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En quel sens peut-on soutenir que l'art imite la réalité ?

Dissertation : En quel sens peut-on soutenir que l'art imite la réalité ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  24 Février 2021  •  Dissertation  •  2 411 Mots (10 Pages)  •  929 Vues

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Au chapitre huit de ses leçons sur La Formation de l’Acteur, C. Stanislavski raconte comment un matin de classe de théâtre, le directeur s’était dissimulé à ses élèves et tardait à paraître. Il en profita pour observer à leur insu comment ils se comportaient dans un moment si anodin. Une actrice chercha son porte-monnaie, perdu la veille sur scène, et chacun se mit en quête de l’objet. Soudain le directeur se révéla à eux et applaudit la qualité de la vérité du moment qu’ils lui avaient donné à voir. A savoir si c’était là de l’art, puisque cela se déroulait sur scène, « Non ! Ce n’était pas de l’art. C’était seulement la réalité. » dit-il. Puis, il les enjoignît de recommencer. Désemparés de prétendre chercher un objet qu’ils avaient retrouvé, ils ne firent rien de bon. L’impression que la réalité opérait la première fois avait cédé la place à une mauvaise imitation. La vérité initialement contenue semblait périmée, comme si sa validité tenait pour autant qu’elle restait à l’abris de la conscience d’elle-même. C’est par un travail acharné que le directeur les aida à recréer une situation qui, par une imitation devenue maitrisée, donnait correctement à voir des jeunes gens chercher un porte-monnaie. Cette supercherie élaborée depuis une expérience du réel devenait art. Si l’on voit bien, à travers cet exemple, la réalité d’un côté et la forme artistique qui en dérive de l’autre, la nature du rapport qu’elles entretiennent interroge. Le rôle que l’imitation a joué, dans le jeu de rôle auquel se livrent les acteurs paraît ici fondamental. Opère-t-il ainsi de façon systématique dans l’ensemble des productions artistiques ? En quel sens peut-on soutenir que l’art imite la réalité ? Le problème que peut poser une telle interrogation implique d’abord que nous nous accordions à isoler les deux termes. Établissons ainsi que ce qui est réel n’est pas, en soi, artistique et qu’une œuvre d’art, n’est pas à tout à fait du réel en tant que tel, mais un réel-autre, c’est à dire un réel créé. C’est la figure de l’artiste qui surgit alors et il s’agit de comprendre ce qu’il fait, comment il opère, avec quels moyens et dans quels buts. La charnière qui relie nos deux termes consiste précisément en son travail. Nous devons alors évaluer si l’imitation est le concept adéquat pour définir ce travail. C’est en parcourant les différentes acceptions de l’imitation ainsi qu’en essayant de s’en passer que nous pourrons déterminer si c’est toujours selon les modes de l’imitation (entendus comme multiples et complexes) que l’art se constitue depuis le réel.

Dévoilons un agrément propre à l’imitation lorsqu’elle est entendue comme ressemblance : elle permet une large compréhension des desseins et des dessins de l’artiste par son public. A la manière d’un amateur de vin qui se réjouit de saisir un arôme lors d’une dégustation, un public non aguerri, pourra plus aisément comprendre ce que Picasso a fait dans la Poule avec ses poussins en 1942 que le travail de Pollock dans One : number 31 en 1950. Le spectateur apprécie alors la restitution qu’un artiste lui fait d’un réel qu’il reconnaît, d’un monde qui est aussi le sien. C’est un lien de partage et de confiance qui noue alors le créateur et son public. L’artiste est ici jugé sur ses capacités d’observation et de restitution du monde : plus la ressemblance penche vers l’illusion, meilleur semble être cet artiste. S’il est certain que ce principe existe, il semble cependant assez limité. D’abord s’il était très opérant, il suggérerait que toute imitation soit artistique ce qui serait un malentendu. Ensuite, force est de constater qu’il ne permet pas de rendre compte de bon nombre de créations dans l’histoire de l’art. Tout ce qui n’est pas reconnaissable ne deviendrait pas acceptable. S’efforcer d’imiter la nature en tachant d’y coller au plus près participe bien souvent de la formation des artistes mais n’est pas un critère nécessaire ni suffisant pour qu’un artefact soit perçue comme une œuvre d’art.

De plus, s’attacher ainsi aux apparences peut s’avérer dangereux et trompeur. C’est notamment la conception que développent Socrate et Platon. En effet, il faut à présent s’accorder sur ce que l’on entend par réalité. Si elle concerne le monde sensible que l’artiste perçoit à l’aide de ses sens, alors c’est une terrible méprise car cela consisterait à prendre les apparences du monde pour la réalité alors qu’elle est tout autre. En effet le piège optique dans lequel l’humanité est plongée la condamne à ne voir qu’un simulacre de réel, celui représenté par les skiagraphia, qui répètent ces illusions. L’imitation avilît le réel en honorant les semblances des choses. C’est grâce à l’orientation des philosophes, que l’artiste (ou l’artisan puisque la différence n’est pas pertinente pour Platon) va pouvoir s’élever au ciel intelligible des idées, seul endroit où la vérité règne pleinement aux côtés du Beau, du Juste et du Bien. En étant ainsi bien circonscrits dans leur pratique, les artistes peuvent construire des représentations de ces idées. L’œuvre qui y parviendra sera alors jugée bonne car permettant de se libérer de ce monde. L’imitation ne vaut alors qu’en tant que représentation (skhéma) motivée et instruite dans un but précis : être une possibilité d’accès à la connaissance.

Cette conception fonctionnaliste des imitations, ayant un intérêt spéculatif, se prolonge chez Aristote. La fonction est encore de mener à une connaissance du monde. Pour lui, l’imitation consiste toujours en une mise en forme du réel. Arrêtons-nous sur « mise en forme » un instant. Il y a là l’acceptation du phénomène selon lequel l’imitateur va manipuler le réel. Il le fera mal, lorsqu’il en donnera de mauvaise représentation, là où il s’attache au superflu. En revanche, les représentations seront jugées bonnes lorsqu’elles mettent en valeur l’action libre, c’est à dire noble : là où l’homme a la volonté de tenir tête à la fatalité, là où l’art entretient « une affinité avec l’acte de résistance » (Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création, 1987). C’est la mission que se donne la tragédie. La fonction de connaissance y est amplifiée par le phénomène de la catharsis. L’imitation opère alors selon un mode révélateur en se consacrant à une partie bien ciblée d’un réel qui a été malaxé par le créateur pour lui faire dire ce qu’il veut. Prolongeons l’analyse de ce phénomène en spécifiant que le spectateur, étant touché par l’artiste qui visait juste, va quitter le théâtre en étant purifié. Par-là, l’auteur va aussi changer le monde. L’imitation est donc création.

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