La musique dans Novecento d’Alessandro Baricco
Mémoire : La musique dans Novecento d’Alessandro Baricco. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar nounoumak • 29 Décembre 2023 • Mémoire • 5 289 Mots (22 Pages) • 191 Vues
Université Paris-Sorbonne
UFR de littérature française et comparée
Travail présenté dans le cadre du séminaire de Master 2 recherche:
« Poétiques comparées : poésie et musique en quête l’une de l’autre »
La musique dans Novecento: Pianiste d’Alessandro Baricco
Présenté par : Ines Makhlouka
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Introduction :
Non, le jazz ne s’écrit pas, et finalement mon projet est un projet impossible, mais c’est cette impossibilité qui m’intéresse. […] Cette impossibilité d’écrire le jazz est le vrai enjeu de mon écriture. Je sais que ce n’est pas possible, c’est pour cela que je le fais.1
Comme le souligne ces propos de l’écrivain Koffi Kwahulé, c’est l’impossibilité d’écrire le jazz, d’écrire la musique en générale qui crée le désir d’aller à la rencontre de cette altérité, de confronter la part du moi et la part de l’autre dans leur pouvoir d’altération au sein du processus de création littéraire. Si les affinités entre la musique et la littérature existent depuis l’Antiquité, l’étude de leurs relations doit permettre de percevoir simultanément l’intéraction entre les deux domaines, musical et littéraire, tout en intégrant l’écart de leur hétérogénéité. Plusieurs oeuvres littéraires, d’aires linguistiques et géographiques diverses, se sont saisis de la musique et particulièrement du jazz comme objet du discours, reflétant parfois une approche jazzistique face à la création littéraire. Il est des oeuvres littéraires où l’influence d’autres arts est telle qu’elles nécessitent une analyse qui prenne en considération cet apport afin que le texte face sens dans toute sa complexité. L’œuvre de l’italien Alessandro Baricco est intéressante en ce point. Aussi bien sur le plan formel que thématique, l’auteur convoque plusieurs références à la peinture, au cinéma, à la musique, offrant de véritables modèles d’hybdrité textuelle et d’intermédialité.
Né en 1958 à Turin, Alessandro Baricco suit une formation en philosophie et en musique. Après une carrière médiatique en tant que journaliste et critique, il publie son premier roman Les Châteaux de la colère en 1991 pour lequel il reçoit en France le prix Médicis étranger en 1995. Suivront ensuite Soie en 1997 et Océan Mer en 1998. Musicien et musicologue, Alessandro Baricco rend hommage à la musique dans nombre de ces textes. Celui qui nous intéressera ici s’intitule Novecento : un monologo2 publié en 1994. La traduction française de Françoise Brun a été publiée en 1997 sous le titre Novecento :pianiste3. L’écrivain déclare avoir écrit ce texte pour un comédien, Eugenio Allegri et un metteur en scène Gabriele Vacis qui en ont fait un
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1 Koffi Kwahulé et Gilles Mouëllic, Frères de son. Koffi Kwahulé et le jazz : entretiens, Montreuil sous-Bois, Éditions Théâtrales, 2007, p. 50.
2 Alessandro Baricco, Novecento :un monologo, Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milan, 1994.
3 Nous référons pour notre étude à cette édition : Alessandro Baricco, Novecento : pianiste. Un monologue, Gallimard, « Collection Folio », 1997.
spectacle. Comme l’indique le titre, le texte prend la forme d’un monologue théâtral. En réalité, Alessandro Baricco situe son texte « à mi-chemin entre une vraie mise en scène et une histoire à lire à voix haute1» Dans ce court texte, Alessandro Baricco rend hommage à l’art musical et en particulier à la musique afro-américaine et au jazz.
