que nous produisons, que nous construisons (avec le secours plus ou moins légitime de la raison). Tout ce qui s'énonce dans une règle, dans un langage articulé, dans une loi explicite, est déjà de l'ordre du "logos", c'est-à-dire à la fois du discours et de la raison. Pour Rousseau, la voix de la conscience n'est pas de l'ordre d'une maxime rationnelle, mais de l'ordre d'un sentiment. Par ailleurs, la voix de la conscience n'est pas le produit d'une construction effectuée dans le langage (elle serait alors "acquise") : c'est un principe inné. Enfin, si les maximes que je construis peuvent être déterminées par l'état de la société dans laquelle je vis (elle serait donc culturelle), la voix de la conscience est, elle, inscrite de la même façon dans la nature de l'homme : elle est naturelle.
La conscience est un sentiment inné et naturel : en tant que telle, elle ne peut être qu'universelle.
Il se peut donc que les maximes, forgées à l'aide de la raison, dans un contexte social déterminé, entrent en conflit avec la voix de la conscience : il suffit que ces maximes reposent sur des principes contraires à la conscience. Mais attention : pour Rousseau, nos maximes peuvent éventuellement contredire la voix de la conscience, elles ne peuvent pas la corrompre ! La conscience, en tant que principe inné et naturel, ne peut être modifiée sans que soit changée la nature même de l'homme... ce qui est impossible. Un homme sans conscience ne serait plus un homme (ce qui peut se formuler, dans le langage des Déclarations : "tout homme est doté de raison et de conscience".) En chaque homme, la voix de la conscience continue donc de se faire entendre, de manière immuable, quel que soit l'état de corruption de la société dans laquelle il vit. On peut chercher apprendre à la recouvrir sous le bruit de nos pseudo-justifications, on ne peut la faire taire.
Il faut donc faire très attention à la formule (dont le statut textuel est d'ailleurs un brin compliqué) selon laquelle "l'homme est naturellement bon, mais c'est la société qui le déprave". En premier lieu, si l'homme est naturellement bon, c'est qu'il possède par nature un sentiment qui lui indique le bien et lui recommande de le faire ; cela ne signifie pas que l'homme primitif, non encore "dépravé" par la vie sociale, aurait été une sorte de saint charitable et généreux. L'homme de "l'état de nature", chez Rousseau, ne saurait être véritablement généreux et charitable, pour la bonne et simple raison qu'il ne vit pas au concact de ses semblables (on peut difficilement être généreux et charitable à l'égard de ses semblables quand on est isolé.) ; à l'état de nature, la bonté naturelle de l'homme s'exprime donc principalement par la "pitié" qu'il ressent lorsqu'il se trouve confronté au spectacle de la souffrance d'autrui. Mais surtout, en admettant que la société "déprave" l'homme, cela ne signifie pas (du tout) que l'homme pourrait être corrompu dans sa nature, que la voix de sa conscience pourrait se trouver pervertie, viciée. La nature de l'homme est immuable, et avec elle la voix de la conscience. Ce ne sont donc que les "maximes" de l'homme que la société peut corrompre, et elle peut le conduire à prêter davantage attention à ces "maximes" qu'à la voix de sa conscience. C'est certes beaucoup, mais c'est tout. L'homme reste donc naturellement bon, la voix de sa conscience reste identique à elle-même, même dans une société complètement dépravée.
C'est un point très important d'un
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