La Bruyère Les Caractères (XII, "Des jugements") - 1688
Mémoires Gratuits : La Bruyère Les Caractères (XII, "Des jugements") - 1688. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Lecommentaliste • 20 Février 2013 • 2 643 Mots (11 Pages) • 3 191 Vues
INTRODUCTION :
Jean de La Bruyère est connu comme un « moraliste ». Par ce terme, on a coutume de désigner des écrivains – notamment du XVII° siècle, comme Pascal, La Rochefoucauld – qui traitent de sujets moraux dans une forme brève : maximes, pensées. Le genre de prédilection de La Bruyère est le portrait. Son principal ouvrage, Les Caractères (1688), se donne pour but de corriger les hommes de son temps en leur tendant le miroir grossissant de la caricature. Mais il y a aussi, dans Les Caractères, des dissertations plus générales comme ce chapitre XII intitulé : « Des Jugements ». La Bruyère s’y interroge sur la validité des jugements humains.
Lecture.
L’intention dominante de cet extrait paraît être d’instruire un procès contre l’orgueil humain ; c’est ce que nous montrerons d’abord. Nous analyserons ensuite les différentes étapes de ce réquisitoire. Puis nous étudierons deux procédés qui confèrent au texte sa tonalité polémique : l’interpellation des hommes, et l’ironie.
1) UN REQUISITOIRE CONTRE L’ORGUEIL DES HOMMES :
Le thème de la « gloire » : A trois reprises dans le texte, l’auteur reproche aux hommes de régler leur comportement sur le souci de leur « gloire ». Ainsi, ligne 23, c’est l’amour de la « gloire» qui sert à justifier les guerres : « Et si les uns ou les autres vous disaient qu’ils aiment la gloire… » (pour justifier leur goût de la guerre). Ligne 37, « la gloire » est encore dénoncée comme ce qui pousse les hommes au surarmement. Humoristiquement, La Bruyère personnifie la gloire : «elle aime le remue-ménage ; elle est personne de grand fracas ». Dans cette formule, où l’on retrouve le La Bruyère des portraits, la guerre est déguisée en « petit marquis », le vacarme de la mitraille identifié aux rodomontades bruyantes du vaniteux. Cette phrase, qui achève le texte, renvoie à la définition de l’homme proposée au début du texte : « espèce d’animaux glorieux et superbes » (l.4). Au XVII° siècle, les mots « gloire, glorieux » ont un sens ambivalent : ils ne désignent pas seulement (comme aujourd’hui) l’honneur reconnu, la réputation justement acquise ; ils désignent aussi le sentiment de satisfaction de celui qui a mérité de tels honneurs (la fierté, l’orgueil légitime) ou l’excessif contentement de soi (la prétention, la superbe, la vanité). C’est ce dernier sens qu’il faut donner à la formule de la ligne 4 : les hommes sont une espèce d’animaux vaniteux et prétentieux. Cette insistance lexicale nous aide à identifier la principale intention du texte : rabattre l’orgueil des hommes.
La comparaison avec les animaux : Tout au long du texte, La Bruyère compare les hommes aux animaux. Comme dans les Fables de La Fontaine, La Bruyère fait appel aux chiens, aux chats et aux loups, au faucon et à la perdrix, à l’éléphant et à la baleine, au lévrier et au sanglier, au lion et au singe, à la taupe et à la tortue pour juger le monde des hommes. L’homme est un animal parmi d’autres : les animaux sont ses « confrères », rappelle malicieusement La Bruyère (l.10) ; plusieurs locutions du texte désignant l’homme suggèrent la même idée : « animaux glorieux et superbes », « animal raisonnable». Ce seul rappel constitue déjà une incitation à plus de modestie et justifie la comparaison. Or l’homme se juge supérieur aux « autres » animaux alors qu’il leur est bien souvent très inférieur : « animaux glorieux et superbes qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites même pas comparaison avec l’éléphant et la baleine » (l.5). Ainsi est annoncée l’idée qui sert de base à l’argumentation : l’orgueil humain est sans fondement. La comparaison avec les animaux sera le moyen de démontrer cette thèse.
Etudions maintenant les étapes de la démonstration.
2) LES ETAPES DE L’ARGUMENTATION :
1° argument : Petitesse de l’homme dans la nature : Le premier argument du texte (l.1 à 6) est d’ordre physique. Face aux « montagnes voisines du ciel », face à l’éléphant et à la baleine, les « petits hommes, hauts de six pieds, tout au plus de sept » ne soutiennent pas la comparaison.
2° argument : Relativité du jugement humain : Le second argument (l.6 à 11) attaque l’homme sur sa prétention à la supériorité intellectuelle. « J’entends corner sans cesse à mes oreilles : l’homme est un animal raisonnable ». Le mot familier « corner », au double sens de « parler très fort » et de « ressasser » désigne péjorativement cette formule comme une idée à réfuter. L’homme se considère comme un « animal raisonnable ». Mais ce jugement est-il digne de foi, dès lors que c’est l’homme lui-même qui le porte? Qu’en diraient les animaux si on leur demandait leur avis ? En suggérant cette inversion du point de vue qu’on trouve très souvent aussi chez La Fontaine, La Bruyère tente d’ébranler notre certitude sur l’objectivité de notre jugement. A partir de cet endroit, toute l’argumentation va s’orienter vers la réfutation du caractère raisonnable de l’homme.
3° argument : « Légèretés » et «folies des hommes » : Les lignes 11 à 14 développent, à la manière d’une prétérition, un nouvel argument contre le caractère raisonnable de l’homme. La prétérition est un procédé de rhétorique : on déclare ne pas vouloir parler d’une chose dont on parle néanmoins par ce moyen. C’est exactement ce que fait La Bruyère : « Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices… ». L’argument ne sera peut-être pas développé, mais il a été compris. Cela suffit !
4° argument : Folie guerrière des hommes : maintenant, et jusqu’à la fin du texte, La Bruyère se centre sur l’argument de la guerre : leur attrait pour la guerre est la meilleure preuve de la déraison humaine. Mais il vaut la peine de détailler la description du raisonnement qui est complexe :
a) Concession : de la ligne 14 à la ligne 17, le raisonnement commence par un mouvement concessif : il est vrai que les animaux chassent, comme les hommes. « Je consens aussi que vous disiez d’un homme qui court le sanglier (…) : voilà un brave homme ». Le verbe « consentir » est un indice typique de la concession.
b) Fable : le passage suivant (l.17 à 23) commence par « Mais » ; il amène le second mouvement de la concession : l’opposition. La guerre se conçoit entre espèces différentes, « mais » elle est absurde entre individus d’une même espèce comme la pratiquent
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