Novecento : Pianiste présente l’histoire singulière de Novecento, un pianiste de génie né sur le Virginian, un bateau de croisière qu’il ne quittera jamais. Racontée par son ami Trompettiste Tim Tooney, l’histoire de Danny Boodmann T.D Lemon Novecento est celle d’une vie passée sur l’océan à se nourrir des expériences des passagers pour en faire une musique « limpide et inexplicable2 » comme lui seule pouvait la jouer. Cette musique fera écho un peu partout. Tout le monde veut écouter « le plus grand pianiste qui ait jamais joué sur l’Océan3 » jusqu’au jour où « l’inventeur du jazz » lui-même, un certain Jelly Roll Morton le provoque en duel.
Ce monologue poétique reprend des thématiques chères à l’auteur comme celles du voyage, l’obssession de la mer et le pouvoir de la musique. En effet, Novecento : pianiste est un texte imprégné de musique et se construit comme une véritable partition littéraire. Nous étudierons d’abord les modes d’insertion de cet imaginaire musical et son influence sur l’écriture d’Alessandro Baricco. Nous nous intéressons ensuite au portrait atypique du musicien fictif qu’est Novecento et la particularité de sa musique. Enfin, nous réfléchirons sur le pouvoir de la musique et la symbolique qu’il revêt dans l’œuvre et dans la vie de Novecento.
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1 Alessandro Baricco, Novecento : pianiste. Un monologue, op.cit., p. 9.
2 Ibid., p. 22.
3 Ibid., p. 14-15.
- Présence de l’imaginaire musical dans Novecento Pianiste :
La musique est une constante dans l’œuvre d’Alessandro Baricco. Dans Novecento, on peut dire qu’elle fonctionne comme un protagoniste à part entière. Le texte, destiné à l’origine pour une mise en scène théâtral, a été accompagné de quelques morceaux musicaux lors de sa représentation, d’entendre quelques morceaux musicaux. Lorsque l’auteur publie le texte sous forme de livre, on retrouve cette forme de monologue théâtral avec des didascalies qui indiquent l’entrée et la sortie de scène du comédien et les moments où la musique se fait entendre. D’après les propos d’André Dussolier, comédien qui a adapté et mis en scène la pièce en français, Alessandro Baricco croyait en la force du verbe et à sa capacité à dire la musique. Il aurait préféré les mises en scènes où la musique était peu présente pour laisser place à l’imaginaire du spectateur de créer sa propre musique. A travers Novecento, L’auteur rend hommage à la musique par le pouvoir des mots. En tant que lecteurs, on ne peut passer à côtés des différents éléments musicaux qui émaillent le texte. De par sa brièveté et sa structure en forme de monologue, le texte crée un effet d’oralité qui confère au texte sa rapidité rythmique. La lecture est courte mais intense et rythmé. Le texte se lit comme une véritable partition littéraire. On peut noter en effet, dès les premières lignes du monologue la présence de termes relatifs au langage musical : « il criait (adagio et lentissimo) :l’Amérique1 ». Placés entre parenthèses, ces termes sont une indication pour le lecteur de la manière dont l’interprète doit prononcer son discours. En introduisant par le verbe ses éléments du langage musical, il oriente l’imaginaire du lecteur en lui suggérant la musicalité du texte ; adagio étant une indication qui renvoie un tempo relativement lent et lentissimo une indication pour un tempo très lent. On voit ici comment Alessandro Baricco pense l’écriture par l’entremise de la musique. On retrouvera cette même indication de tempo pour le discours de Novecento à la fin du monologue : « C’est une voix, juste une voix, adagio qui parle2 ». Ces indications temporelles et rythmiques confèrent à l’écriture son caractère cinétique, en perpétuel mouvement. Une véritable oralité et musicalité se dégage de l’écriture poétique d’Alessandro Baricco. Ainsi peut-on remarquer la surabondance des signes typographiques comme ces barres obliques qui scandent la prose et participe à l’éclatement de la linéarité du discours : « L’océan s’est réveillé/ L’océan a déraillé/ L’eau explose dans le ciel/ Elle explose/ Elle dégringole/ arrache les nuages au vent et les
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