Eloge De La Folie, Erasme
Commentaires Composés : Eloge De La Folie, Erasme. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 8 Octobre 2013 • 370 Mots (2 Pages) • 2 251 Vues
C’est (la) Folie qui parle...
Au premier rang sont les grammairiens, race d’hommes qui serait la plus calamiteuse, la plus affligée, et la plus accablée par les dieux, si je ne venais atténuer les disgrâces de leur malheureuse profession par une sorte de douce folie. Ils ne sont pas simplement cinq fois maudits, c'est-à-dire exposés à cinq graves périls, comme dit une épigramme grecque(1) ; c'est mille malédictions qui pèsent sur eux. On les voit toujours faméliques et sordides dans leur école; je dis leur école, je devrais dire leur séjour de tristesse, ou mieux encore leur galère ou leur chambre de tortures parmi leurs troupeaux d'écoliers, ils vieillissent dans le surmenage, assourdis de cris, empoisonnés de puanteur et de malpropreté, et cependant je leur procure l’illusion de se croire les premiers des hommes. Ah! qu’ils sont contents d'eux lorsqu'ils terrifient du regard et de la voix une classe tremblante, lorsqu'ils meurtrissent les malheureux enfants avec la férule(2) , les verges et le fouet, lorsque, pareils à cet âne de Cumanus(3) ils s'abandonnent à toutes les formes de colère! Cependant, la saleté où ils vivent leur semble être du meilleur goût et leur puanteur exhaler la marjolaine . Leur malheureuse servitude leur apparaît comme une royauté et ils n'échangeraient pas leur tyrannie contre le sceptre de Phalaris ou de Denis(4).
Mais leur plus grande félicité vient du continuel orgueil de leur savoir. Eux qui bourrent le cerveau des enfants de pures extravagances comme ils se croient supérieurs, bons Dieux! à Palémon et à Donat(5). Et je ne sais par quel sortilège ils se font accepter comme ils se jugent par les folles mamans et les pères idiots. Leurs versiculets(6) les plus froids et les plus sots, ils les colportent, leur trouvent des admirateurs et se persuadent que l'âme de Virgile a passé en eux. Rien ne les enchante davantage que de distribuer entre eux les admirations et les louanges, et d'échanger les congratulations. Mais, que l’un d'eux laisse échapper un lapsus et que, par hasard, un plus avisé s'en aperçoive, par Hercule ! quelle tragédie ! quelle levée de boucliers! Quelles injures et quelles invectives! Que j'aie contre moi tous les grammairiens, si j'exagère.
Erasme, Éloge de la folie , chap. XLIX (1509)
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